Non, on ne peut pas parler de tensions entre chrétiens et musulmans à l’Extrême-Nord du Cameroun

Cameroun | France
Politique | Sécurité et défense | Société

12 Mar 2024

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En vulgarisant le conflit qui secoue cette partie du Cameroun depuis 2013, un internaute a publié sur X (ex-Twitter), fin février, une suite de messages imprécis. L’un d’eux prétend que la région est marquée par des tensions inter-religieuses. Après vérification, c’est faux.

Voilà plus de dix ans que l’Extrême-Nord du pays subi la guérilla qui oppose l’organisation jihadiste islamiste Boko Haram aux forces de sécurité camerounaises. C’est dans ce contexte qu’un internaute, @ntz_zoo, comptant près de 2 900 abonnés sur le réseau social X (ex-Twitter) a publié ce thread de sept tweets, le 24 février dernier. Il a été vu plus de 64 000 fois et retweeté 314 fois à cette date. 

« Du point de vue religieux, la région est caractérisée par une diversité confessionnelle, avec des tensions entre chrétiens et musulmans. Boko Haram a exploité ces divisions pour recruter des partisans et semer la discorde », peut-on notamment lire dans le thread. D’un point de vue politique, le compte évoque également le fait que « certains groupes se sentent marginalisés et mal représentés, ce qui crée des tensions supplémentaires ». Quelques internautes se sont interrogés sur la source de l’assertion selon laquelle des tensions entre chrétiens et musulmans sont à l’oeuvre dans la région. « Les musulmans et les chrétiens du grand Nord n’ont jamais été en conflit », considère par exemple @SalamatouMisra. 

L’un des sept tweets du thread visant à expliquer le contexte du conflit à l’Extrême-Nord du Cameroun. Capture d’écran/Factoscope

Le premier point, concernant une pluralité confessionnelle à l’Extrême-Nord du Cameroun, est vrai, confirme auprès de Factoscope Aïcha Pemboura, enseignante-chercheuse à l’École supérieure de la guerre de Yaoundé : « Une large majorité musulmane cohabite avec des chrétiens catholiques et protestants, ainsi qu’avec des Camerounais pratiquant des religions ancestrales. » 

En revanche, la suite de la phrase portant sur des présumées tensions inter-religieuses s’avère fausse. « Il n’existe pas de tensions confessionnelles entre chrétiens et musulmans. C’est une mauvaise information », contredit la chercheuse camerounaise. Présente il y a quelques semaines encore dans la région, Aïcha Pemboura assure même que chrétiens et musulmans « mènent une vie relativement pacifique ». Des propos confirmés à Factoscope par François Wassouni, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Maroua, à l’Extrême-Nord du Cameroun : « Sur le terrain, il n’y a pas de tensions manifestes, c’est faux. » Un autre chercheur à l’Université de Maroua, Adama Ousmanou, spécialiste des religions dans le lac Tchad et également contacté par Factoscope, va dans le même sens : « De façon ouverte, on ne peut pas parler de tensions. Les Églises et les Moquées ont conduit la population à éviter de penser que lIslam est contre le Christianisme. »

Boko Haram, organisation jihadiste islamiste nigérianne. Crédit : Publisagmo/Flickr

Dialogue inter-religieux

Une logique de dialogue inter-religieux qui existe dans la région depuis plusieurs années. Elle s’est intensifiée après 2013 et les premières actions offensives du groupe terroriste nigérian à l’Extrême-Nord du Cameroun. « Les acteurs religieux ont fait un gros travail, tous ensemble, pour pacifier les communautés et éviter que cela devienne une question inter-religieuse, en expliquant bien que lIslam est en cohabitation paisible avec les chrétiens. Cela a été très positif sur le terrain », évalue, auprès de Factoscope, l’agrégée de géographie Maud Lasseur, qui a rédigé une thèse sur les religions et les territoires au Cameroun. La chercheuse insiste notamment sur « le travail de fond des églises catholiques pour avoir de bonnes relations avec les protestants et les musulmans ». Si des problèmes peuvent apparaître, comme partout, les acteurs religieux parviennent largement à les contenir. 

Un rapport de l’observatoire Pharos, une association française qui étudie le pluralisme des cultures et des religions, intitulé Les identités plurielles au Cameroun : entre tensions et cohésions nationales, confirme ces propos. « Les enquêtés affirment dans l’ensemble qu’il existe peu de conflits inter-religieux à proprement parler. [] Plusieurs points de tensions sont toutefois soulignés qui relèvent plutôt d’enjeux intra-religieux », mentionne la page 48 du rapport. Pour cause, François Wassouni pointe que « sur le plan religieux, il existe plutôt des tensions entre certains musulmans de la région ». Par ailleurs, un rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG) de 2015, contient une carte du paysage religieux du Cameroun, où aucune tension inter-religieuse n’est mentionnée à l’Extrême-Nord.

Carte du paysage religieux au Cameroun. Capture d’écran du rapport de l’ONG International Cris Group de 2015

Si des problèmes marginaux entre religions peuvent exister, rien de spécifique à l’Extrême-Nord du Cameroun n’est à relever, comme le résume Aïcha Pemboura : « Les rares problèmes inter-religieux que l’on peut observer sont des problèmes très classiques, que l’on pourrait retrouver à une échelle différente partout dans le monde. »

Dimension religieuse marginale

La seconde partie du tweet, qui dit que « Boko Haram a exploité ces divisions pour recruter des partisans et semer la discorde », pose également question. Car cette région est particulièrement touchée par la pauvreté. « Ce sont des zones qui font face à beaucoup de vulnérabilité et où il y a une forme dabsence de l’État. L’État a très peu investi, beaucoup de jeunes ne sont pas allés à l’école », détaille François Wassouni. Et c’est ce sur quoi le groupe terroriste nigérian s’appuie le plus pour recruter. « La dimension religieuse n’est pas à exclure, mais elle est marginale. C’est essentiellement la détresse qui nourrit les rangs de Boko Haram. Ils aguichent des jeunes avec la promesse d’un avenir meilleur, de ressources illimitées », confirme également Aïcha Pemboura. « Aujourd’hui, c’est la faim qui prime et non l’idéologie », synthétise ainsi Adama Ousmanou. Le narratif de Boko Haram s’appuie par ailleurs sur un État camerounais corrompu qui sert l’intérêt de l’occident et non sur des tensions entre chrétiens et musulmans.

Ainsi, les chrétiens et les musulmans de l’Extrême-Nord du Cameroun vivent globalement en harmonie, ce qui contredit le propos mis en avant dans le tweet initial faisant état de tensions entre chrétiens et musulmans. C’est également davantage la survie que la religion qui motive les jeunes camerounais à s’engager pour Boko Haram.

Élias INSA (Factoscope)