Vrai, G la Dalle, le leader français du fast-food halal, s’est bien associé avec un fonds d’investissement qui mène des activités en Israël

France
Société

6 Déc 2024

9 minutes de lecture
Depuis plusieurs semaines une campagne de boycott agite les réseaux sociaux : l’enseigne française de fast-food halal G la Dalle est accusée de s’être associé à la firme Kharis Capital qui mènerait des activités en Israël. Après vérification et malgré les réfutations du patron de G la Dalle, le fonds d’investissement Kharis Capital, qui est bien l’un des nouveaux dirigeants de la chaîne, opère des activités de longue date sur le marché israélien. Les liens de l'un de ses fondateurs avec un mouvement sioniste belge sont également établis.
Contexte

Fin octobre 2024, la référence du fast-food halal, G la Dalle, est au cœur d’une large campagne de boycott. Parmis les comptes qui relayent la campagne, on retrouve certains utilisateurs anonymes de la plateforme X comme le compte Noussair Pacha, auteur d’un tweet à 2,5 millions de vues, le 26 octobre 2024. Dans une longue liste d’entreprises à boycotter pour leurs liens supposées avec Israël, l’internaute commence son tweet par « BOYCOTT G LA DALLE », avant de préciser les raisons dans une autre publication, trois jours plus tard: « G la Dalle (…), vous êtes alliés aux sionistes. »

Le compte Sawt Al-Maghreb, qui se présente comme un « média qui traite d’actualité et de tout ce qui touche de près ou de loin au Maroc et au monde Arabo-Musulman », reprend ces allégations selon lesquelles l’entreprise serait liée à Israël. Ce compte est l’auteur d’une publication, le 26 octobre 2024, qui compte plus de 750 000 vues et 5 000 retweets, et qui assure : « G la Dalle s’associe avec le fonds d’investissement belge Kharis Capital (Propriétaire de Quick et O Tacos) propriété d’un homme d’affaire belgo-israélien ».

Kharis Capital est une référence du secteur de la restauration rapide, qui assume notamment avoir « pris le contrôle » de la franchise française O’Tacos en 2018. A l’origine de sa création, l’entrepreneur belge Daniel Grossmann ainsi que le Suisse Manuel Roumain, ancien vice-président (entre 1998 et 2004) de la future très controversée banque d’investissement Goldman Sachs.

La campagne de boycott a été relayée par l’influenceur Mohamed Koh Lanta, qui a également insisté dans sa story Snapchat (aux milliers d’abonnés), fin octobre, sur le prétendu partenariat entre l’enseigne de fast-food halal et la firme Kharis Capital qui financerait « l’entité sioniste », c’est à dire Israël. Avant de finalement faire machine arrière et de démentir sa propre assertion.

Vérification

Le PDG de la franchise de fast-food, Salim Rezzag, d’habitude si absent du spectre médiatique, accorde le 25 octobre une interview au média Al Kanz pour réfuter définitivement ces accusations. Il y nie tout « rachat », contrairement à ce qu’avait pourtant révélé le même média quelques jours plus tôt, et parle plutôt « d’association » avec la firme Kharis Capital, précisant que « le pouvoir de décision reste sous (son) contrôle ». Mais surtout, comme pour réfuter tout lien entre son nouvel associé et Israël, Salim Rezzag assure : « Il n’existe aucun lien entre Kharis Capital, Daniel Grossmann et le financement du drame effroyable qui se passe en Palestine ».

Dans la même interview, le patron de la franchise exprime même sa « solidarité envers la cause palestinienne » et affirme qu’il n’aurait « jamais envisagé de collaborer avec une organisation qui soutient ce qui se passe là-bas. »

Après cet entretien, les influenceurs à l’origine de la campagne de boycott, publient chacun leur tour, de larges communiqués d’excuses et alertent à la fake news. C’est le cas de Mohamed de Koh Lanta, comme précisé plus tôt, mais aussi du twittos Balti. Dans ces publications d’excuses, chacun atteste de sa bonne foi, sans jamais avancer de preuve malgré tout. L’influenceur TikTok aux 213 000 followers, Samir Kissi, qualifie ainsi ces accusations de « fake news » dans une vidéo vue plus de 480 000 fois.

 

Malgré ce rétropédalage et le démenti du patron de la franchise sur le site d’Al Kanz, les publications accusatrices continuent de se propager sur X, mais avec, cette fois-ci, une série de preuves. L’utilisateur Yo pi (dont la photo de profil affiche le message « #STOP Genocide » aux couleurs de la Palestine) présente, dans un tweet publié le 25 octobre 2024, une série de quatre captures d’écran.

Des images qui montrent notamment la société Rigoni Di Asiago, une marque de pâte à tartiner italienne, propriété de Kharis Capital, être épinglée par l’application Boycott X. Cette application propose à ses utilisateurs de boycotter certaines marques en fonction de leurs convictions. Ici Rigoni Di Asiago est présentée comme une marque qui utilise « la certification (casher) Star-K, liée à Young Israel, une organisation ouvertement sioniste. »

De plus, l’internaute affiche la page 23 du document de responsabilité sociale de l’entreprise italienne où il est affiché une liste des marchés étrangers qu’investit la marque détenue par Kharis Capital. On y voit inscrit « Israël » à la neuvième ligne de cette même page 23.

 

Le fondateur de Kharis Capital, Daniel Grossmann, membre du conseil d’administration de Rigoni di Asiago, avait déjà exprimé sa volonté d’investir le marché israélien dès 2019 lorsqu’il représentait son fonds d’investissement à la conférence NOHA, à Tel Aviv comme l’indique la page 38 du cahier des investisseurs présents à cet évènement. Cet évènement avait pour objectif de permettre à des entreprises étrangères avec de rencontrer des start-up israéliennes pour créer des synergies et des collaborations.

Un an après, Kharis Capital signe d’ailleurs un accord avec TinyTapp, une application israélienne à succès qui offre des contenus en ligne et rémunère ses professeurs en crypto. La plateforme revendique aujourd’hui plus de 8 millions d’utilisateurs. Si Kharis Capital a finalement mis fin à sa collaboration avec TinyTapp en 2022, c’est également l’importance qu’a pris la firme au sein de l’écosystème de Burger King qui fait questionner les utilisateurs de X sur la pertinence du choix de G la Dalle de collaborer avec une telle entité.

Dès octobre 2023, une campagne de boycott avait été lancée par l’organisation pro-palestinienne BDS (Boycott Désinvestissement Sanction) contre le géant américain du fast-food après que le compte Burger King en Israël a publié des photos montrant qu’il faisait don de repas gratuits aux soldats israéliens dans le cadre de l’incursion militaire lancée à Gaza après l’attaque du 7 octobre 2023. Notons que l’entrepreneur belge Daniel Grossmann siège au conseil d’administration de Burger King depuis 2015 puisqu’il détient la master franchise pour l’Italie, la Pologne et la Belgique.

 

 

Précisons que dans les documents officiels rendus disponibles sur les sites français Societe.com et Pappers.fr, la société franchise de G la Dalle nommée « GLD Invest » voit apparaitre, le 14 octobre dernier, un nouveau dirigeant, « GLD Holding », une société de portefeuille nouvellement dirigée par Alain Sethi, également propriétaire de la masterfranchise de Quick QSRP (Quick Service Restaurant Plateform) en Belgique. Mais QSRP est en réalité une filiale du fonds d’investissement Kharis Capital.

Les liens de Grossmann avec le mouvement sioniste Hashomer

Au-delà de ces activités, ce sont davantage les liens que tisse personnellement Monsieur Grossmann avec un mouvement sioniste belge qui rebutent certains utilisateurs de X. Hashomer Hatzaïr, ou « Jeune Garde », est un mouvement de jeunesse sioniste de gauche. Fondé avant la création d’Israël, l’Hashomer est présente depuis 1920 en Belgique. L’organisation qui promeut la pensée sioniste auprès de ses jeunes membres a pour principe « l’éducation des jeunes, par les jeunes, pour les jeunes », entre autre, par le biais du scoutisme.

Dans une publication Facebook, de mai 2019, on aperçoit Daniel Grossmann, vêtu d’un t-shirt frappé du logo du mouvement, participer à l’un des évènements organisés par Hashomer : une course caritative destinée à rassembler des fonds pour le Magen David Adom, le service d’urgence officiel d’Israël dont l’une des nombreuses fonctions est notamment de se joindre aux corps médicaux militaires de Tsahal en temps de guerre.

Malgré l’ensemble de ces éléments apportés par les internautes, G la Dalle persiste à démentir le lien de ses nouveaux associés avec Israël. Une série de tweets publiés par l’utilisateur @3arbiDuFutur le 27 octobre 2024, montre, entre autres, la photo de profil LinkedIn de Daniel Grossman orné d’un drapeau israélien (tel que le permettait la plateforme au lendemain des attaques du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre 2023). Mais, en réponse on voit le compte X de G la Dalle affirmer malgré tout : « Si c’est un sioniste, tu trouveras facilement des photos ou vidéos de lui. En attendant on ne peut pas l’accuser d’être un sioniste ».

Nous avons sollicité à plusieurs reprises Salim Rezzag, fondateur de G La Dalle, ainsi que Daniel Grossmann, fondateur de Kharis Capital, mais n’avons reçu aucune réponse.

Conclusion

Oui, les manoeuvres opérées au sein de l’entreprise G la Dalle, début octobre 2024, ont permis d’intégrer les propriétaires du fonds d’investissement Kharis Capital dans le cercle des nouveaux dirigeants de l’enseigne de fast-food halal. Alain Sethi, propriétaire de Quick QSRP, est désormais le nouveau dirigeant de la holding G la Dalle (GLD Holding). Son entreprise QSRP est elle même une filiale du fonds d’investissement Kharis Capital dont le fondateur, Daniel Grossmann, est lié au mouvement de jeunesse sioniste Hashomer. Le même Grossmann qui investit le marché israélien par le biais de l’entreprise Rigoni di Asiago dont il est l’un des membres du conseil d’administration. A noter enfin que Kharis Capital détient la master franchise de Burger King dans trois pays européens dont la Belgique alors que la chaîne a été largement affichée par nombre d’associations pro-palestiniennes tel que BDS (Boycott Désinvestissement Sanction) comme soutenant matériellement les soldats de Tsahal, alors en pleine incursion militaire à Gaza. Une campagne de boycott touche d’ailleurs le géant américain du fast-food depuis octobre 2023.

Sellim ITTEL EL MADANI (Factoscope)