Non, les monnaies numériques ne vont ni « expirer » ni appauvrir la population

Roumanie
Institutions | Politique | Société

4 Juin 2024

6 minutes de lecture
Une information récemment publiée par des sites web roumains indique que la monnaie numérique des banques centrales deviendra obligatoire et qu’elle « expirera » ensuite, faisant disparaitre les économies des citoyens. Après vérifications, y compris auprès de la Banque centrale européenne, la nouvelle s’avère être de la désinformation.
Contexte 

L’un des thèmes récurrents de la théorie du complot est celui du contrôle financier mondial grâce aux méthodes numériques (cartes, puces, codes numériques personnels). Récemment, le débat sur le danger de la monnaie numérique de la banque centrale (CBDC), une idée encore en phase de projet, est revenu sur le devant de la scène.

Les craintes suscitées sur plusieurs sites internet étrangers et roumains font référence à un contrôle total des activités financières individuelles. Le message qui circule se résume à « ils veulent tout vous prendre », comme l’indique le titre du clip partagé par klagemauer.tv, un portail conspirationniste suisse qui publie en 24 langues.

Dans la toile roumaine, le site d’information Active News a publié le 30 avril 2024 un article intitulé « Un rapport du Forum économique mondial, récemment publié, soutient l’introduction des monnaies numériques des banques centrales et des identifications numériques, à travers une collaboration publique-privée dans le domaine financier ». En donnant l’impression d’une analyse sérieuse, on induit plusieurs lignes d’interprétation du rapport : « Le Forum économique mondial, un groupe informel d’élites mondiales, semble savoir que les CDBC en général sont une proposition controversée pour le public et pourraient tenter de contrôler sa vision de l’implication de l’organisation mondialiste élitiste, car cela pourrait nuire à son image d’être considéré comme le principal moteur de ces projets controversés. » Selon l’auteur, le projet CDBC est non seulement « controversé », mais aussi « mondial », ce qui relève traditionnellement du vocabulaire des complots. De plus, il ne semble pas y avoir d’auteur réel a cet article, car on le retrouve formule exactement de la même façon sous une autre signature et en anglais sur le site Reclaim the Net.

 

Plus tôt en avril, des fragments d’une interview d’un « avocat spécialisé en fiscalité et crypto-monnaies » ont été diffusés et repris par plusieurs autres sites d’information roumains. Selon un article du site business24.ro du 25 avril 2024, l’avocat se dit « effrayé » par la perspective de monnaies numériques qui expireront ou, comme l’explique la publication, « seront mises en circulation avec une durée de validité limitée ».

Le site d’information r3.media, reprenant l’info, précise que la monnaie numérique sera imposée par les banques nationales et « peut expirer à tout moment, à la demande de l’UE ». L’un des sous-titres est révélateur : « Avocat : la monnaie numérique, un danger ».

Comme on peut observer sur la capture d’écran, le site mentionne que les déclarations « explosives » sont extraites du site Ziare.com, l’un des agrégateurs d’informations les plus importants de Roumanie, qui a un trafic et une visibilité beaucoup plus élevés. Ziare.com a publié l’article le 25 avril 2024, en plaçant entre guillemet des propos de M. Sergiu Vasilescu, avocat spécialisé en crypto-monnaies, qui aurait tenu ces propos dans une interview publiée par une chaîne YouTube roumaine. Mais ceci sans lien direct vers cette interview.

 

Le message de cette information diffusée pendant plusieurs jours fin avril 2024 sur plusieurs sites plus ou moins fréquentés, mais aussi sur les réseaux sociaux, est un avertissement quant à la volonté de l’Union européenne de contrôler, dans un avenir proche, l’argent et les comptes de la population.

 

Vérification

La CBDC n’est pas une crypto-monnaie, elle ne fonctionne donc pas comme un élément de valeur fixe sur un échange. Il s’agit d’une monnaie numérique du portefeuille des banques centrales qui pourrait, à l’avenir, devenir complémentaire des autres systèmes de paiement des États qui l’adoptent. La CBDC ne remplacera pas la monnaie nationale, mais constituera une alternative numérique 1 pour 1, sans retirer le papier-monnaie de la circulation. Dans le cas de la zone euro, par exemple, la Banque centrale européenne pourrait adopter un euro numérique, et la Banque d’Angleterre envisage ce qu’on appelle la livre numérique. En accédant aux sites Internet des deux institutions, on constate que la monnaie numérique est encore au stade de projet et qu’elle est considérée comme un instrument de paiement alternatif.

Comme les informations diffusées font expressément référence à la possibilité pour l’UE de raccourcir la durée de validité des monnaies numériques et de contrôler les comptes personnels des citoyens européens, nous avons vérifié les informations sur le site Internet de la Banque centrale européenne (www.ecb.europa.eu), qui possède tout un dossier remontant à 2020 concernant le projet d’euro numérique (https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/Report_on_a_digital_euro~4d7268b458.en.pdf), dans lequel sont analysés les avantages, les inconvénients et les risques potentiels de cette approche. Dans le chapitre sur l’évaluation des risques, le texte précise qu’ « un euro numérique représentera une forme sans risque de monnaie de banque centrale (c’est-à-dire une forme numérique de représentation de l’argent liquide), ce qui signifie qu’il est émis par la banque centrale et reste sous sa responsabilité en chaque moment ».

En d’autres termes, l’Eurosystème est responsable envers les citoyens européens pour que la valeur des instruments qu’il émet reste inchangée dans le temps (c’est-à-dire qu’un euro aujourd’hui équivaut à un euro demain, que ce soit en espèces ou sous forme d’euro numérique), et que la quantité de biens et de services qu’on peut acheter avec de tels instruments – c’est-à-dire le « pouvoir d’achat » de la monnaie émise par la banque centrale – ne  fluctue pas au-delà d’un seuil prédéfini.

 

Pour l’instant, indique le document, la mise en œuvre est testée dans le cadre d’un processus aussi transparent que possible, nous ne pouvons donc pas encore parler de l’existence d’une CBDC européenne. Et la prémisse de laquelle part l’actualité que nous analysons, à savoir que la monnaie numérique commune ou nationale pourrait « expirer » à la demande de l’UE, est absurde, tant que la définition même de la CBDC est « une alternative numérique à la monnaie nationale ».

Conclusion

La monnaie numérique européenne n’a pas encore été mise en œuvre, elle est actuellement au stade de projet et l’objet de discussions transparentes à partir de 2020. La possibilité de perdre sa valeur ou de disparaitre à la demande de l’UE est exclue, car une monnaie nationale (le leu roumain, par exemple) ou commune (euro) ne peut pas « expirer ». Par conséquent, les avertissements émis concernant l’appauvrissement futur de la population à travers le CRBC constituent une désinformation.

 

La rédaction

Lire l’article original sur RomaniaCheck  : https://www.rador.ro/2024/06/04/non-les-monnaies-numeriques-ne-vont-ni-expirer-ni-appauvrir-la-population/