« Je suis arrivé en France en pensant que tout allait me sourire… »

7 Mai 2021

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Dans leur parcours de demande d'asile, les migrants font face à de nombreuses difficultés. Attente d'une réponse, perte de confiance, espoir : ils vivent de nombreuses émotions et ressassent un passé douloureux.

Dans le quartier Maryse Bastié de Tours, peu de personnes se baladent entre les immeubles en ce mercredi de mai ensoleillé. Au 13e étage de l’un d’eux, Warren Gueye, 24 ans, nous accueille avec un sourire chaleureux. Dans son salon, la télé est allumée, des portraits de sa famille trônent au-dessus bien en évidence.

Warren Gueye est arrivé en France en 2016 de la République Centrafricaine : « Je suis parti car j’étais chassé par les rebelles SELEKA. C’était l’insécurité totale. » Il débute naturellement une demande d’asile, mais la réalité ne fut pas ce qu’il espérait : « Je suis arrivé au départ en pensant que tout allait me sourire ! s’exclame-t-il en riant. Mais c’est vraiment compliqué pour les migrants. J’ai pris un mauvais chemin au départ, je fréquentais de mauvaises personnes. Je n’avais pas les papiers, les gens ne voulaient pas être avec moi, me traitaient de « blédard ». Je n’avais pas ma place et je me remettais beaucoup en question. Mais je me suis vite canalisé. J’étais jeune, j’avais perdu la confiance. »

 

La SELEKA : Il s’agit d’un groupe rebelle en République Centrafricaine créé en 2012 et qui a chassé le président au pouvoir François Bozizé en 2013. Officiellement dissoute, l’organisation musulmane continue de contrôler une grande partie du pays.

« J’ai pleuré, je n’avais que 19 ans… » 

Warren Gueye habite actuellement chez sa mère.  (Photo : Cláudio Pedro )

Pour les demandeurs d’asile, la première chose à faire est d’attendre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui traite les demandes d’asile. Et Warren Gueye se souvient très précisément du jour où il a eu sa réponse : « Il pleuvait, j’étais allé à la poste des Halles (Tours), et c’était non. Ça a été super dur. J’ai pleuré, je n’avais que 19 ans, je n’avais rien… »

Mais Warren Gueye ne baisse pas les bras : « J’économisais tous les mois 100 € pour finalement payer un avocat 700 € et faire un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). » Warren reçoit finalement deux mois après une réponse favorable. À présent, Warren a terminé une formation dans les télécommunications, et a regagné confiance en lui : « Il faut aller de l’avant, je ne baisserai pas les bras ! Je voudrais avoir mon propre appartement, pourquoi pas acheter ? Je passe aussi mon permis, j’aime voyager, lire… » Une histoire qui semble prendre un bon chemin. Mais il reste encore beaucoup de personnes en attente d’une réponse pour leur demande d’asile. 

Warren Gueye raconte le déclic qui lui a fait changer de trajectoire :

« Un passé oublié et difficile »

En 2020, la France a enregistré 95 600 demandes d’asile, avec 23,7 % de décisions favorables de l’OFPRA et 37,7 % pour la CNDA. Finalement, 33 000 personnes ont été mises sous protection cette année-là.

Juste en bas de chez Warren se tient une réunion dans le local de la médiation sociale du quartier Maryse Bastié. Marie Pelette et Thomas Geoffroy nous font signe de rentrer. Ils discutent d’un projet de nettoyage du quartier. Ces médiateurs sociaux sont souvent en contact avec des personnes qui demandent l’asile, et connaissent toutes leurs difficultés. « Administrativement, on ne peut pas les mettre sur les dispositifs où il faut une carte d’identité, confie Marie Pelette. Donc on ne peut que leur proposer des activités bénévoles. » Une double peine pour les demandeurs qui ne peuvent faire aucune formation pour préparer leur avenir. Mais le pire reste le refus de la demande d’asile de la part de l’OFPRA ou de la CNDA : « On dit à la personne que les choses horribles qu’elle a vécues ne lui donne aucun droit. »

 Marie Pelette (à droite) et Thomas Geoffroy (à gauche) devant la fresque du local de Maryse Bastié. Photo : Cláudio Pedro.

L’autre difficulté pour les demandeurs d’asile est de se replonger dans leur passé : « Ils n’ont pas d’accompagnement psychologique, on leur demande de se remémorer un passé oublié et difficile, s’attriste Marie Pelette. C’est vraiment épuisant mentalement pour eux: ils veulent construire leur vie mais ils ne le peuvent pas. »

Marie Pelette raconte les difficultés pour les demandeurs d'asile pour s'intégrer :

« Ce qu’ils ont vécu est indicible »

À Tours, il existe tout un réseau de solidarité qui vient en aide aux demandeurs d’asile. Parmi ces organismes, il y a la Table de Jeanne-Marie, qui fournit des repas. Philippe Perol est un bénévole très impliqué là-bas. À la retraite, cela fait maintenant cinq ans qu’il aide les migrants dans leurs démarches. Il connaît beaucoup d’histoires de demandeurs d’asile et rappelle que ce type de voyage ne se fait jamais par choix : « C’est vraiment dangereux, du jour au lendemain ils quittent tout. » Il raconte l’histoire de Farid, venu d’Afghanistan : « Il est arrivé en Autriche, mais au bout de deux ans, on lui a refusé sa demande d’asile. Et la question d’un retour en Afghanistan ne se pose même pas. C’est rester ou la mort. Il est donc venu en France, mais avec la loi Dublin, la France n’a pas accepté de traiter sa demande. C’est un traumatisme. Personne ne voulait de lui. »

La loi Dublin : promulguée le 26 juin 2013 par l’Union Européenne, cette loi oblige les ressortissants d’un Etat tiers à faire leur demande d’asile dans un seul État Européen.

Le plus difficile reste de raconter son histoire. L’OFPRA demande de prouver qu’ils ont subi des mauvais traitements. Dans la majeure partie des cas, les personnes n’ont pas de preuve, et doivent donc donner les moindres détails de leur histoire : « On les entraîne à raconter leur histoire pour l’OFPRA, explique Philippe Perol avec émotion. Et c’est dur pour eux comme pour nous… Il faut les convaincre, mais parfois ce qu’ils ont vécu est indicible. » De plus, les institutions remettent en cause la crédibilité des histoires. « Rien que de baisser les yeux peut signifier mentir pour eux », s’indigne Philippe Perol. 

Philippe Pérol passe beaucoup de temps à aider les demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives. Photo : Cláudio Pedro.

S’ajoute à cela, le refus des demandeurs d’asile d’avoir un accompagnement psychologique : « L’un d’eux me disait : « Je ne suis pas malade, je ne suis pas fou, je ne vais pas aller voir un psychologue. ». » Pour Philippe Perol, les procédures administratives sont un enfer, « qui volent la jeunesse des demandeurs d’asile ». « Ils sont dans une forme de survie, ils ne vivent pas, dit Philippe Perol. Toutes les procédures sont super longues et il est insupportable d’attendre ».

« Nous essayons de booster les jeunes pour qu’ils ne perdent pas confiance, insiste cependant Thomas Geoffroy. Ils sont détruits mentalement, mais ils sont capables, ils peuvent y arriver. » Warren Gueye en est persuadé : « Mon entourage, mon avocat, les assistantes sociales, toutes ces personnes m’ont été d’une grande aide. »

Par Hassan Mabrouck, Cláudio Pedro et Victor Dubois-Carriat

 

Ce travail est le fruit d’un partenariat entre le projet Go On ! porté par la mission locale de Tours et des étudiants de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), qui pilotent le site d’information participatif Détours.

Le projet Go On ! a pour but de repérer les publics dits « invisibles » et de mener des actions de mobilisation. Pendant quatre jours, trois étudiants ont accompagné deux jeunes dans la réalisation d’une production éditoriale sur le sujet et le support de leur choix. À la fin de l’atelier, un article écrit et une vidéo ont été diffusés.

Go On ! est financé par la Direccte Centre, dans le cadre du Plan d’Investissement Compétences (PIC). L’EPJT est membre du consortium qui porte le projet.