Oui, les demandes d’asile augmentent mais l’Observatoire de l’immigration et de la démographie n’est pas totalement fiable

France
Société

26 Oct 2023

9 minutes de lecture
« Demandes d’asile : la hausse se poursuit », titre l’Observatoire de l’immigration et de la démographie dans un tweet publié le 27 septembre 2023. Pour appuyer ses dires, le tweet avance quatre affirmations. Après vérification, ces dernières apparaissent parfois imprécises voire douteuses.

Publié le 27 septembre dernier, un tweet de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, affirmant que la hausse des demandes d’asile se poursuit, a été vu, à la date du 26 octobre 2023, plus de 10 000 fois. Afin de prouver cette affirmation, l’organisme a décidé de se baser sur quatre chiffres. Mis bout à bout, ces derniers semblent évoquer une hausse de la demande d’asile.

Un observatoire auréolé de mystères

Cet Observatoire de l’immigration et de la démographie se présente comme un organisme voulant dépassionner le débat sur l’immigration et s’appuyer sur des faits. Fondé en 2020 par un groupe de hauts fonctionnaires et de membres de la société civile, il reste assez opaque concernant ses membres. Les seuls connus sont ceux qui composent le conseil d’orientation : Gérard-François Dumont, Michel Aubouin, Pierre Brochand et Thibault de Montbrial, ainsi que le mystérieux Nicolas, un des fondateurs de l’Observatoire, cité dans un article de Valeurs actuelles.

Nous avons pu nous entretenir avec Gérard-François Dumont qui explique : « Cet observatoire a été créé par des personnes qui ont des fonctions professionnelles exposées et font ça à titre bénévole, c’est la raison pour laquelle leur nom n’apparaît pas. » Il ajoute : « Notre objectif est d’avoir suffisamment de donateurs pour que l’un d’entre eux au moins puisse sortir de l’anonymat. » Une situation qui pourrait advenir, selon lui, dans les prochains mois, voire les prochaines semaines.

Ne pouvant donc en savoir davantage sur les fondateurs de cet observatoire, il ne reste que les membres de son conseil d’orientation, pour nous renseigner sur son positionnement. Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne Université, a notamment participé à la création du dossier « Serons-nous encore Français dans trente ans ? », publié en 1985 dans Le Figaro. Un dossier qui avait été écrit avec Jean Raspail et la collaboration de Philippe Bourcier de Carbon, membre du Comité Scientifique du Front national.

En parallèle, Pierre Brochand, haut fonctionnaire, a eu certaines prises de position fortes concernant l’immigration au fil de sa carrière. Il a notamment déclaré dans un entretien au Figaro en juillet dernier, après les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, que : « Si nous en sommes là, c’est à cause d’une immigration de peuplement massive (…) le pronostic vital du pays est engagé. » C’est également un proche du président de Reconquête Éric Zemmour, même s’il se défend d’avoir été membre de son équipe.

Un tweet qui sème le doute

Concernant la première affirmation, le tableau qui y est joint semble la contredire de manière directe. Le premier point, qui évoque que « le nombre de primo-demandeurs d’asile reçus en préfecture (guichet unique) au mois d’août 2023 a augmenté de 12,9 % par rapport à août 2022 », s’appuie sur un tweet publié par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).

 

Notamment un tableau qu’on peut retrouver au complet dans un tweet publié dans le fil Twitter de l’Ofii.

On y trouve donc le document en entier avec notamment la ligne concernant les demandeurs d’asile reçus en guichet unique, qui nous permet d’infirmer le premier point posé par l’Observatoire. En effet, il est affirmé que : « le nombre de primo-demandeurs d’asile reçus en préfecture (guichet unique) au mois d’août 2023 a augmenté de 12,9 % par rapport à août 2022. » Or, lorsque nous lisons le tableau par nous-mêmes, nous pouvons déjà observer que la hausse de 12,9 % ne concerne pas la durée de août 2023 à août 2022 mais la durée entre juillet 2023 et août 2023. Si nous restons sur cette durée de août 2023 à août 2022, alors nous pouvons observer que la hausse ne s’élève pas à 12,9 % mais à 0,4 %.

Questionné sur le sujet, Gérard-François Dumont tente de se défendre : « tout le monde peut faire des erreurs même si cela n’est pas souhaitable. » Il ajoute qu’il s’agit ici « de questions complexes ».

Ensuite, s’agissant de la deuxième affirmation posée dans le tweet, la tournure peut être trompeuse. Il est dit : « Sur l’année 2022, 137 505 premières demandes d’asile avaient été enregistrées en France selon Eurostat, contre 42 070 en 2009 – soit une hausse de 227 % du nombre annuel de demandes. » Précisons donc que cette hausse se déroule entre 2009 et 2022. L’augmentation n’est pas de 227 % par an, mais bien de 227 % en treize ans.

Concernant la véracité des nombres énoncés, selon Eurostat, le nombre de premières demandes d’asile en France en 2022 s’élève à 137 510, non loin des 137 505 indiqués dans le tweet.

 

Eurostat nous éclaire également sur le nombre de demandes d’asile en 2009 qui s’élève à 47 625.

 

Néanmoins, comme nous avons pu le lire précédemment, l’affirmation contenu dans le tweet concerne non pas les demandes d’asile mais les premières demandes d’asile, excluant donc les réexamens. Ainsi la différence de nombres entre 47 625 et 42 070 pourrait s’expliquer par l’exclusion des demandes autres que les premières.

Concernant la troisième affirmation stipulant qu’« entre 2017 et 2022 seulement : 680 000 premières demandes d’asile ont été enregistrées », aucune source ne vient appuyer ce propos. Nous supposons que le tweet continue de faire référence aux premières demandes d’asile enregistrées en guichet unique, et non celles enregistrées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Cependant, sans certitude, nous nous intéresserons à ces deux données car le nombre de premières demandes d’asile diffère selon la source sur laquelle nous nous basons. De plus, les guichets uniques de demande d’asile n’ont été créés que suite à la réforme de 2016, compliquant d’autant plus la recherche, une marge d’erreur est donc possible.

Tout d’abord, si nous nous référons aux données relatives aux premières demandes enregistrées à l’Ofpra grâce à l’Insee et data.gouv.fr, nous découvrons, en additionnant le nombre de demandes d’asile enregistrées par l’Ofpra en France de 2017 à 2022, que le résultat s’élève à 535 295, et non 680 000 comme indiqué dans le tweet.

Nous continuons donc de supposer qu’il s’agit en fait du nombre de premières demandes formulées en guichet unique et par le biais de plusieurs nombres ayant tous pour source le ministère de l’Intérieur, ( « L’essentiel de l’immigration – chiffres clefs » publié en janvier 2018, « L’essentiel de l’immigration – chiffres clefs » publié en juin 2021, « Statistiques annuelles en matière d’immigration, d’asile et d’acquisition de la nationalité française » publié en janvier 2022, « Les demandes d’asile » publié en juin 2023) nous trouvons un nombre de 661 612, soit un résultat proche des 680 000 avancés dans le tweet.

Enfin, s’agissant de la quatrième affirmation qui indique que : « 96% des déboutés se maintiennent sur le territoire une fois leur demande rejetée (Cour des Comptes – 2015) », elle s’appuie sur un référé de la Cour des Comptes de 2015. Or, ce pourcentage a été remis en cause par de nombreux médias, en raison d’une méthodologie douteuse, comme le soulignent L’Express, FranceInfo ou encore Factoscope. Ces derniers révèlent un manque de clarté et de précision sur plusieurs points. Par exemple, les personnes déboutées ne reçoivent pas toutes une OQTF, soit une obligation de quitter le territoire. Le calcul fait par la Cour des Comptes oublierait également les demandeurs d’asile qui auraient été régularisés par la suite. Autre oubli de la juridiction : celui des départs volontaires. Pourtant, Gérard-François Dumont défend « des chiffres données par l’administration qui ne sont pas contestables », même s’il conçoit qu’« avec un migrant irrégulier, on ne peut pas avoir une statistique précise

 

Pourtant ce chiffre de 96% ne cesse d’être utilisé par la droite et l’extrême-droite pour appuyer leurs propos relatifs à l’immigration. Et ce parfois de manière trompeuse, comme lors de cette déclaration de Marine Le Pen il y a quelques années : « La demande d’asile, c’est une filière d’immigration clandestine. 96% des demandeurs d’asile sont déboutés. Et ils vont où après ? Ils restent en France ! »

La suppression pure et simple du tweet

Afin de mettre au clair ces différentes affirmations, l’erreur flagrante sur la première, la tournure imprécise des deux suivantes et la source douteuse de la dernière, Gérard-François Dumont a répondu à nos sollicitations et a fait passer le message à l’Observatoire de l’immigration et de la démographie qui nous a répondu, toujours par l’intermédiaire de Gérard-François Dumont :

« Il s’agissait effectivement d’une coquille dans ce tweet, qui vient donc d’être supprimé.

 Le reste de son contenu est cependant correct :

 Sur l’année 2022, 137 505 premières demandes d’asile avaient été enregistrées en France selon Eurostat, contre 42 070 en 2009 – soit une hausse de 227% du nombre annuel de demandes.

 Entre 2017 et 2022 seulement : 680 000 premières demandes d’asile ont été enregistrées.

 96% des déboutés se maintiennent sur le territoire une fois leur demande rejetée (Cour des Comptes – 2015).

 Merci à cette journaliste pour le signalement. »

Après vérification et après nos sollicitations, le tweet a en effet été supprimé.

Maylis YGRAND