L’Union des Français de l’Étranger (UFE) est un réseau de regroupement de Français et de francophiles à travers le monde. Fondée en 1927, cette association a une représentation au Cameroun. Elle a consacré à ce pays un dossier, qui traite de plusieurs sujets, dont la création de son entreprise ou les études sur place, les habitudes alimentaires, la sécurité alimentaire, le logement ou encore le chômage. Dans l’article dédié à ce sujet, on peut lire : « Il n’existe pas d’indemnité chômage’ au Cameroun ».
Ce texte n’est pas daté mais, d’après les informations de la page consultées le 6 septembre 2023, il a été modifié le 13 juillet 2023. Cependant, dans le même article, l’UFE a précisé : « En revanche, les employeurs doivent verser des indemnités de licenciement ». Ces indemnités de licenciement sont de « 20 % par an pour les cinq premières années ; 25 % de la sixième à la dixième année ; 30 % de la onzième à la quinzième (année) ; 35 % de la seizième à la vingtième (année), 40 % après la vingt-et-unième année », a détaillé l’UFE.
Le Cleiss, le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, est un établissement public national français chargé d’informer sur la protection sociale dans un contexte de mobilité internationale. Il a rapporté les mêmes précisions que l’UFE dans un article publié en 2022 sur son site (modifié le 31 mai 2022, selon les informations de la page consultées le 6 septembre 2023). « La législation camerounaise de sécurité sociale ne prévoit pas de couvertures pour les soins de santé et le chômage », a écrit le Cleiss dans cet article consacré au « régime camerounais de sécurité sociale ».
Qu’est-ce qu’une indemnité de chômage ?
En France, c’est l’association Unédic – pour « Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce » – qui gère l’assurance chômage. Dans un document publié en février 2016 pour apporter des éclairages en la matière dans l’espace européen, l’Unédic a expliqué que les systèmes d’indemnisation du chômage s‘inspiraient « des conceptions classiques caractérisant les régimes de sécurité sociale ». D’une part, il existe une conception universaliste de l’indemnité de chômage inspirée des travaux du Britannique William Henry Beveridge, « qui accorde un revenu minimal à un individu pour maintenir son intégration dans la société. Dans ce cas, le financement est principalement d’origine fiscale et l’administration relève des autorités publiques ».
D’autre part, il y a une conception professionnaliste, adossée aux réflexions de l’Allemand Otto von Bismarck, « qui crée un droit à un revenu de remplacement lié à l’exercice d’une activité professionnelle. Les cotisations sociales jouent un rôle important dans son financement et les partenaires sociaux sont largement associés à sa gestion ».
Ce que disent les textes régissant le travail au Cameroun
Contactée par Africa Check sur sa source, l’UFE a répondu qu’il s’agissait d’une « information réelle » affichée sur son site et permettant « de faire le point dans le domaine de l’emploi au Cameroun ».
Le ministère camerounais du Travail et de la Sécurité sociale nous a confirmé qu’il n’existe pas d’indemnité de chômage au Cameroun. Il n’y a aucun lien entre l’« indemnité de chômage » et l’« indemnité de licenciement », a-t-il souligné.
Au Cameroun, le Code du Travail en vigueur a été adopté par la loi n°92-007 du 14 août 1992. Ce texte ne prévoit aucune ligne sur l’indemnité de chômage. Pourtant, « prévoir une indemnité chômage dans le Code du Travail pour un pays, c’est permettre à chaque personne d’avoir un peu de dignité et d’autonomie pour avoir le minimum vital afin de satisfaire ses besoins de base : se nourrir et se loger », a expliqué Hamadou Boukar, professeur agrégé en sciences de gestion, expert en gestion des ressources humaines et doyen de la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’Université de Ngaoundéré au Cameroun.
Talla Luther Fotsing est un expert en gestion des ressources humaines et en stratégies d’entreprise. Il est également enseignant-chercheur à l’Université de Ngaoundéré. Sollicité par Africa Check sur la déclaration que nous vérifions, il a répondu : « L’allocation chômage n’existe pas au Cameroun ».
Il existe cependant une indemnité de « chômage technique »
Au Cameroun, c’est l’arrêté n°001/CAB/MTPS du 14 février 1995 qui fixe les taux d’indemnisation pendant la période de la suspension du contrat de travail pour cause de chômage technique, conformément à l’article 33 alinéa 3 du Code du Travail.
Le chômage technique est défini par l’article 32-k du Code du Travail camerounais comme l’interruption collective de travail, totale ou partielle, du personnel d’une entreprise ou d’un établissement résultant, soit de causes accidentelles ou de force majeure, soit d’une conjoncture économique défavorable.
D’après l’arrêté mentionné plus haut, en cas de chômage technique, l’indemnité à verser au travailleur est calculée comme suit : 50 % pour le premier mois, 40 % pour le deuxième mois, 35 % pour le troisième mois, 30 % pour le quatrième mois, 25 % pour le cinquième mois et 20 % pour le sixième mois.
Il s’agit du salaire de base majoré de la prime d’ancienneté perçue au moment de l’arrêt de travail. « Lorsque la durée de la suspension est inférieure à un mois entier, l’indemnité est déterminée au prorata temporis (en proportion du temps de la suspension, NDLR) et par rapport à l’indemnité du mois de référence », peut-on lire dans le même arrêté.
Selon Prisca Moko, juriste au cabinet d’avocats Nyemb basé à Douala, capitale économique du Cameroun, la différence entre l’indemnité de chômage et l’indemnité de chômage technique est que l’indemnité de chômage est versée par l’État, alors que l’indemnité de chômage technique est versée par l’employeur.
« L’indemnité de chômage est un revenu versé par l’État à toute personne en situation d’arrêt involontaire et prolongé de travail, dans le but de compenser en tout ou en partie la perte des revenus du travail, tandis que l’indemnité de chômage technique renvoie à un revenu versé par l’employeur à celui du travailleur mis en situation d’arrêt involontaire du travail pour une période déterminée », a expliqué Moko.
De son côté, Abdel Nasser, spécialiste en droit des affaires et enseignant en droit du travail à l’Université de Garoua (région du Nord, dans le nord du pays), a indiqué que le chômage était la perte de travail alors que le chômage technique renvoyait à l’hypothèse où les heures de travail ont été réduites pour faire face à certaines conjonctures économiques, politiques, sociales, etc. Mais, a souligné Nasser, le contrat de travail reste toujours valide dans le cas d’une mise en chômage technique.
Normes internationales de protection sociale
L’arrêté n°001/CAB/MTPS du 14 février 1995 du Code du Travail camerounais reprend exactement les mêmes pourcentages que ce qui est prévu dans les normes internationales du travail, selon Abdel Nasser.
Les normes internationales du travail sont des instruments juridiques élaborés par les mandants (gouvernements, employeurs et travailleurs) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) visant à établir les principes et droits fondamentaux au travail et à régir d’autres domaines du monde du travail.
En 2008, le Centre international de formation de l’OIT a publié un guide sur les normes internationales du travail, qui a été actualisé en 2014. Cette version, que nous avons consultée pour la dernière fois le 6 septembre 2023, contient la Convention n°158 sur le licenciement qui stipule : « Un travailleur licencié aura droit soit à une indemnité de départ ou à d’autres prestations similaires, soit à des prestations d’assurance-chômage ou d’assistance aux chômeurs ou à d’autres prestations de sécurité sociale; soit à une combinaison de ces indemnités et prestations ». C’est l’absence de régimes de protection contre le chômage qui explique en grande partie le faible pourcentage de travailleurs qui perçoivent des indemnités de chômage en espèces en cas de perte d’emploi, a relevé l’OIT dans son Rapport mondial sur la protection sociale 2020–2022, publié en 2021. Ainsi, « seul 18,6 % des chômeurs bénéficient effectivement d’allocations de chômage à travers le monde », d’après l’OIT.
Distinguer « allocation de chômage » et « indemnité de chômage »
Bien que l’allocation de chômage et l’indemnité de chômage fournissent toutes les deux un montant économique aux chômeurs, ces deux expressions ne font pas référence à la même situation, d’après des experts.
En France, par exemple, d’après Abdel Nasser de l’Université de Garoua, la différence fondamentale réside dans la durée : « Il faut avoir travaillé et cotisé au moins 360 jours pour espérer bénéficier d’une allocation chômage, alors qu’une telle exigence n’est pas requise dans le cadre d’une indemnité ».
Selon le Bureau international du Travail (BIT), moins d’un tiers des chômeurs touchent effectivement des indemnités de chômage dans la plupart des 55 pays ayant mis en place un régime d’indemnisation du chômage. Le BIT est le secrétariat permanent de l’Organisation internationale du Travail
Cette attitude, est-il indiqué dans le Rapport mondial de l’OIT sur la protection sociale 2020–2022, peut s’expliquer par diverses raisons, notamment l’absence de régime de protection contre le chômage dans de nombreux pays, l’exclusion de certaines catégories de travailleurs du champ d’application de la loi, les taux élevés de chômage de longue durée et les conditions restrictives d’admissibilité.
De la mise en place d’indemnités de chômage au Cameroun
Évoquant la mise en place d’un système d’indemnités de chômage au Cameroun, Talla Luther Fotsing de l’Université de Ngaoundéré a estimé que « seuls certains pays ayant atteint un certain niveau de développement (pouvaient) se permettre d’adopter un tel système ».
Tous les spécialistes consultés par Africa Check ont été unanimes sur le fait que le modèle de paiement de l’indemnité de chômage est très onéreux pour un pays comme le Cameroun. Selon eux, la plupart des États qui ont une législation prévoyant une telle indemnité sont des pays développés, avec des capacités financières importantes et un système fiscal plutôt conséquent, les allocations octroyées provenant en partie des prélèvements fiscaux et des cotisations des employeurs.
Pour atteindre ce niveau, Hamadou Boukar, de l’Université de Ngaoundéré, a proposé de la transparence dans les habitudes : « Déclarer tous ses biens, collecter des cotisations à tous les niveaux, un changement de mentalités à tous les niveaux, identifier tous les Camerounais en âge de travailler dans un fichier fiable ».
D’après Christophe Mubukwa Shanganya, chercheur en gestion des ressources humaines en République démocratique du Congo (RDC), le paiement de l’indemnité de chômage respecte un cycle qui permet de pérenniser un tel système. « Aux États-Unis et dans certains pays européens, le chômeur reçoit une indemnité de chômage. Cet argent sera récupéré par l’État une fois que le chômeur trouve du travail, ceci dans le but d’indemniser un autre chômeur », a expliqué Mubukwa Shanganya.
Fidèle Djoumessi, professeur agrégé en sciences de gestion et spécialiste en comptabilité et fiscalité d’entreprises, « l’indemnité de chômage n’est pas envisageable pour un pays » confronté au poids de la dette et qui « n’arrive pas à faire face à ses engagements régaliens ». L’exploitation des Déclarations statistiques fiscales (DSF) de la Direction générale des Impôts du Cameroun a permis à Djoumessi de constater que le taux de marge bénéficiaire moyen réalisé par les entreprises au Cameroun, tout secteur confondu, est de 31,9 %. En plus, les données « de l’Institut national de la statistique (INS) montrent que l’impôt absorbe une bonne partie du chiffre d’affaires des entreprises. Et pourtant, il y a des sociétés qui n’ont même pas 10 % des bénéfices, d’autres sont à 3 % ou 4 %. Alors que l’impôt minimum du contribuable relevant du régime simplifié est de 5,5 % au Cameroun », a précisé Fidèle Djoumessi.
Pour aspirer à mettre en place un système de paiement des indemnités de chômage, d’après ce chercheur, le Cameroun dispose de leviers sur lesquels il devrait s’appuyer. Il peut adopter des mesures incitatives en faveur de la création d’entreprises, entreprises qui vont générer des recettes fiscales ; réduire les taux d’impôts pour réduire les tentations de fraude fiscale chez les contribuables ; favoriser l’accès en ligne aux services pour limiter les détournements des agents fiscaux et d’améliorer les rentrées fiscales, entre autres décisions.
« Le système fiscal actuel favorise le détournement des recettes par le contribuable avec la complicité du fisc. Avec un tel système, les entreprises ne peuvent pas assumer leurs devoirs fiscaux et continuer de survivre », a analysé Fidèle Djoumessi.
Conclusion : la déclaration est globalement correcte
Sur son site internet, l’Union des Français de l’étranger (UFE), a indiqué qu’il n’existait pas d’indemnité chômage au Cameroun. Une information également publiée par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, un établissement public national français chargé d’informer sur la protection sociale dans un contexte de mobilité internationale.
Dans les faits, le Code du Travail camerounais ne prévoit pas d’indemnités de chômage, mais une indemnité de « chômage technique », ce qu’ont confirmé plusieurs spécialistes consultés sur le sujet par Africa Check. Ces deux expressions ne font pas référence à la même situation, ont souligné ces experts. L’indemnité de chômage est versée par l’État, alors que l’indemnité de chômage technique est versée par l’employeur, a notamment dit la juriste Prisca Moko.
Étant donné qu’il nous a fallu apporter la précision selon laquelle il existe au Cameroun une indemnité de chômage technique différente de l’indemnité de chômage, nous avons évalué la déclaration de l’UFE comme étant globalement correcte.
Jérôme BAÏMÉLÉ
Cet article a été réalisé par le journaliste camerounais Jérôme Baïmélé (Data Cameroon) dans le cadre d’un stage d’immersion au sein de la rédaction francophone d’Africa Check, à Dakar, soutenu par un projet du département d’État américain.
Lire l’article original sur Africa Check : https://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/cameroun-economie-social-emploi-ch%C3%B4mage-travail-indemnite-france-licenciement