Le Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales s’est déroulé à Paris le 20 juin 2024 en marge de la Semaine mondiale de la vaccination, célébrée du 22 au 28 avril 2024. Ce forum, coorganisé par l’Union africaine (UA) et l’Alliance du Vaccin (Gavi), a réuni des experts, des laboratoires pharmaceutiques, des instituts de recherche, mais aussi des chefs d’État et autorités étatiques de plusieurs pays, dont Bassirou Diomaye Faye, le président du Sénégal.
Au cours de son discours, partagé par plusieurs utilisateurs sur le réseau social X, Bassirou Diomaye Faye a évoqué « les disparités structurelles qui existaient déjà, entre pays développés et pays en développement, en matière de vaccination ». Dans ce sens, il a déclaré : « Bien que l’Afrique représente environ 20 % de la population mondiale, son industrie des vaccins fournit à peine 0,25 % de l’offre mondiale. Le Continent est encore largement tributaire d’autres régions pour couvrir ses besoins ».
Suite à l’allocution du président sénégalais, ses déclarations citées plus haut ont été reprises en boucle par plusieurs médias sénégalais et internationaux, dont Le Quotidien, Seneplus, Dakaractu ou encore Radio France Internationale (RFI).
Dans cet article, Africa Check passe à la loupe cette double déclaration du président sénégalais. D’abord l’affirmation selon laquelle « l’Afrique représente environ 20 % de la population mondiale ». Puis, celle soutenant que l’industrie des vaccins en Afrique « fournit à peine 0,25 % de l’offre mondiale » en la matière.
Quelle est la source de Bassirou Diomaye Faye ?
La présidence du Sénégal nous a indiqué que le discours prononcé par le président a été préparé par les services du Ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS), et nous a suggéré de nous rapprocher dudit ministère pour plus d’informations. Mais, malgré plusieurs tentatives, la cellule de communication du MSAS n’avait pas réagi à nos sollicitations jusqu’à la mise en ligne de cet article .
Que disent les données disponibles ?
En novembre 2022, la population mondiale est officiellement passée de 7 à 8 milliards d’habitants.
Au cœur des enjeux découlant de cette transition de la population mondiale, figurait l’essor de l’Afrique et sa transformation démographique appelée « à remodeler le continent voire le monde entier », avaient souligné des chercheurs sur le site du Fonds monétaire international (FMI) dans un article daté de septembre 2023.
Plusieurs sources et éléments de recherche font le point sur la part de l’Afrique dans la population mondiale en 2023. Par exemple, la Fondation Mo Ibrahim indique sur son site web qu’ « entre 2023 et 2100, la part de l’Afrique dans la population mondiale passera de 18 % à 38 % ». Ce qui veut dire, selon la Fondation, qu’en 2023, l’Afrique représentait 18 % de la population mondiale. Une donnée également communiquée par le média américain New York Times dans une fiche d’information consacrée à la démographie de l’Afrique. La même donnée figure sur la plateforme d’agrégation de données statistiques Statista.
Nous avons interrogé la Fondation Mo Ibrahim sur l’origine de cette statistique (18 %) indiquée sur son site comme étant la part de l’Afrique dans la population mondiale en 2023. En guise de réponse, la Fondation dit avoir calculé cette part de l’Afrique dans la population mondiale en 2023 en utilisant les estimations de la révision 2022 des Perspectives de la population mondiale publiée par le Département des Affaires économiques et sociales des Nations Unies (UNDESA).
Une déclaration « correcte » selon les Nations Unies
Dr Patrick Gerland, chef de la Section estimations et projections démographiques au sein de l’UNDESA, a fait savoir qu’il est correct de dire que l’Afrique représente environ 20 % de la population mondiale. Précisément, le spécialiste a expliqué : « D’après la révision des Perspectives de la population mondiale effectuée en 2022 pour l’année 2023, la part de l’Afrique est d’environ 18,4 % ». Ce qui confirme, par la même occasion, le chiffre global de 18 % relayé par la Fondation Mo Ibrahim, le New York Times entre autres organisations et médias. Dr Patrick Gerland a par ailleurs noté que la nouvelle édition des Perspectives de la population mondiale 2024 a été rendue publique le 11 juillet 2024, date à laquelle le monde a célébré la Journée mondiale de la population. Cette nouvelle révision a estimé la part de l’Afrique à 18,6 %, a-t-il indiqué.
Précaution statistique : « Ne pas arrondir systématiquement ce type de données »
Pour le statisticien sénégalais Khadim Ba, il y a, entre les deux valeurs 18,4 % et 20 %, un écart de 1,6 points de pourcentage. À l’échelle de la population d’un continent, a-t-il exposé, ce gap pourrait correspondre à des « milliers d’individus ».
« Cela souligne l’importance de ne pas arrondir systématiquement ce type de donnée, car chaque chiffre a une signification précise et essentielle selon la discipline scientifique en question », a-t-il expliqué.
Toutefois, le terme « environ » employé dans la déclaration de Bassirou Diomaye Faye prend tout sens, d’autant plus que la différence entre 18,4 % et 20 % peut être statistiquement non significative si les intervalles de confiance autour de ces valeurs se rapprochent, selon le statisticien Dr Khadim Ba.
Nous avons donc évalué cette déclaration du président sénégalais comme étant globalement correcte.
Les Centres Africains de Contrôle et de Prévention des Maladies (Africa CDC en anglais ou CDC Afrique en français) sont une institution de santé publique de l’Union africaine (UA),.
En réaction à nos questions relatives à la contribution de l’Afrique dans la production mondiale de vaccins, Africa CDC a indiqué ne pas disposer d’informations et de données sur la part de l’Afrique dans l’offre mondiale de vaccins. Cette institution dédiée de l’Union Africaine a aussi souligné ne pas être en mesure de « confirmer ces données » tout en précisant ne pas avoir participé à une quelconque étude dans ce sens. Africa CDC a tout de même renseigné qu’elle prévoit de procéder à une évaluation détaillée de la contribution de l’Afrique à la production de vaccins « l’année prochaine (en 2025) ».
Gavi, l’Alliance du Vaccin, a confié à Africa Check que ses données et statistiques sur cette question sont parcellaires, et qu’il y a des points qu’elle juge nécessaires d’éclaircir pour mieux cerner la déclaration rapportant que l’Afrique fournit à peine 0,25 % de l’offre mondiale de vaccins.
Des questions non élucidées
Parmi les points que Gavi estime nécessaires à éclaircir dans l’affirmation de Bassirou Diomaye Faye, figurent notamment les questions suivantes : « Les vaccins humains et/ou animaux sont-ils pris en compte ? Le chiffre tient-il compte des vaccins préqualifiés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ? Comprend-il les vaccins produits pour un usage local ou seulement ceux qui sont achetés par l’intermédiaire de systèmes mondiaux ? »
Néanmoins, même avec ces questions en suspens, Gavi confie qu’il est vrai que « l’écrasante majorité des vaccins mondiaux sont fabriqués en dehors de l’Afrique et que la proportion actuelle de vaccins fabriqués sur le continent africain, quelle que soit la mesure, est presque négligeable ». À l’heure actuelle, ajoute Gavi, le seul fournisseur de substances médicamenteuses pour vaccins préqualifiés par l’OMS est l’Institut Pasteur Dakar au Sénégal.
Abondant dans le même sens que Gavi, l’OMS nous a précisé que l’information selon laquelle l’industrie des vaccins en Afrique fournit à peine 0,25 % de l’offre mondiale provient « probablement » d’une campagne vaccinale lancée par l’organisation ONE. L’institution sanitaire mondiale a fait ainsi allusion à une campagne menée par l’ONG ONE et intitulée Building Africa’s Vaccine Manufacturing Industry : Steps to Achieve Vaccine Sovereignty by 2040 – ONE Data & Analysis. ONE a été fondée en 2004 par le célèbre chanteur Bono, du groupe de rock irlandais U2 avec d’autres activistes « déterminés à lutter pour un monde plus juste ». L’organisation dit être financée par des philanthropes, des fondations et des entreprises partenaires et a souligné ne pas recevoir d’argent de gouvernements.
L’OMS s’est donc appuyée sur ces données produites par ONE. De la même manière, les données utilisées par ONE dans ses travaux sont identiques à celles dont dispose l’OMS dans le cadre de son initiative MI4A (WHO Market Information for Access Initiative, une initiative lancée pour contribuer à la réalisation de l’objectif stratégique de développement 3.8 lequel correspond à l’objectif de couverture sanitaire universelle, NDLR).
« Le chiffre d’environ 0,2 %, relatif à la contribution africaine à l’offre mondiale de vaccins correspond en effet aux informations dont nous disposons sur la base de notre initiative MI4A, initiative lancée pour contribuer à la réalisation de l’objectif stratégique de développement 3.8 », a d’ailleurs précisé l’OMS.
En considération des données disponibles consultées par Africa Check, l’affirmation de Bassirou Diomaye Faye rapportant une contribution de 0,25 % pour l’Afrique à l’offre mondiale de vaccins est correcte.
Azil Momar LÔ
Lire l’article original sur Africa Check : https://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/bassirou-diomaye-faye-population-afrique-vaccins-forum-paris-vaccinnation-2024