Lors d’un entretien accordé à Brut le 10 décembre 2023, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé la dissolution « dans les semaines à venir » du mouvement catholique traditionaliste Academia Christiana.
« Nous présenterons leur dissolution en Conseil des ministres dans les semaines qui viennent. »@GDarmanin annonce sur Brut la dissolution du groupe Academia Christiana, un mouvement catholique traditionaliste d’extrême droite. pic.twitter.com/0eev5Z7Egn
— Brut FR (@brutofficiel) December 10, 2023
Il a précisé ses propos le lendemain au micro d’Europe 1 et devant les caméras de Cnews : « Vous l’avez vu cet été, ils ont fait l’apologie de l’antisémitisme, avec des personnes qui considéraient que les juifs n’étaient pas des hommes comme les autres. (…) Un très grand soutien à la collaboration et au maréchal Pétain. » Le ministre de l’Intérieur conclut : « Ce n’est pas une association qui correspond, me semble-t-il, aux valeurs de la République. » Gérald Darmanin est d’ailleurs imprécis dans ses déclarations puisqu’il confond certains des actes commis par Academia Christiana avec ceux de l’association catholique Civitas dissoute le 4 octobre dernier et qui a fait l’objet d’un article sur Factoscope.
L’annonce de la dissolution a fait réagir de nombreuses personnalités politiques situées à l’extrême droite et notamment Éric Zemmour. L’ancien candidat à l’élection présidentielle a, le 10 décembre, réagi dans un tweet vu par plus de 238 200 personnes (au 13 décembre). Citant le tweet du Figaro qui annonçait la dissolution, il écrit : « L’État de droit chez Darmanin, c’est ne pas pouvoir expulser des djihadistes, ne pas tirer sur des criminels qui menacent la police, ne pas dissoudre la Jeune Garde, laisser prospérer les Frères musulmans, mais pouvoir dissoudre des associations pacifiques en claquant des doigts. »
L’État de droit chez Darmanin, c’est ne pas pouvoir expulser des djihadistes, ne pas tirer sur des criminels qui menacent la police, ne pas dissoudre la Jeune Garde, laisser prospérer les Frères musulmans, mais pouvoir dissoudre des associations pacifiques en claquant des doigts. https://t.co/f9ca9z0Qni
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) December 10, 2023
Selon la définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), l’adjectif « pacifique » se dit d’une personne ou d’un groupe de personnes « qui aiment la paix, aspirent à la paix et vivent en paix ».
Sur son site internet, l’Academia Christiana se présente comme un « institut de formation, un laboratoire d’idées, et un réseau d’initiative » dont le but « est de former les jeunes chrétiens et les hommes de bonne volonté qui veulent s’engager au service du Bien commun » et qui « s’attache à défendre le Vrai, le Beau et le Bien. » A première vue, le site ne montre, à part avec la notion de défense, aucun signe de non-pacifisme.
Une bibliographie qui recommande des références antisémites
Mais une visite plus approfondie du site laisse entrevoir des signes qu’Academia Christiana n’est pas un mouvement aussi pacifiste qu’Éric Zemmour le prétend. La bibliographie que recommande le mouvement à ses fidèles, par exemple, comprend des références antisémites. On y retrouve par exemple, dans les « dix livres de base que tout jeune catholique devrait posséder et avoir lu avant d’aller plus loin », l’Eglise occupée de l’antimaçonnique Jacques-Ploncard d’Assac contributeur au journal collaborationniste Au Pilori. On peut également noter la présence de l’ouvrage Les financiers qui mènent le monde d’Henri Coston, directeur du journal antisémite fondé par Édouard Drumont, La Libre Parole, et membre, sous Vichy, de la Commission d’études judéo-maçonnique. Enfin, dans la catégorie franc-maçonnerie, est mentionné La Conjuration Antichrétienne de Monseigneur Delassus qui contient de nombreux passages antisémites et antimaçonniques.
Victor Aubert, directeur d’une agence de communication et ancien professeur de français et de philosophie à l’Institut de la Croix des Vents (un établissement scolaire privé hors contrat dans l’Orne) est le président de l’organisation. En février 2022, l’œil du 20 heures de France 2 s’était intéressé à l’Academia Christiana. L’enquête avait notamment révélé le fait que son président avait posté une photo sur Instagram avec l’essayiste antisémite Alain Soral avec cette description : « Au supermarché avec le boss… ». Une photo qui figure toujours sur le compte Instagram de l’intéressé. En 2020, Ouest-France publiait, sur Dailymotion, une vidéo du même Victor Aubert faisant un salut nazi, que l’intéressé qualifiait plutôt de « salut romain ».
Un mouvement qui promeut des textes antisémites, qui fait des gestes antisémites et dont le président pose aux côtés d’éminentes figures antisémites n’est pas à proprement parler pacifique, étant donné qu’il encourage la haine d’autrui, tout particulièrement des juifs.
Promotion de la légitime défense
Par ailleurs, AC fait régulièrement la promotion des sports de combats, de la légitime défense, y compris à travers un vocabulaire guerrier. Academia Christiana a notamment posté sur Instagram une vidéo (à 0’43) dans laquelle figure des extraits d’entrainements aux sports de combat. Elle emploie aussi des termes comme « défendre », « combat », « résister », « vaincre » ou encore « sacrifice ».
Selon l’avocat du mouvement, Pierre Gentilet, qui a fustigé l’annonce de la dissolution dans un thread et une vidéo sur X (ex-Twitter), cette accusation de promotion de la légitime défense n’a pas lieu d’être. Dans un de ses tweets, il indique : « Enfin, l’administration reproche à ACADEMIA CHRISTIANA “de présenter la légitime défense comme nécessaire, valorisant volontairement dans et objectif l’entrainement aux sports de combat et allant même jusqu’à les inclure dans son programme d’enseignements notamment lors des universités d’été“ (SIC). C’est lunaire. En droit français, la légitime défense n’est ni un délit ni un crime. Au contraire, la légitime défense est un acte autorisé par le droit français (Cf. art. 122-5 du Code pénal). » Selon lui, le caractère légal de la légitime défense suffit à défendre les pratiques et discours de l’association…
1) Academia Christiana inciterait à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens
L’association n’a EVIDEMMENT jamais appelé à de telles actions et dans son courrier l’administration n’en donne aucune preuve concrète.
Les seuls…— Pierre Gentillet (@Pierre_GTIL) December 11, 2023
Pourtant, la légitime défense au sein d’AC donne aussi lieu à des scènes plus guerrières : dans l’enquête de France 2, figure ainsi un prêtre, très actif sur les réseaux sociaux, qui pose les armes à la main. Il déclare : « Mon but, c’est d’encourager les hommes, et les femmes d’ailleurs aussi, à savoir se défendre. A prendre les armes, quoi… de manière noble. »
Enfin, le mouvement Academia Christiana compte dans ses rangs des membres d’associations déjà dissoutes par l’Etat, notamment des militants de Génération Identitaire ou encore d’Alvarium. Jean-Eudes Gennat, le fondateur d’Alvarium, un groupe extremiste angevin connu pour des faits de violence et d’incitation à la haine raciale dissout par le ministre de l’Intérieur le 17 novembre 2021, apparait, dans une vidéo postée par le mouvement sur Instagram, comme intervenant dans une conférence organisée par l’association. Il s’affiche comme un proche du président Victor Aubert, notamment dans un post Instagram, le 22 novembre 2023, avec la description suivante : « Les mecs les plus joyeux du monde, au mariage du plus beau couple de l’année et photographié par la meilleure photographe de Mayenne ».
Le mouvement Academia Christiana propage ainsi des idées antisémites, possède dans ses rangs des personnes connues pour violence et qui prônent la légitime défense. Enfin, elle a intégré des militants d’organisation extrémistes dont certaines ont déjà été dissoutes par le gouvernement pour des faits de violences et d’incitation à la haine raciale. Contrairement à ce qu’affirme Eric Zemmour, le mouvement Academia Christiana n’est donc pas un mouvement pacifiste.