Le 26 février 2024, Meyer Habib, député de la 8e circonscription des Français établis hors de France, a tweeté : « Près de 2 millions de Brésiliens dans les rues de São Paulo hier ! Ils sont écœurés par les propos négationnistes et immondes de Lula qui compare la guerre de légitime défense d’Israël aux crimes hitlériens du nazisme ! Les propos de Lula sont dignes du porte-parole du Hamas et du négationniste Mahmoud Abbas ! Il déshonore le Brésil ! Pourquoi ce silence de la France ! @EmmanuelMacron Pourquoi ce silence du Quai d’Orsay ! @steph_sejourne Pourquoi n’avons-nous pas convoqué l’Ambassadeur du Brésil ? Comment peut-on comparer l’extermination de 6 millions de Juifs dont 2 millions d’enfants dans le silence des nations, à l’état de guerre pour sa survie imposée au seul État juif après le plus grand pogrom de l’histoire ? La banalisation de la Shoah est une injure à toutes nos valeurs et à notre devoir de mémoire ! Avec la haine d’Israël chevillée au corps, Lula comme LFI sont les porte-voix de l’internationale islamiste ! ». Dans ce tweet vu par plus de 115 000 personnes (au 6 mars 2024), il reprend aussi un extrait vidéo de la manifestation dont il parle où figure un drapeau israélien.
Ce rassemblement a eu lieu sur l’avenue Paulista, à Sao Paulo, au Brésil le 25 février. Si l’on se fie aux propos du député, l’objet de cette grande déambulation est la défense d’Israël en réaction aux déclarations du président brésilien Lula tenues le 18 février 2024 lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba, en Éthiopie, où il était invité au sommet de l’Union africaine : « Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec le peuple palestinien ne s’est produit à aucun autre moment de l’histoire. En fait, cela s’est déjà produit : lorsque Hitler a décidé de tuer les juifs. »
Dans son tweet, Meyer Habib affirme également que la manifestation a réuni près de deux millions de personnes.
Près de 2 millions de Brésiliens dans les rues de São Paulo hier !
— Meyer Habib (@Meyer_Habib) February 26, 2024
Ils sont écœurés par les propos négationnistes et immondes de Lula qui compare la guerre de légitime défense d’Israël aux crimes hitlériens du nazisme !
Les propos de Lula sont dignes du porte-parole du Hamas et… pic.twitter.com/8wl8PEml8P
Pour vérifier ces informations, nous nous sommes d’abord adressés à Meyer Habib, mais le député n’a pas souhaité répondre. L’homme politique est coutumier des tweets et des déclarations ayant pour but de défendre l’État hébreu ou d’en attaquer ses détracteurs. Il suffit de jeter un œil à son compte X (ex-twitter) pour s’en rendre compte. Il prend pour cible, par exemple, ici, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine ou encore Mathilde Panot, la présidente du groupe La France Insoumise à l’Assemblée Nationale, là.
Pour vérifier les propos du député de la 8e circonscription des Français établis hors de France, il faut s’intéresser aux organisateurs de la manifestation du 25 février. Il s’agit des évangéliques, notamment une église évangélique pentecôtiste brésilienne très puissante l’Assembleia de Deus Vitória em Cristo (ADVEC) ou, en français, « l’Assemblée de Dieu Victoire en Christ ». Cette église est dirigée par le pasteur Silas Malafaia, un homme très populaire au Brésil et un des principaux soutiens de Jair Bolsonaro. Malafaia est également très proche de la figure politique d’extrême droite puisque c’est lui qui a officié lors de son mariage en 2013. Le pasteur a fortement contribué à la victoire de Jair Bolsonaro en 2018 puisque la communauté des évangéliques constitue la base électorale de l’ancien président. Selon un reportage de François Cardona intitulé « Brésil, Dieu a voté ! » diffusé dans l’émission « Envoyé spécial » le 8 novembre 2018 sur France 2, 70 % des évangéliques ont voté pour Bolsonaro en 2018. Un chiffre qu’Armelle Enders, professeure d’histoire contemporaine et spécialiste du Brésil contemporain à l’université de Paris 8, confirme.
Une occasion pour Bolsonaro de se défendre
La tenue de la manifestation a été annoncée par Jair Bolsonaro dans une courte vidéo diffusée le 13 février sur ses réseaux sociaux, relayée par Silas Malafaia et par tous les soutiens de l’ex-président. Elle est en brésilien, nous avons donc utilisé le logiciel Scribot.ai pour pouvoir la comprendre. Dans cette vidéo, où il est vêtu d’un maillot de l’équipe nationale de football brésilienne, l’ancien président déclare : « Bonjour, amis de tout le Brésil et spécialement de Sao Paulo. Le dimanche du 25 février, à 15 h, je serais à Paulista. Nous sommes en train de réaliser un acte pacifique en défense de notre État démocratique de droit. Je vous demande à tous de vous présenter en vert et jaune. Et surtout ne vous présentez pas avec une bannière ou une affiche contre qui que ce soit. À cette occasion, je veux me défendre de toutes les accusations qui m’ont été portées ces derniers mois. Plus que ces discours, une photo de vous tous, parce que vous êtes les personnes les plus importantes de cet évènement va être faite. Pour montrer au Brésil et au monde, notre unité, nos préoccupations, ce que nous voulons : Dieu, la patrie, la famille et la liberté. »
- Próximo 25/fevereiro/domingo.
— Jair M. Bolsonaro (@jairbolsonaro) February 12, 2024
- Av. Paulista, às 15 horas.
- Deus, Pátria, Família e Liberdade.
- Jair Bolsonaro. pic.twitter.com/RbDOOpnCMo
Dans cette courte déclaration, Jair Bolsonaro ne fait aucune mention d’Israël et met surtout en avant le fait qu’il va se défendre des accusations qui sont portées contre lui. Alors qu’il a déjà été condamné à huit ans d’inéligibilité pour « abus de pouvoir politique et usage indu des moyens de communication » fin juin 2023, l’ex-président est poursuivi depuis le 8 février pour des soupçons de « tentative de Coup d’État ». Cela est lié à « l’invasion de la place des Trois Pouvoirs », le 8 janvier 2023 lorsque le palais du Congrès national, le palais présidentiel du Planalto et le Tribunal suprême fédéral, situés sur la place des Trois Pouvoirs à Brasilia, capitale et siège du gouvernement fédéral du Brésil, ont été envahis et vandalisés par des partisans de l’ancien président de la République.
L’objet de la manifestation n’a donc pas, à l’origine, pour but de défendre Israël ou au minimum d’en parler. La question du conflit à Gaza est, à la base, hors de l’équation.
Jair Bolsonaro publie sur ses réseaux sociaux d’autres vidéos pour faire la publicité du rassemblement. Le 16 février, celui qui était au pouvoir entre 2019 et 2023, annonce : « Bonjour, amis du Brésil, il est prévu, le dimanche 25 février à 15 h, une grande rencontre à Paulista, un moment sérieux, discipliné pour l’État démocratique de droit, pour notre liberté. Je veux donc maintenant dire aux personnes qui ne peuvent pas y assister parce qu’elles vivent très loin, n’ont pas les moyens etc. Je veux appeler à ne pas bouger dans les autres municipalités, ni le matin ni l’après-midi. S’il vous plait, le mouvement est pour Paulista exclusivement. Ne participez à aucun mouvement en dehors de Sao Paulo, de Paulista. Collaborez avec nous, c’est une grande photo, un moment unique à montrer au monde, en vert en jaune, sans banderoles ou affiches. Que voulons-nous ? Dieu, la patrie, la famille et la liberté. Merci de votre compréhension. » Ici non plus, aucune mention d’Israël.
- Dia 25, evento na Paulista, apenas.
— Jair M. Bolsonaro (@jairbolsonaro) February 16, 2024
- Grato pela compreensão.
- Jair Bolsonaro. pic.twitter.com/MrxvXeig1f
Lula fait sa déclaration polémique le 18 janvier. Le jour-même et ceux d’après, Jair Bolsonaro et ses soutiens, notamment Silas Malafaia, réagissent à ces propos. L’ancien chef de l’État retweete la réaction, sur X, du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans lequel il déclare, en hébreu : « Les propos du président du Brésil sont honteux et graves. Il s’agit de banaliser l’Holocauste et de tenter de nuire au peuple juif et au droit d’Israël à se défendre. Comparer Israël à l’Holocauste nazi et à Hitler franchit une ligne rouge. Israël se bat pour sa défense et pour assurer son avenir jusqu’à la victoire complète et il le fait dans le respect du droit international. J’ai décidé avec le ministre des Affaires étrangères Israël Katz de convoquer immédiatement l’ambassadeur du Brésil en Israël pour une conversation de réprimande sévère. »
L’ex-président publie ensuite des tweets pour montrer qu’il défend l’État hébreu. Le premier, le 20 février, est intitulé « Brésil, Israël, nations sœurs » et est accompagné d’une vidéo où l’on voit des archives montrant Bolsonaro au côté de Benjamin Netanyahu. Le deuxième, le lendemain, il diffuse une vidéo d’archive de collaboration entre les Israéliens et les Brésiliens. Le post a pour seul texte : « Jair Bolsonaro à Israël : “nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous“ »
- Jair Bolsonaro para Israel: "jamais esqueceremos o que vocês fizeram por nós" pic.twitter.com/LW7bTTmM3f
— Jair M. Bolsonaro (@jairbolsonaro) February 21, 2024
Son ami Silas Malafaia a aussi mis en ligne des posts critiquant vertement Lula comme ici sur X le 18 février : « LA BOURDE MONSTRUEUSE DE LULA SUR ISRAEL ! En comparant l’holocauste, le nazisme et ce qui se passe avec ISRAEL vs HAMAS, on ne peut être que malade mental ou aliéné ou mauvais caractère ou les 3 à la fois. Demain, je vais poster une vidéo DURE ! Il faut être un trou du cul pour dire de telles conneries. ATTENDEZ ! » Il poursuit le lendemain en postant une vidéo intitulée « La monstrueuse bourde de Lula sur Israël ». Enfin, il dévoile au public, le 19 février, une « note de répudiation » écrite par le Conseil interconfessionnel des ministres évangéliques, que Malafaia préside, à l’encontre des propos de Lula.
NÃO PODEMOS DEIXAR PASSAR ESSE ABSURDO ! pic.twitter.com/7dFDYePo50
— Silas Malafaia (@PastorMalafaia) February 19, 2024
« D’un point de vue politique, tous les leaders d’extrême droite sont assez proches de Netanyahu et des Israéliens car Israël est contrôlé par la droite radicale depuis longtemps, explique Giancarlo Summa, chercheur en politique à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et directeur de la communication des Nations Unis au Brésil pendant neuf ans. Ce n’est pas quelque chose qui a commencé après le 7 octobre mais qui vient du début du bolsonarisme. Quand Jair Bolsonaro a été élu, Benjamin Netanyahu s’était notamment rendu à la cérémonie d’investiture. »
Armelle Enders, détaille, elle, pourquoi les évangéliques sont aussi proches de la cause israélienne : « Ils ont un rapport particulièrement fort avec Israël. Il y a une identification fictive sur la Bible, la Terre promise et les hébreux. Il y a une familiarité même superficielle très forte avec l’Ancien testament. »
Le quotidien libanais L’Orient-Le Jour a mis en ligne le 8 novembre 2018 un article intitulé « Pourquoi le Brésil est désormais un allié d’Israël » qui détaille les raisons de ce lien si fort entre évangéliques brésiliens et Israël.
Même après le 18 février, pas de mention d’Israël
Le prédécesseur de Lula a publié, le 23 février sur X, une dernière vidéo afin d’encourager les gens à se rassembler le 25 février. Bien que la polémique soit arrivée cinq jours avant, Jair Bolsonaro n’en fait pas mention et continue à appeler les manifestants au pacifisme. Dans cet enregistrement, qui dure 31 secondes, le leader d’extrême droite raconte : « Amis de tout le Brésil, en particulier de notre Sao Paulo. Aujourd’hui est vendredi 23 février. Dans deux jours, dimanche prochain, à 15 h, ce sera notre rendez-vous à Paulista. Un acte pacifique pour notre État démocratique de droit, pour notre liberté, pour notre famille et pour notre avenir. Je renforce donc cette invitation. J’espère vous voir dimanche prochain à trois heures de l’après-midi à Paulista. Je vous embrasse tous. »
Le député se trompe
Meyer Habib a tort. Les militants étaient réunis sur l’avenue Paulista, à Sao Paulo, le 25 février pour soutenir l’ancien président de la république brésilienne notamment face aux accusations de Coup d’État qui le visent. L’intéressé a d’ailleurs pris la parole pendant la déambulation pour parler de ce sujet : « C’est quoi un coup d’État ? Des tanks dans la rue, des armes, des conspirations… Rien de tout cela n’a été fait au Brésil. » L’objet de la manifestation n’était donc pas de défendre Israël. Il faut cependant noter que, pendant le rassemblement, des drapeaux israéliens étaient présents comme le montre la vidéo reprise par Meyer Habib ; et que Jair Bolsonaro est monté à la tribune avec un drapeau de l’État hébreu. Si Meyer Habib avait dit que les manifestants venus soutenir Bolsonaro en ont profité pour démontrer, suite aux propos de Lula, leur soutien à Israël, là l’information aurait été vraie.
Enfin, le député se trompe lorsqu’il prétend que la manifestation a rassemblé « deux millions de Brésiliens » puisqu’au Brésil, même si deux chiffres très différents ont été rendus publics, on est loin des deux millions. En effet, d’un côté le Secrétariat à la sécurité publique de São Paulo (SSP), proche de Bolsonaro, affirme que 600 000 personnes étaient présentes (750 000 au total, en tenant compte du public des rues avoisinantes) tandis qu’un organisme indépendant, le Moniteur du débat politique dans l’environnement numérique (Monitor do Debate Político no Meio Digital), affilié à l’université de Sao Paulo, a calculé qu’environ 185 000 personnes se trouvaient sur l’avenue au moment le plus fort de la manifestation.
Peu importe qui des deux entités a raison, Meyer Habib, lui, a aussi tort sur ce point.