Lors d’une interview sur FranceInfo, le 10 novembre 2023, Agnès Callamard a refusé de qualifier le Hamas de « terroriste ». La secrétaire générale d’Amnesty international a voulu justifier ses dires en arguant que « le terrorisme n’existe pas en droit international ». Publié sur le réseau social X, anciennement Twitter, ce passage de l’interview a été vu près d’1,1 millions de fois, à la date du lundi 4 décembre et a provoqué un tollé.
De vives réactions ont ainsi afflué en commentaires. Le tweet du compte @MalojmK, a engrangé 8 000 vues au jour du 5 décembre, en dénonçant que : « Depuis l’attaque terroriste du #Hamas, la triste dérive d’#AmnestyInternational ne fait que s’aggraver. Des personnes qui mentent et qui manipulent. » En parallèle, le compte de @christofnamoi a tweeté que : « cette dame est ridicule qu’elle relise le Code Pénal français elle dirige simplement une officine idéologique dont on ferait bien de se pencher sur l’histoire et le rôle joué… », visionné 534 fois à la date du 5 décembre.
De même, le compte de @JoelCarassio publie un tweet visionné 963 fois au 5 décembre : « Encore une fois: ce n’est pas incompatible. On peut être une orga terroriste ET commettre des crimes de guerre/contre l’humanité. Faut arreter cette dichotomie stupide et ridicule par peur de froisser tel ou tel. »
Agnès Callamard était invitée à réagir aux propos tenus une semaine plus tôt par le président de l’ONG, Jean-Claude Samouiller. Ce dernier expliquait au micro de LCP, le 2 novembre, que le Hamas était « un groupe palestinien armé coupable de crimes de guerre », et non pas une organisation « terroriste ».
Alors qu’en est-il réellement ? La secrétaire générale et le président d’Amnesty international ont-ils eu raison de refuser d’employer le terme « terroriste » pour désigner le Hamas, suite aux faits qui se sont déroulés le 7 octobre ?
Une notion mais pas de définition univoque
Ce débat souligne surtout une « lacune béante » dans le droit international, pour David Cumin, professeur de droit international humanitaire à l’Université Lyon III. En effet, « il n’existe pas de définition générale, commune et universelle du terrorisme ».
Depuis 1996, une commission de l’Organisation des Nations unies (ONU) travaille justement à l’élaboration d’une définition du « terrorisme ». Mais, pour l’instant, aucun consensus ne se dégage. « Autant d’États, autant de Codes pénaux, autant de définitions nationales du terrorisme », résume David Cumin David Cumin. Ce vide juridique à l’échelle internationale s’explique par la volonté de chaque État d’apprécier souverainement qui est « terroriste ». « Chaque État veut décider en quoi consiste le ‘‘terrorisme’’ et édicter sa liste d’organisations ‘‘terroristes’’. Ils veulent rester libres dans leur marge de qualification. »
Pourtant, le « terrorisme » existe bien en droit international. D’une part, cette notion repose sur des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qui découlent du Chapitre VII de la Charte des Nations unies : Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression. L’une d’elles a notamment abouti à la création d’un Comité de lutte contre le terrorisme (CDCT). Il s’agit de la Résolution 1372 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 28 septembre 2001, au lendemain des attentats des tours jumelles aux États-Unis. Elle est surnommée le « Code anti-terrorisme » mondial.
D’autre part, une série de conventions antiterroristes viennent structurer l’existence de cette notion à l’échelle internationale. Certaines sont universelles et spécialisées, car régies par des organisations des Nations unies sur des sujets précis. Elles peuvent concerner le financement du terrorisme, la piraterie maritime ou le terrorisme aérien, par exemple. Et d’autres sont régionales et générales, étant décrétées par l’Union européenne (UE), le Conseil de l’Europe, la Ligue arabe, ou encore l’Union africaine.
Mais ces deux façons de donner une existence au « terrorisme » dans le droit international ne sont valables qu’en temps de paix. Dès lors, la question se pose lors d’un conflit comme dans le cas de celui qui oppose le Hamas et Israël.
En temps de guerre, le terrorisme relève du crime de guerre, lorsqu’il y a conflit armé, occupation militaire et que des belligérants visent délibérément des civils pour répandre la terreur. En ce sens, les actes du Hamas peuvent être qualifiés de « crimes de guerre », selon David Cumin. « Commettre des attaques criminelles est pire, en termes d’infraction, que de commettre des attentats. Ça suffit à discréditer le Hamas », insiste-t-il. Dans son interview, Jean-Claude Samouiller avance précisément qu’il faut employer ces termes pour viser une condamnation judiciaire.
Le maître de conférence David Cumin entrevoit une solution aux questions de définition du « terrorisme » à travers le droit pénal comparé et la comparaison des listes d’individus et groupes terroristes. Il est parvenu à une forme de délimitation au cours de ses recherches, dans son ouvrage Le terrorisme : histoire, science politique, droit : 20 points clés, publié chez Ellipses en 2018, afin de « lever le brouillard terminologique ». Il développe au Congrès de l’Association française de science politique (AFSP) de 2009 : « Le terrorisme désigne une violence armée, interne ou internationale, associative (ni d’État ni de foule), conjurée (pas ostensiblement préparée), délibérée (pas pathologique) et aveugle (non sélective), à finalité politique (pas crapuleuse), en temps de paix (pas en temps de guerre). »
Le « terrorisme » dans le Code pénal français
Contrairement au droit international, il existe dans le droit pénal français des définitions de ce que peut être un acte de terrorisme. Les articles 421-1 et suivants du Code pénal français viennent poser un cadre juridique au terrorisme.
Nous y retrouvons « les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration », lorsque ces faits sont commis « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
Ainsi, d’après Olivier Cahn, professeur de droit privé et sciences criminelles : « Les actes commis par le Hamas en octobre dernier constituent des actes de terrorisme ». Un avis, partagé par le parquet national antiterroriste. En effet, ce dernier a ouvert, le 12 octobre, une enquête préliminaire pour « assassinats » et « enlèvement et séquestrations » « en relation avec une entreprise terroriste ».
Bien que les faits ne se soient pas déroulés en France, il est possible de les sanctionner lorsque certaines des personnes concernées sont des ressortissants français. « C’est ce qu’on appelle, précise Olivier Cahn, la compétence personnelle passive ». Contrairement à « la compétence personnelle active », qui permet de poursuivre et juger ses propres ressortissants, « la compétence personnelle passive » a pour objectif de protéger les victimes françaises à l’étranger.
Cependant, bien que la France soit dotée d’un arsenal législatif en matière terroriste, les deux maîtres de conférence se rejoignent sur un point : « Agnès Callamard a eu raison de se baser sur le droit international ». En effet, elle était sur le plateau en tant que secrétaire générale d’Amnesty international, une organisation non gouvernementale internationale. De fait, elle ne pouvait, même en étant française, se positionner autrement qu’en se référant au droit international.