Comme son nom l’indique, l’édition de gènes consiste à modifier délibérément les gènes d’un organisme en ajoutant, en modifiant ou en effaçant de petits fragments d’ADN à des endroits très précis du génome. C’est la définition qu’en donne une analyse de l’état des connaissances produite par le Parlement européen en 2022. Cette technologie permet aussi d’effacer de plus gros fragments d’ADN et même d’insérer des gènes entiers, ajoute Santé Canada dans son avis scientifique sur la réglementation des produits végétaux issus de l’édition génique, également publié en 2022.
La technique d’édition de gènes la plus connue est sans doute CRISPR-Cas9. Depuis son entrée en scène en 2012, on la présente comme une approche d’édition de gènes avec une précision de loin supérieure à tout ce qui existait auparavant.
L’édition de gènes peut avoir différents objectifs : augmenter la qualité et le rendement d’une culture, la rendre résistante à différents pathogènes ou ravageurs, lui permettre de mieux tolérer les herbicides, modifier sa composition nutritionnelle ou même, lui donner des caractéristiques qui plaisent aux consommateurs.
En 2022, 63 espèces de plantes issues de l’édition de génome avaient fait l’objet de publications scientifiques, selon le résumé des experts européens. L’édition de gènes a notamment été utilisée pour produire des plants de soya riches en acide oléique, donnaient en exemple l’an dernier des chercheurs coréens dans un article où ils analysaient les impacts de cette technologie sur la science de la sélection végétale.
Selon Santé Canada, l’édition a aussi été utilisée avec succès pour plusieurs plantes en agriculture comme la canne à sucre, les agrumes, les raisins, le lin, le blé, le tabac, les pommes de terre, le coton et le maïs. Toutefois, il est important de rappeler que très peu d’aliments qui en sont issus se sont rendus jusqu’à la mise en marché, et qu’aucun n’est actuellement en vente au Canada.
Édition génique : de nouveaux OGM?
Comme leur nom l’indique, les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont des êtres vivants dont le matériel génétique a été altéré. C’est en gros la définition qu’on peut lire en différents endroits, depuis le Collège d’agriculture de l’Université Purdue jusqu’à la section « éducation » du National Geographic en passant par l’Encyclopédie Britannica. Selon cette définition, le produit de l’édition de gènes pourrait donc être considéré comme un OGM.
Cependant, pour la plupart des gens, un OGM fait plutôt référence à un organisme dans lequel on a introduit un gène étranger, aussi appelé « transgène ». C’est d’ailleurs la définition proposée par le gouvernement du Québec qui mentionne qu’un « OGM est un être vivant dont le matériel génétique a subi une transformation spécifique par la méthode appelée transgénèse ».
L’insertion d’ADN étranger permet à la plante d’acquérir de nouvelles fonctions. Par exemple, on pourrait introduire un gène de bactérie qui rendrait la nouvelle variété résistante à un insecte. La transgénèse se fait souvent grâce à des méthodes qui ont été développées à partir des années 1980, où l’ADN étranger s’insère de façon aléatoire dans le génome.
Les experts européens soulignent à ce sujet que la plupart des applications d’édition génique ne nécessitent pas l’introduction d’ADN étranger. Dans la majorité des cas, les changements dans l’ADN pourraient en fait survenir naturellement, au contraire de ceux réalisés par transgénèse.
Agriculture conventionnelle et mutations naturelles
Par ailleurs, ces débats font parfois oublier que les modifications génétiques font partie intégrante des méthodes traditionnelles de sélection végétale employées par les agriculteurs. Depuis les débuts de la domestication des plantes au Moyen-Orient il y a environ 10 000 ans, les humains sélectionnent les variétés possédant des caractéristiques désirables. Historiquement, celles-ci sont donc des mutantes apparues spontanément dans la nature.
Des modifications dans le génome peuvent en effet apparaître spontanément, pour différentes raisons. Les chercheurs coréens donnent comme exemples les erreurs qui peuvent se produire lors de la réplication de l’ADN, les mutations induites par des substances présentes dans l’environnement, l’activité d’un transposon (fragment d’ADN qui peut se déplacer de façon autonome, surnommé « gène sauteur »), les échanges de matériel génétique entre deux chromosomes lors de la production des cellules sexuelles, etc. Certaines bactéries symbiotiques des plantes, comme Agrobacterium, peuvent aussi intégrer des fragments de leurs gènes dans le génome de leur hôte. Une étude publiée par des chercheurs français en 2014 a également démontré la présence de fragments d’ADN viral dans certaines plantes qui se seraient installés lors d’infections passées.
Les mutations sont communes dans la nature. Par exemple, le rapport du Parlement européen estime que dans un seul plant de blé, 238 altérations génétiques arrivent spontanément à chaque génération.
Par ailleurs, dans les années 1950, on avait commencé à utiliser l’irradiation et les produits chimiques pour augmenter le taux de mutation, remarque Santé Canada. Plus de 3000 variétés de plantes ont ainsi été créées grâce à des radiations ionisantes. C’est le cas du blé dur, de l’orge Golden Promise et des poires résistantes aux pathogènes.
L’édition génique : moins risquée ou non?
Bref, qu’il s’agisse de végétaux produits par des méthodes conventionnelles, par édition génique ou par un procédé de transgénèse, ces plantes comportent toutes des modifications de leur génome. Le nombre de mutations est toutefois moins élevé dans le cas de l’édition de gènes, parce que les techniques permettent une intervention beaucoup mieux ciblée.
Par exemple, lors de la mutagénèse avec des produits chimiques, environ 600 mutations s’accumulent dans le génome alors que l’utilisation de CRISPR-Cas ne produit qu’une seule mutation à la fois: c’est la raison pour laquelle on le présente depuis 2012 comme un « ciseau génétique » aussi précis.
Santé Canada ajoute que l’édition génique est plus précise que les techniques de transgénèse, ou même que les techniques agricoles traditionnelles, puisque la localisation de la modification dans le génome est prédéterminée. Le nombre de changements non intentionnels est donc moins grand qu’avec les techniques conventionnelles ou la transgénèse.
Malgré la grande précision des technologies d’édition du génome, les experts européens reconnaissent qu’il peut parfois y avoir des modifications dites « hors cible », c’est-à-dire que l’édition a lieu sur un autre site que prévu dans le génome. Cela pourrait introduire des caractéristiques inattendues et altérer le profil de risque, confirme aussi Santé Canada.
Cependant, ce risque existe aussi pour toutes les autres méthodes de sélection végétale. En effet, lors de la sélection traditionnelle des plants, le matériel génétique subit plusieurs changements imprévus avant d’arriver au résultat voulu.
Édition génique : des règlementations moins strictes?
Comme les techniques d’édition du génome sont relativement récentes, il subsiste beaucoup d’incertitude sur la façon de réglementer. Mais puisque les modifications introduites de cette façon imitent des mutations qui pourraient survenir dans la nature —pas d’introduction de gènes étrangers— les cultures qui en sont issues sont généralement soumises à une réglementation moins stricte, observent les chercheurs coréens.
C’est le cas au Canada. En effet, selon la loi canadienne, un aliment est considéré comme « nouveau » en fonction de ses caractéristiques finales et non de la technologie utilisée pour le développer. Puisque les plantes issues de l’édition génique ne sont pas différentes des plantes obtenues par des méthodes agricoles traditionnelles, elles ne sont pas considérées comme nouvelles et n’ont donc pas à être évaluées avant leur mise sur le marché, à condition de ne pas contenir de fragments d’ADN étranger.
Édition génique : plus difficile à détecter que les OGM
Les OGM, ou plantes transgéniques, sont faciles à détecter, justement en raison de cette présence d’ADN étranger. À l’inverse, il n’y a pas de façon de différencier les plantes issues de l’édition génique des plantes sélectionnées par l’agriculture conventionnelle, puisque les modifications introduites auraient aussi pu être le résultat d’une mutation spontanée.
Ces cultures éditées pourraient ainsi « contaminer » les cultures certifiées biologiques dont un des critères est de ne pas contenir « d’OGM ». En mai dernier, dans un article du journal agricole La Terre de chez nous, le président du syndicat des producteurs de grains biologiques du Québec mentionnait qu’il souhaiterait la mise en place de marqueurs génétiques pour qu’il soit plus facile d’identifier les variétés issues de l’édition génique.
Kathleen COUILLARD
Lire l’article original sur Agence Science Presse : https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/detecteur-rumeurs/2023/08/23/edition-genique-ogm-synonymes-depend