Le 4 janvier 2023, Bougane Guèye Dany, chef d’une coalition politique de l’opposition au Sénégal, a organisé une rencontre avec des médias sénégalais dans le but d’expliquer sa vision de la politique et du Sénégal. Durant la conférence, il a abordé plusieurs sujets, en mettant l’accent sur le secteur de la santé, dont il a tenté de relever les défaillances. « Au Sénégal, il n’existe que deux neurochirurgiens », a-t-il notamment déclaré, s’exprimant en wolof (écouter à partir de 59mn 55s).
Le président du mouvement politique sénégalais Gueum sa bopp (autre orthographe, « Gëm sa bopp »), qui signifie « Croire en soi » en wolof, une des langues nationales du Sénégal, a déjà annoncé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle prévue en 2024.
Qu’est-ce qu’un neurochirurgien ?
Les neurochirurgiens diagnostiquent, évaluent et opèrent les troubles affectant le système nerveux central (cerveau et moelle épinière) et le système nerveux périphérique, qui peuvent toucher n’importe quelle partie du corps, peut-on lire sur le site des services de santé publique du Royaume-Uni (National Health Services).
La neurochirurgie prend donc en charge au plan chirurgical un large éventail d’affections ou infections telles que les traumatismes, les tumeurs, les accidents vasculaires cérébraux, etc.
Par exemple, dans certains districts sanitaires au Sénégal, la présence d’un neurochirurgien permet de prendre en charge les traumatismes crâniens causés surtout par des accidents de motos, mais aussi tous les patients souffrant de mal de dos et d’autres maux.
Données du ministère de la Santé et de l’Ordre national des médecins
Bougane Guèye Dany, l’opposant à l’actuel président sénégalais Macky Sall n’a pas donné suite à nos sollicitations. Quant à la cellule de communication du mouvement, elle n’a souhaité faire aucun commentaire, soulignant qu’elle assumait les propos de son président. Si nous obtenons des réponses de Guèye ou des précisions de son mouvement, cet article sera mis à jour.
De son côté, la Direction des ressources humaines du ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) indique que 23 neurochirurgiens opérant au Sénégal figuraient dans la base de données du personnel médical en 2022.
Le docteur Boly Diop, président de l’Ordre national des médecins du Sénégal (ONMS), a de son côté fourni des données plus actuelles. « Le tableau de l’ONMS compte 30 neurochirurgiens. 28 exercent dans le secteur public et 2 exercent dans le secteur privé », affirme-t-il.
Concernant la différence entre les effectifs de neurochirurgiens enregistrés par le ministère de la Santé et de l’Action sociale et ceux recensés par l’Ordre national des médecins du Sénégal, la Direction des ressources humaines du ministère a expliqué que sa base de données ne dénombrait que des neurochirurgiens intervenant dans le secteur public. Ce n’est pas le cas de l’ONMS, qui recense tous les professionnels de la neurochirurgie, aussi bien ceux exerçant dans le secteur public que ceux exerçant dans le secteur privé.
Le professeur Momar Codé Ba est le chef du service de neurochirurgie au Centre hospitalier national universitaire (CHNU) de Fann, à Dakar, et le coordonnateur du diplôme d’études spécialisées de neurochirurgie à la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar. Il confirme que le ministère de la Santé ne recensait que les neurochirurgiens exerçant dans le secteur public. Cependant, d’après lui, il peut arriver que le ministère ne soit pas au courant des personnes qui, au cours d’une année, ont soutenu leur mémoire et acquis le titre de neurochirurgien.
En outre, l’ONMS et le MSAS prennent du temps pour identifier ceux qui choisissent de ne pas travailler dans la Fonction publique, poursuit Momar Codé Ba.
Le ministère de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal est en train de rassembler des données exhaustives du personnel médical à travers un recensement de tous les professionnels du système de santé, assure Ndèye Coumba Thiam, gestionnaire ressources humaines au sein de ce département ministériel.
Des piétons passent devant l’entrée du Centre hospitalier national universitaire de Fann, à Dakar, le 2 mars 2020. Seyllou / AFP
Momar Codé Ba souligne que le Sénégal comptait ou compte ? neuf 9 professeurs agrégés en neurochirurgie, dont 2 ayant récemment pris leur retraite et travaillant dans le privé. À ce jour, la Faculté de Médecine de l’Ucad a formé près de 85 neurochirurgiens de 17 nationalités différentes, ajoute-t-il.
Déficit de neurochirurgiens au Sénégal
« Au Sénégal, il y a actuellement 27 neurochirurgiens pour plus de 17 millions d’habitants, soit 1 pour presque 700 000 habitants, rapporte l’interne des hôpitaux en neurochirurgie Aïssatou Kébé. : Nous sommes alors loin des objectifs .»
Plus précisément, en faisant le ratio entre les 27 neurochirurgiens et les 17 millions d’habitants (estimation) du Sénégal, cela fait un neurochirurgien pour 629 000 habitants, détaille Momar Codé Ba. Une estimation confirmée par Souleymane Sonko, statisticien-économètre pour l’ONG Eclosio, qui s’est fixée « pour mission d’impulser la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées par l’exclusion et les inégalités et l’engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques actuels ».
Selon Momar Codé Ba, « le ratio normal est de 1 neurochirurgien pour 200 000 habitants », ce qui implique qu’« il faut donc trois fois plus de neurochirurgiens au Sénégal ».
Ce « ratio normal » évoqué est tiré d’un document publié en 2002 dans l’African Journal of Neurological Sciences (en français : Revue africaine des sciences neurologiques), une parution semestrielle de Pan African Association of Neurological Sciences (PAANS, l’Association panafricaine des sciences neurologiques en français).
Pas de ratio standard sur la densité des neurochirurgiens
Mais cette étude publiée en 2021 (voir le paragraphe 9), témoigne de l’absence d’un ratio standard actualisé de la densité de neurochirurgiens par régions du monde. Selon elle, « la collecte de données sur la densité des effectifs neurochirurgicaux demande beaucoup de temps et est difficile à maintenir à long terme par une seule institution universitaire ». De fait, « l’idéal serait de mettre en place un mécanisme permettant à chaque pays d’introduire ses propres données dans une base de données commune conservée au siège de la Fédération mondiale des sociétés de neurochirurgie », recommande l’étude.
Humphrey Karamaji est responsable technique principal du Bureau de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Afrique. Il est l’un des auteurs d’une étude, publiée en mai 2022, intitulée « Estimation du seuil des densités de personnels de santé vers la couverture sanitaire universelle en Afrique. »
« Le seuil dont nous avons besoin dans la région Afrique est en moyenne de 7,77 médecins (généralistes et spécialistes) pour 10 000 habitants (voir le tableau 5 de l’étude pour plus de détails) », avance-t-il.
Aux États-Unis, le nombre moyen de neurochirurgiens était de 1,47 neurochirurgien pour 100 000 habitants, selon une étude parue en 2021, portant sur « une analyse géospatiale des disparités dans la répartition géographique » de ces praticiens spécialisés dans ce pays d’Amérique du Nord.
Dans le même domaine de recherche et la même année ont été publiés des résultats d’autres travaux sur des données de 2019. Cette étude est intitulée Emphasizing the Role of Neurosurgery Within Global Health and National Health Systems: A Call to Action (en français : Souligner le rôle de la neurochirurgie dans la santé mondiale et les systèmes de santé nationaux : appel à l’action ). Elle rapporte que l’Indonésie a un ratio de neurochirurgiens d’un pour 731 000 habitants ; que la Malaisie en a un pour 210 000 habitants et les Philippines, un pour 807 000 habitants, tandis que ce chiffre est d’un pour 13 000 pour le Japon, et un pour 37 000 pour Taïwan.
Jusqu’au 31 janvier 2023, le ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale avait recensé 23 neurochirurgiens exerçant dans le pays, et l’Ordre national des médecins du Sénégal (ONMS en totalise, 30. Cette différence de chiffres s’explique par le fait que le ministère ne dénombre que des neurochirurgiens intervenant dans le secteur public, tandis que l’ONMS recense tous les professionnels de la neurochirurgie, secteurs public et privé confondus.
Par ailleurs, Momar Codé Ba, coordonnateur du diplôme d’études spécialisées de neurochirurgie à la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, a indiqué que 27 neurochirurgiens effectivement diplômés étaient en activité au Sénégal.
En conséquence, le nombre avancé par Bougane Guèye Dany est incorrect.
Azil MOMAR LÔ
Lire l’article original sur Africa Check : https://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/sante-neurochirurgiens-senegal-elections-2024-bougane-gueye-dany-factchecking