Le 15 novembre 2020, Eddie Komboïgo, alors candidat à l’élection présidentielle du Burkina Faso, déclarait lors de son passage dans l’émission Un candidat, un programme, sur la télévision nationale, à propos de l’accès des populations à l’eau potable : « Si nous arrivons à exploiter ce forage Christine, ça peut alimenter tout le Burkina sans que l’on ait à tirer une seule goutte de nos rivières. Également, ça peut servir au Mali et au Niger. »
Pendant des mois, Fasocheck a cherché à vérifier cette assertion. Ce 22 mars 2023, en cette Journée mondiale de l’eau, et au moment où le gouvernement de la Transition au Burkina Faso lance un programme d’eau potable pour tous, le média livre le fruit de ses recherches.
Les preuves d’Eddie Komboïgo
Fasocheck a contacté Eddie Komboïgo. Comme preuve, il a remis un document qu’il prétend être le seul à détenir au Burkina Faso. Il s’agit en fait d’une publication, datant de décembre 1980, de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom), l’ancêtre de l’actuel Institut de recherche pour le développement (IRD), relative aux travaux du géographe Michel Benoît et intitulée « Seno Mango – Réflexions à propos du forage Christine et de la vie pastorale dans le nord-ouest de l’Oudalan ».
Fasocheck avait déjà eu connaissance de ce document consultable sur le site web de l’IRD. Michel Benoît y relate la vie pastorale des années 1970 dans la région de l’Oudalan. Il véhicule les opinions des populations locales sur une éventuelle réouverture du forage Christine après la guerre de 1974 entre le Mali et le Burkina Faso (Haute-Volta à l’époque). Nulle part dans les 182 pages du document ne figure de données sur les capacités de production d’eau potable du forage Christine.
C’est quoi le forage Christine ?
Construit en 1971 par un ingénieur français qui lui a donné le nom « Christine » en hommage à son épouse, le forage est situé à Déou dans la province de l’Oudalan, dans l’extrême Nord du Burkina Faso. Il a été ouvert en 1972 et sert essentiellement à l’abreuvage de bétail venu du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Il est situé sur une formation sédimentaire qui, au Burkina Faso, représente 20 % du territoire contre 80 % de socle cristallin.
Selon les hydrogéologues, une formation sédimentaire est constituée de roches perméables à l’eau (sable, grès non consolidé …) tandis que le socle cristallin est un ensemble de roches non perméable à l’eau (granites, schistes …). La partie sédimentaire regorge d’importants stocks souterrains d’eau grâce à la forte infiltration.
Le réseau hydrographique du Burkina Faso est subdivisé en quatre bassins : le bassin du Niger ; le bassin du Nakambé ; le bassin du Mouhoun et le bassin de la Comoé.
Un bassin hydrographique est une surface géographique maximale où un cours d’eau reçoit les eaux de pluies. Techniquement, l’évaluation de la quantité d’eau de surface et souterraine se fait selon cette délimitation territoriale des eaux, a expliqué à Fasocheck l’hydrogéologue Lucien Damiba.
La région administrative burkinabè du Sahel, où se trouve le forage Christine, est dans le bassin du Niger qui s’étend dans trois autres régions administratives du Burkina Faso (le Centre Nord, le Nord et l’Est) soit une superficie de 83 442 km2 qui équivaut à 30 % du territoire burkinabè.
Que sait-on des réserves d’eaux souterraines du Burkina Faso ?
Les réserves d’eaux souterraines du Burkina Faso ont été évaluées en 2001 à environ 302 milliards de m3 par le programme de Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) qui estime la part annuellement renouvelable de ces réserves à 12,4 milliards de m3, seulement 4 %.
Ces estimations sont les plus récentes et ont été reprises par la Banque mondiale, en septembre 2017, dans une étude consacrée à l’amélioration de la connaissance et de la gestion des eaux du Burkina Faso.
Le programme GIRE évalue la réserve souterraine d’eau du bassin du Niger à plus de 58 milliards de m3. Cette quantité fait du bassin du Niger le plus petit bassin hydrographique du Burkina Faso après le Mouhoun (près de 75 milliards), le Nakambé (80 milliards) et la Comoé (88 milliards).
Le potentiel d’eau du forage Christine
Les connaissances sur les capacités du forage Christine sont parcellaires. En 1972, lors de sa mise en service, il avait un débit maximal de 120 m3/h. Saboté successivement en 1976 et en 1985 lors des deux guerres Mali – Burkina Faso, le forage Christine sera réhabilité en 1996 avec deux forages respectivement de 60 m3/h et de 18 m3/h. L’ensemble de ces trois forages constitue ce qu’on appelle le complexe forage Christine dont les débits cumulés font 198 m3 /h.
Pour estimer la capacité de production annuelle du complexe forage Christine, Fasocheck a considéré le débit cumulé des trois forages (198 m3/h) qu’il a multiplié par 24 qui correspond au nombre d’heures d’une journée. Ce produit a été multiplié par 365, ce chiffre représentant le nombre de jours d’une année. Les capacités annuelles sont estimées à 1 734 480 m3 soit 1 734 480 000 litres.
Les besoins en eau du Burkina Faso
Le Programme national d’approvisionnement en eau potable 2016-2030 estime au Burkina Faso les besoins quotidiens en eau potable par habitant à 20 litres en milieu rural contre 57 litres en milieu urbain.
Selon le dernier recensement général de la population réalisé en 2019, le Burkina Faso compte 20 505 155 habitants. 73,8 % de cette population : 15 145 043 habitants vit en milieu rural, les citadins sont 5 360 112 habitants.
En se fondant sur la structure démographique selon le lieu de résidence et sur la base des besoins en eau potable formulés par le Programme national d’approvisionnement en eau potable, Fasocheck a estimé le besoin annuel en eau potable du Burkina Faso à 222 075 944 060 litres, soit 222 075 944 m3.
Cette estimation a été établie de la sorte : [(15 145 043 X 20 litres) x 365] + [(5 360 112 X 57 litres) x 365] = 222 075 944 060 litres.
Selon le tableau de bord statistique de 2019, le volume d’eau produit par l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) en 2019 était de 109 millions m3 alors qu’elle avait une capacité de production journalière de 444 699 m3 soit annuellement 162 315 135 m3.
En 2030, le programme national d’approvisionnement en eau potable projette que les besoins en eau potable du Burkina Faso seront de 362 454 162 m3 soit 362 454 162 000 litres pour une population estimée à 28 671 700 habitants.
En comparant le potentiel d’eau du forage Christine aux besoins actuels en eau potable du Burkina Faso, il apparaît que les capacités de production maximales du complexe Christine (1 734 480 000 litres) sont 128 fois en deçà des besoins annuels en eau potable des Burkinabè (222 075 944 060 litres).
Que disent les experts ?
Fasocheck a soumis la déclaration d’Eddie Komboïgo à des experts. Pour l’hydrogéologue Mamadou Lamine Kouaté, le forage Christine ne peut pas satisfaire les besoins en eau potable du Burkina Faso. « Dans toute la zone du Nord, du forage Christine à Déou jusqu’à la frontière du Mali, en venant vers Ouahigouya et jusqu’à la frontière du Niger, il y a des nappes successives qui sont d’une certaine importance, mais prétendre qu’elles peuvent approvisionner tout le Burkina Faso en eau, c’est non », a tranché cet ancien directeur général de l’ONEA qui a conduit plusieurs études sur les ressources en eau du Burkina Faso.
« À ce jour, conteste le directeur de l’Agence de l’Eau du Liptako, Jean-Baptiste Zongo, il n’existe aucune donnée qui permet d’affirmer que la nappe d’eau du forage Christine peut alimenter tout le Burkina Faso en eau potable. » L’Agence de l’Eau du Liptako est l’organisme public qui s’occupe des ressources en eau du bassin du Niger dont relève le forage Christine.
Fasocheck a également sollicité, sans succès, l’expertise du Dr Youssouf Koussoubé du laboratoire d’hydrogéologie de l’Université Joseph Ki-Zerbo.
Eddie Komboïgo n’a pas été en mesure d’étayer sa déclaration avec des preuves valables. Le document qu’il a fourni, en plus de ne contenir aucune information chiffrée sur les capacités de production en eau potable du forage Christine, est un document anthropologique sans rapport établi avec l’hydrogéologie.
En comparant le potentiel d’eau du forage Christine aux besoins en eau potable du Burkina Faso, il ressort que les capacités de production maximale du complexe Christine (1 734 480 000 litres) sont 128 fois en deçà des besoins annuels en eau potable des Burkinabè (222 075 944 060 litres).
En conclusion, l’affirmation d’Eddie Komboïgo selon laquelle le forage Christine peut, à lui seul, satisfaire les besoins en eau potable du Burkina Faso est fausse.
Harouna DRABO
Lire l’article original sur Fasocheck : https://6z5z2atuip.preview.infomaniak.website/fr/node/387