Yoro Dia occupe depuis septembre 2022 les fonctions de ministre, porte-parole et coordonnateur de la communication de la Présidence de la République du Sénégal. Il était l’invité de Jury du dimanche (JDD), une émission de grande écoute diffusée par la chaîne privée de télévision sénégalaise ITV le 9 juillet 2023. Dia s’est exprimé sur plusieurs sujets liés à l’actualité sénégalaise, alors marquée par de vives tensions sociopolitiques.
Il a notamment évoqué les violences qui ont secoué le Sénégal au début du mois de juin 2023 – essentiellement entre le 1er et le 3 juin 2023 – à la suite de la condamnation à de la prison ferme d’Ousmane Sonko, chef d’un parti de l’opposition politique, Pastef (Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité ou encore Les Patriotes). Plusieurs personnes ont été tuées dans ces troubles : au moins 23 personnes sur deux jours, selon un décompte établi par Amnesty International, une organisation non gouvernementale (ONG) de défense des droits humains. Le ministère sénégalais de l’Intérieur a, lui, annoncé 16 morts lors de ces manifestations, tandis que Pastef a fait état d’au moins 30 morts. En outre, une initiative citoyenne dite CartograFreeSenegal, regroupant une quarantaine de journalistes, cartographes et scientifiques des données, et visant à recenser et documenter les décès lors de ces violences, a dénombré « au moins 29 morts, dont 26 par balle ».
C’est dans ce contexte que Dia s’est indigné du fait que le Cesti (Centre d’études des sciences et techniques de l’information), l’école publique de journalisme au Sénégal (rattachée à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar), a été incendié par des individus non (encore) identifiés en marge des manifestations. « Le Cesti a formé la plupart des journalistes au niveau continental », a soutenu Yoro Dia, lui-même détenteur d’un diplôme de cette école.
Nous avons tenté d’obtenir des précisions de la part de Yoro Dia sur la source de sa déclaration, mais nos courriers électroniques, appels téléphoniques et SMS (textos) sont restés sans réponse.
Les clarifications du CESTI
Africa Check a interrogé sur cette allégation Mamadou Ndiaye, le directeur du Cesti. Dire que le Cesti a formé la plupart des journalistes au niveau continental « semble vague », a expliqué Ndiaye dans un courrier électronique. Il a ensuite fait le point sur le nombre de journalistes africains ayant été formés par cette école spécialisée.
« De 1970 à 2023 (date de sortie de sa 50ᵉ promotion, NDLR), le Cesti a formé 1 332 journalistes professionnels, dont 722 Sénégalais et 610 non-Sénégalais », a souligné Mamadou Ndiaye.
Ces journalistes formés par le Cesti, a-t-il relevé, sont de diverses nationalités, conformément à la vocation de l’école qui se veut « panafricaine ». Au 19 septembre 2023, l’école comptait dans ses rangs des étudiants de treize pays : Sénégal, Bénin, Mauritanie, Mali, République de Guinée, Cameroun, Niger, Gabon, Togo, Burundi, Tchad, Côte d’Ivoire et Comores. En plus des ressortissants de ces États , des étudiants du Burkina Faso, de la France, de Djibouti, du Maroc, de la Guinée-Bissau, du Congo, entre autres pays, ont été formés au Cesti, a-t-il ajouté.
Créée en 1965 par le gouvernement du Sénégal avec l’appui de l’Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (Unesco), le Cesti se présente comme « la plus ancienne école publique de journalisme en Afrique au sud du Sahara ». Mais, à ce jour, sur le plan de la formation, des écoles camerounaises de journalisme font autant que le Cesti, a noté Mamadou Ndiaye, poursuivant : « De nombreux pays ont créé leurs propres écoles après avoir envoyé leurs premières générations de journalistes au Cesti ».
D’autres écoles de journalisme en Afrique ont formé plus de journalistes que le Cesti
Au Cameroun, l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic), fondée en 1970, est une institution de formation professionnelle de l’Université de Yaoundé II. Elle offre des formations dans les métiers de l’information et de la communication.
Dans un courrier électronique transmis à Africa Check, la direction de l’Esstic a indiqué avoir formé, en près de 50 ans d’existence, « plus de 8 000 diplômés, dont près de 4 000 journalistes ». Ces journalistes sont des ressortissants de plusieurs pays : Gabon, République du Congo, République démocratique du Congo (RDC), République centrafricaine (RCA), Tchad, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Ghana, Angola, Botswana et Zambie.
Par ailleurs, la Fédération africaine des journalistes (FAJ), branche africaine de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), a suggéré d’interroger d’autres écoles de journalisme se situant dans différentes régions du continent, telles que l’Université de Nairobi, au Kenya, et des universités sud-africaines.
Le bureau des diplômés de l’Université du Witwatersrand à Johannesburg, en Afrique du Sud, a affirmé avoir dénombré 712 journalistes formés au sein de l’Université depuis la création de son département de journalisme en 2001.
L’École de journalisme et d’études médiatiques de Rhodes (Rhodes University School of Journalism and Media Studies, JMS), dans la région sud-africaine du Cap oriental (ou Eastern Cape, sud-est du pays), a indiqué avoir dénombré au total 4 874 diplômés en journalisme formés en son sein, soit 2 102 diplômés de 1970 à 1999, et 2 772 de 2000 à 2023. Ce chiffre ne tient pas compte des futurs diplômés qui sortiront de l’école en octobre 2023.
Également interrogée par Africa Check, l’Université de technologie de Tshwane (TUT, Tshwane University of Technology), dans la ville de Pretoria, en Afrique du Sud, a indiqué que depuis 2004, elle a formé environ 2 500 journalistes, en précisant qu’elle accueille chaque année cent journalistes en première année de formation.
En ce qui concerne le nombre de journalistes formés à l’Université de Nairobi (UON, University of Nairobi), James Oranga, qui y officie en tant que professeur de journalisme et de communication, a indiqué que le Département de journalisme et de communication a formé environ 4 200 journalistes depuis sa création en 1971.
Combien de journalistes en Afrique ?
Sur la question du nombre de journalistes en Afrique, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a recommandé à Africa Check de se rapprocher de la Fédération africaine des journalistes (FAJ) qui est « une voix collective vitale pour la défense des droits sociaux et professionnels des journalistes à travers le continent ». Louis Thomasi, le directeur de la FAJ, a confié que cette fédération ignorait le nombre exact de journalistes en Afrique.
La même réponse nous a été donnée par Mademba Ndiaye, un journaliste sénégalais à la retraite, formé au Cesti. Ndiaye a été pendant 18 ans chargé de communication de la Banque mondiale au Sénégal, poste qu’il a quitté en mai 2023. Selon lui, « il est factuellement faux de dire que le Cesti, qui est une école parmi tant d’autres sur le continent, a formé la plupart des journalistes en Afrique. D’autant plus que l’école a commencé à avoir des promotions de trente à quarante personnes seulement durant ces dernières décennies ». D’après lui, l’on peut dire, par exemple, que le Cesti a formé un pourcentage précis de journalistes en Afrique, à condition de pouvoir déterminer le nombre de journalistes diplômés par école, et de savoir si ce sont des journalistes en activité ou pas.
L’analyse de Mademba Ndiaye est corroborée par le Sud-Africain Anton Harber, journaliste depuis trente-cinq ans. Pour lui, il est impossible de savoir avec précision le nombre de journalistes en Afrique et, à sa connaissance, il n’y a pas de moyen de le savoir. Harber est aussi professeur de journalisme à l’Université du Witwatersrand et auteur de plusieurs livres sur le journalisme et la politique. Il a, en outre, suggéré de prendre en compte les formations offertes aux journalistes par les différentes écoles sur le continent.
Au-delà du fait de savoir quelle école a formé le plus de journalistes en Afrique, d’après Harber, il est important de se demander si ces différentes écoles offrent « les mêmes types de formation ». Certaines écoles, dans certains pays, proposent des formations d’une journée, tandis que d’autres, comme l’Université du Witwatersrand, offrent des formations de longue durée allant d’une à deux années. De ce fait, ces différents niveaux de formation ne sont pas comparables, a-t-il expliqué.
Lors des entretiens menés dans le cadre de cette vérification, plusieurs interlocuteurs ont par ailleurs souligné que des non-Africains pouvaient être inclus dans la phrase telle que formulée par le porte-parole de la présidence sénégalaise Yoro Dia : « Le Cesti a formé la plupart des journalistes au niveau continental », ne précisant pas qu’il s’agit de journalistes issus exclusivement de pays africains. Le directeur du Cesti a ainsi cité la France parmi les pays dont des ressortissants ont fréquenté le Cesti. Et, à la pratique, des journalistes africains formés en Afrique croisent sur le terrain des journalistes non-africains formés sur le continent.
Pour conclure, d’autres écoles de journalisme en Afrique ont formé plus de journalistes que le Cesti.
Valdez ONANINA et Coumba SYLLA
Lire l’article original sur Africa Check : https://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/senegal-enseignement-formation-journalisme-medias-presse-politique-gouvernance-democratie-classement