Dans une vidéo largement partagée sur WhatsApp au Sénégal, une femme assure que boire du jus de bissap (hibiscus ou oseille de Guinée) suivi d’une infusion de gombo à des moments précis durant la période des menstrues peut stimuler la fertilité féminine et favoriser une grossesse. Qu’en est-il ?
La vidéo et son auteure
« Astuce gombo et bissap », peut-on lire en haut de l’écran dans cette vidéo d’une minute et demie qui circule sur WhatsApp, dans laquelle une femme d’origine africaine s’exprime en français.
Y sont indiqués ses pseudonymes pour TikTok et Instagram conduisant à divers comptes de réseaux sociaux reliés à la même personne, identifiée par son compte Facebook comme Awa Seke, une femme d’apparence jeune vivant à Barcelone, en Espagne. Elle prétend fournir des astuces en matière de « beauté et santé », et promouvoir une « solution avec les plantes ».
Aucune indication ne permet de dire si elle a une formation ou une qualification dans un domaine quelconque de la santé ou de la recherche concernant les plantes.
La vidéo « Astuce gombo et bissap » en question a été postée sur TikTok le 26 juillet 2022 et elle totalisait plus de deux millions de vues au 25 octobre 2022 alors qu’à la même date, le compte, lui, était suivi par quelque 815.000 personnes.
L’auteure du court film y prétend avoir déjà communiqué son « astuce » auparavant et avoir reçu « plus de 150 témoignages de grossesses » dans un délai de « seulement trois mois et demi ».
Sur sa « recette »
« La recette, c’est quoi ? Tu vas me prendre le bissap. Le bissap rouge. (…) Tu vas me prendre ça, tu vas mettre dans la marmite, tu vas rajouter de l’eau. Fais bien bouillir le bissap. Tu vas boire ça quand tu commences à saigner. Si tu commences à saigner aujourd’hui, bois ça jusqu’à ce que tu finisses de saigner », a déclaré la tiktokeuse. « À la veille du dernier jour de ton saignement, prends le gombo, tu découpes, tu mets dans la bouteille, tu rajoutes de l’eau. Tu fermes. Quatre fruits de gombo. Le lendemain, quand tes règles vont finir, bois-moi toute la bouteille-là. Tu n’es pas obligée de boire à la trompette. Tu peux boire, tu attends 30 minutes, mais le tout, c’est de finir la bouteille-là le même jour », a-t-elle ajouté, sans plus de précisions sur les dosages ou d’éventuelles contre-indications.
Cette « astuce » concerne les femmes en âge de procréer ayant du mal à concevoir alors que leurs consultations médicales montrent qu’elles n’ont « pas de problèmes » en la matière, a-t-elle souligné.
La « recette » serait donc un traitement pour améliorer la fertilité ou lutter contre l’hypofertilité, sans le dire en ces termes. L’hypofertilité est l’état d’une personne dont les chances de concevoir un enfant sont rendues faibles par divers facteurs.
Le bissap, aliment et boisson prisés
Au Sénégal, le bissap est le nom courant de l’hibiscus, encore appelé oseille de Guinée ou karkadé.
« Le bissap est utilisé dans l’alimentation humaine, en pharmacopée, dans l’industrie agro-alimentaire et textile. Il est exploité pour ses feuilles, ses calices, ses graines, ses fibres et ses racines », est-il détaillé dans la thèse de doctorat de troisième cycle en biologie végétale soutenue en 2012 par le chercheur sénégalais Meïssa Diouf.
Ce travail a été présenté à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar et est en accès libre dans la bibliothèque numérique de l’Ucad. Pour sa thèse, le biologiste s’est intéressé à la « diversité taxonomique et valorisation de quatre espèces de légumes-feuilles traditionnels de type africain » au Sénégal, dont le bissap (Hibiscus sabdariffa L.)
Plus de 500 espèces de cette plante sont consommées dans le monde, selon une étude sur les « compositions et principales utilisations » du bissap hibiscus sabdariffa L. menée par des chercheurs sénégalais et français. Le texte, mis en ligne en juin 2009, a été publié par la revue internationale de l’horticulture tropicale et subtropicale Fruits (The International Journal of Tropical and Subtropical Horticulture).
D’après cette étude, en fonction de plusieurs facteurs, les calices de différentes variétés de bissap présentent des teneurs plus ou moins élevées « en fer, sodium et potassium ». Cependant, selon le même document, ces parties de la plante constituent une très bonne source d’éléments essentiels tels que le calcium, le cuivre, le manganèse et le zinc.
Dans sa thèse, Dr Meïssa Diouf a également abordé la composition nutritionnelle de la plante, en mettant cependant moins l’accent sur les fleurs que sur les feuilles. Se fondant sur des travaux antérieurs, il a indiqué que les feuilles de bissap contenaient notamment des glucides, fibres, fer et acide ascorbique notamment.
Il a aussi évoqué des vertus prêtées à cette plante dans la pharmacopée, comme « ses actions antispasmodique (contre les crampes d’estomac et les spasmes intestinaux, par exemple, NDLR), hypotensive (qui fait baisser la tension artérielle, NDLR), vermifuge (contre les parasites intestinaux, NDLR), antimicrobienne (contre les maladies bactériennes, NDLR) et antifongique (contre les infections causées par des champignons microscopiques, NDLR) ».
Autre document consacré au bissap consulté par Africa Check : la thèse pour le doctorat en pharmacie soutenue en 2018 par la Sénégalaise Khady Badji à l’Ucad. Son travail, intitulé « Essai de formulation de pilules effervescentes à base d’extrait d’hibiscus sabdariffa L. », est aussi en accès libre sur le site de la bibliothèque numérique de l’Ucad. « L’objectif général était de proposer une formulation à base d’extrait sec d’Hibiscus sabdariffa ‘bissap’ à solubiliser dans l’eau froide (+4 °C) pour obtenir de façon instantanée du jus d’hibiscus », a-t-elle expliqué.
Comme dans les autres études sur cette plante, la thèse de Khady Badji mentionne les mêmes éléments dans la composition de ses calices, incluant vitamines, fer, calcium, potassium, cuivre.
Pour ce qui concerne ses propriétés thérapeutiques, a rapporté Dr Khady Badji, l’espèce Hibiscus sabdariffa « est utilisée dans la plupart des médecines traditionnelles aussi bien dans les pays du Sud que dans les pays du Nord. Néanmoins, seul un nombre limité de ces propriétés médicinales a fait l’objet d’études cliniques menées pour la majeure partie sur des animaux ».
Aucun des travaux sérieux consultés par Africa Check n’aborde la question d’une utilisation du bissap dans un quelconque traitement pour améliorer la fertilité ou lutter contre l’hypofertilité.
Le gombo, un aliment riche en vitamines
La Sénégalaise Aïssata Ngom a consacré sa thèse de doctorat en pharmacie à la « composition nutritionnelle de deux variétés de gombos consommées au Sénégal ». Dans son document, publié en 2019, elle renseigne que le gombo est particulièrement riche en calcium et en acide ascorbique.
De même source, les graines de gombo contiennent environ 20 % de protéines. Leur composition en acides aminés est comparable à celle des protéines du soja. Ils contiennent également 20 % de lipides, une composition comparable à celle de l’huile de graine de coton.
Dr Ngom a rapporté également que le gombo contribue à une grossesse saine, entre autres vertus qui lui sont attribuées. « Le taux élevé de vitamines A, B (B1, B2, B6) et C, ainsi que le zinc et le calcium contenus dans le gombo font de lui le légume idéal à consommer pendant la grossesse », peut-on encore lire dans sa thèse.
Ce légume, qui devient gluant à la cuisson, contient également de l’acide folique ou vitamine B9. Cette substance est très importante durant la grossesse pour le développement du fœtus, renseigne sur son site l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en France, une structure dépendant de plusieurs ministères dont ceux de la Santé, de l’Environnement et du Travail. La vitamine B9 « a un rôle important dans la formation des globules rouges, le fonctionnement du système nerveux (synthèse de neuromédiateurs) et du système immunitaire. Elle est nécessaire à la production de nouvelles cellules », explique l’Anses.
Comment une consommation de bissap puis de gombo peut-elle augmenter les chances d’avoir un enfant ?
Pour en savoir plus, Africa Check a sollicité Dr Armand Zagré, gynécologue obstétricien au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo à Ouagadougou, au Burkina Faso.
« Nous n’avons pas, à ma connaissance, ni dans la pratique, ni dans la littérature, des cas d’hypofertilité soignés par » la consommation de ces boissons de bissap et de gombo, a déclaré Dr Zagré, « nous ne pensons pas qu’il y ait un principe actif dans ces aliments pouvant avoir une action sur le fonctionnement des organes reproducteurs chez la femme ». Selon lui, ces aliments ne sont « pas répertoriés » comme efficaces sur la fertilité à sa connaissance.
Africa Check a également contacté sur le même sujet le Sénégalais Mouhamadou Moustapha Seck, gynécologue et accoucheur au centre de santé Nabil Choucair. Il a fait les mêmes observations que Dr Zagré, affirmant ignorer une telle méthode de traitement de l’hypofertilité : « À ma connaissance, il n’y pas d’étude scientifique qui en parle. »
Quelles peuvent être les causes d’une hypofertilité ?
Selon Dr Mouhamadou Seck, les causes de l’hypofertilité sont multiples. En dehors des anomalies congénitales ou acquises de l’organe reproducteur chez la femme, cette faiblesse de chance d’avoir un enfant peut être due à d’autres irrégularités liées au fonctionnement hormonal et aux habitudes alimentaires, notamment les écarts alimentaires pouvant conduire au surpoids et à l’obésité, ainsi que « les modes de vie du couple ».
« Il n’y a pas que la femme qui peut être concernée (par les questions de fertilité), l’homme doit aussi être pris en compte », a souligné le médecin sénégalais. « L’infertilité peut venir de l’homme, de la femme ou des deux » à la fois, a-t-il précisé. Il a ajouté qu’un problème psychologique pouvait également être un blocage à la fertilité.
Quels traitements favorisent la procréation ?
Il existe plusieurs moyens thérapeutiques dans la prise en charge de l’hypofertilité du couple, a indiqué Dr Armand Zagré, le gynécologue burkinabè.
Ces moyens vont des simples conseils apportés au couple à la prescription médicamenteuse, et jusqu’à la prise en charge par la FIV, la fécondation in vitro. « Chaque moyen utilisé dépend des causes à l’origine de cette hypofertilité, d’où l’intérêt du bilan, c’est-à-dire des examens complémentaires avant toute médication », a souligné Dr Zagré.
La FIV est une technique de procréation médicalement assistée, a expliqué sur son blog Dr Ibrahim Aïdibé, gynécologue-obstétricien sénégalais : « Elle consiste à féconder au laboratoire les ovules maternels par les spermatozoïdes afin d’obtenir des embryons qui seront replacés à l’intérieur de l’utérus ».
Conclusion : pas de preuve que boire du jus de bissap suivi d’une infusion de gombo peut stimuler la fertilité d’une femme
Dans une vidéo largement partagée sur WhatsApp au Sénégal, une femme très suivie sur les réseaux sociaux soutient que boire du jus de bissap (hibiscus ou oseille de Guinée) à des moments précis durant la période des menstrues peut stimuler la fertilité d’une femme et l’aider à tomber enceinte. Elle parle de « recette » et d’ « astuce », se gardant d’utiliser le terme « traitement ».
Africa Check a sollicité sur la question le gynécologue burkinabè Armand Zagré, basé à Ouagadougou, et son confrère sénégalais Mouhamadou Moustapha Seck, basé à Dakar. Tous deux ont indiqué ne pas avoir connaissance d’un tel traitement, ni dans leur pratique usuelle, ni auprès d’autres praticiens.
Africa Check n’a pu recueillir dans la littérature aucune preuve que la consommation de boissons à base de ces deux aliments – bissap, puis gombo – pouvait contribuer à faciliter la procréation.
Toutefois, la pharmacienne sénégalaise Aïssatou Ngom, qui a consacré sa thèse de doctorat à composition nutritionnelle de variétés de gombo consommées au Sénégal, a rapporté des vertus attribuées à ce légume durant la grossesse. Elle a notamment cité son « taux élevé de vitamines A, B (B1, B2, B6) et C », sa forte teneur en zinc et calcium ainsi qu’en acide folique ou vitamine B9, substance très importante pour le développement du fœtus.
Pour les propriétés thérapeutiques du bissap, une autre pharmacienne sénégalaise, Khady Badji, a indiqué que l’espèce Hibiscus sabdariffa est utilisée dans beaucoup de pays, “néanmoins, seul un nombre limité de ces propriétés médicinales a fait l’objet d’études cliniques menées pour la majeure partie sur des animaux ».
Diomma DRAMÉ
Lire l’article original sur Africa Check : https://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/rien-ne-prouve-que-boire-du-jus-de-bissap-suivi-dune-infusion-de-gombo-peut