Le contexte
Invité sur CNEWS, le 2 novembre 2024, Michel Onfray, philosophe et essayiste, a affirmé que les syndicalistes cheminots avaient collaboré avec les Allemands pendant l’Occupation, notamment entre 1939 et 1941. « Moi je rappelle que cette gauche de la SNCF, ce serait bien qu’on fasse un peu d’histoire et qu’on lui rappelle que pendant le pacte germano-soviétique, 1939, 1940, 1941, elle a collaboré », explique-t-il. Le député insoumis Carlos Martens Bilongo a relayé un extrait vidéo de cette intervention, vu plus de 60 000 fois. Les propos de Michel Onfray ont également été relayés sur X par Johan Faerber, chercheur en littérature, qualifiant ce discours d’« ahurissant » dans une publication vue plus de 600 000 fois et ayant fait réagir plus de 400 personnes en commentaires.
Les propos de Michel Onfray ont été tenus dans le cadre de la polémique autour de la publicité du livre de Jordan Bardella, président du parti d’extrême droite le Rassemblement national, dans les gares de France. Cette publicité a été dénoncée par les syndicats CGT Cheminots et Sud Rail. L’affirmation de Michel Onfray a entraîné une réaction de la CGT Cheminots et du Parti communiste français, qui ont publié un communiqué commun, glorifiant le rôle de la résistance cheminote. « Les historiens ont montré que la Résistance cheminote a en effet été si large qu’elle a débordé le cadre des seuls cheminots syndiqués et communistes, mais c’est là où la CGT et le PCF étaient les plus forts que la Résistance fut la plus marquée. La seule démonstration que fait Michel Onfray en tenant de pareils propos, c’est sa volonté de réécrire l’Histoire », indique le communiqué.
Contacté, Michel Onfray n’a pas répondu à nos sollicitations.
Capture d’écran du communiqué commun entre la CGT et le PCF effectuée le 5 décembre 2024.
Vérification
Pour confirmer ou infirmer ce propos, il faut revenir sur le contexte de l’époque. Quand Michel Onfray parle de « la gauche de la SNCF » et des « syndicalistes », seule la CGT est concernée, Sud Rail ayant été fondé en 1996, selon le site de Solidaires, et les autres syndicats ne s’étant pas prononcé sur la question de la publicité du livre de Jordan Bardella.
En 1939, lorsque le pacte germano-soviétique, un traité de non-agression entre l’Allemagne nazie et l’URSS, est signé, le gouvernement français décide alors de réprimer ceux qui refusent de le dénoncer. Le Parti communiste français est ainsi interdit le 26 septembre 1939. La veille, la direction de la CGT décide également l’exclusion des communistes du syndicat, avant même l’occupation. Communistes dont la représentation diffèrent selon les branches de la CGT, mais qui sont majoritaires à cette époque chez les cheminots, selon Morgan Poggioli dans son article publié dans la revue Vingtième Siècle, Revue d’histoire en 2016 et intitulé « La CGT et la répression antisyndicale (août 1939-décembre 1940) ». L’arrivée du gouvernement de Vichy au pouvoir marque un arrêt dans les activités du syndicat : la CGT est dissoute le 16 août 1940 par un décret, encore disponible aujourd’hui sur Légifrance. Mais à ce stade, elle a déjà perdu l’immense majorité de ses adhérents, comme le rappelle L’Humanité, depuis le Front populaire en 1936.
Pour autant, certains collaborent en effet. René Belin, animateur d’une tendance anticommuniste au sein de la CGT, devient ministre du Travail de Vichy comme le rappelle FranceArchives. Mais neuf syndicalistes de la CGT, dont des communistes exclus un an plus tôt, se réunissent avec trois militants de la CFTC, et signent le manifeste des douze, s’opposant publiquement au régime de Vichy. Mais si plusieurs fédérations de la CGT sont représentées, les cheminots ne le sont pas, et pour cause.
Le dirigeant historique de la CGT cheminot, Pierre Semard, exclu en 1939 car communiste, est en prison de 1939 jusqu’à son exécution par les Allemands en 1942, indique le site de la SNCF. Mais nombre de cheminots résistent, notamment grâce au sabotage, de manière indépendante donc puisque les syndicats n’existent plus. Dans son ouvrage « Les cheminots dans la résistance, 1940-1945 », l’historien Thomas Fontaine chiffre à 2 229 le nombre de cheminots victimes de la répression nazie.
Mais d’autres prendront des initiatives individuelles. Par exemple, Jean Catelas, communiste et syndicaliste exclu en 1939 de la CGT, tente, entre octobre 1939 et octobre 1940, de refonder des syndicats de cheminots communistes. Il sera guillotiné le 24 septembre 1941. Sa biographie est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.
Contrairement au Parti communiste français, qui a continué de vivre dans la clandestinité, la CGT n’est reconstituée qu’en 1943, avec les accord du Perreux, racontés par L’Humanité, après la réunification de toutes les composantes du syndicat d’avant-guerre, communistes inclus. Après-guerre, ce sont les syndicalistes résistants qui prendront la tête de la CGT et de la CGT cheminot. Raymond Tournemaine, qui prend la tête de la fédération des cheminots, était déjà responsable de la Fédération clandestine des cheminots sous l’Occupation et s’était évadé d’une prison allemande. La frange anticommuniste donnera naissance à une autre syndicat après-guerre, Force ouvrière, syndicat qui n’a pas dénoncé la publicité du livre de Jordan Bardella dans les gares.
De plus, la CGT d’aujourd’hui s’est donc bâtie sur l’héritage des résistants et non pas sur le syndicat légaliste qui a collaboré. Ainsi, l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT ne fait même pas mention de la CGT légaliste et collaborationniste.
Conclusion
Des cheminots syndicalistes ont résisté et se sont battus, d’autres l’ont fait en dehors du cadre syndical, et d’autres cheminots, syndicalistes ou non, ont aussi collaboré. Il est donc faux de d’affirmer comme le fait Michel Onfray que « cette gauche de la SNCF a collaboré ». De plus, parmi les syndicats attaqués par Michel Onfray, seule la CGT existait à cette époque, mais elle était dissoute lors de la période qu’il cite.