Non, la pilule contraceptive ne provoque pas le cancer du sein chez la femme

République centrafricaine
Santé et sciences

30 Août 2024

12 minutes de lecture
Depuis fin juin 2024, une vidéo sur TV5 Monde circule largement dans les groupes WhatsApp en Centrafrique prétend que la pilule est un cancérigène classé officiellement par l’OMS avec 38 % de cancer du sein chez la femme. Les spécialistes interrogés par Centrafrique Check, rejettent en bloc l’idée que la pilule contraceptive provoquerait le cancer du sein chez la femme mais il est vrai la contraception orale augmente aussi légèrement le risque de cancer du sein et du col de l’utérus tout en réduisant les risques d’autres cancers (endométrial ovarien et le colorectal).

La pilule contraceptive est une méthode  hormonale de contraception féminine par voie orale permettant d’éviter les grossesses non désirées. Pour le cas de la pilule, la prise de contraceptifs hormonaux a pour principaux avantages de: prévenir une grossesse non désirée, réduire les malaises liés aux menstruations (crampes et saignements par exemple), réduire les risques de cancer de l’utérus et de l’ovaire, gérer les effets secondaires d’une sécrétion exagérée d’hormones mâles (causant par exemple l’acné et la pilosité excessive).

Une vidéo sur TV5 Monde circule en juin 2024 sur des chaînes WhatsApp en République Centrafricaine telles que Vigilant Info regroupant 1018 membres, Radio SEWA 100.1 FM avec 438 membres et EducNumerique Centrafrique avec plus de 225 membres. Le contenu de la vidéo scripté indique que « Les perturbateurs qu’on appelle perturbateurs endocriniens quand ils s’attaquent aux hormones à l’intérieur des organismes  par exemple on va prendre un exemple toute simplement la pilule  c’est un médicament mais c’est un perturbateur hormonal par définition puisque justement  il va jouer sur les hormones et bien la pilule les femmes ne le savent pas c’est un cancérogène classé officiellement cancérigène par l’OMS avec 38% de cancer du sein ».

Le cancer du sein en quelques mots

Selon le site d’information COS, le cancer du sein est une tumeur qui se développe à partir des cellules constituant la glande mammaire. Les anarchiques viennent former une tumeur dont il existe plusieurs types traités différemment. Les traitements peuvent recourir de manière exclusive ou panachée à la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie, les thérapies ciblées.

La classification des cancers

Les cancers sont généralement classés en 3 catégories, à savoir les carcinomes, les sarcomes et les tumeurs hématopoïétiques :

-Le carcinome : les cellules cancéreuses se développent dans les tissus qui recouvrent les organes. Les tissus externes (l’épiderme) peuvent aussi être touchés. Les tissus dans lesquels les cellules cancéreuses se développent  sont appelés épithélium. Peut-être avez- vous déjà entendu parler d’adénocarcinomes ? Dans ce cas, les cellules cancéreuses se développent directement dans l’épithélium d’une glande comme cela peut être le cas  avec le sein ou encore la prostate.

– L e sarcome : ici, les cellules cancéreuses se développent dans tissus de support que sont les os (ostéosarcome), la graisse (liposarcome) ou encore les muscles (rhabdomyosarcome).

-Le cancer hématopoïétique : cette dernière typologie concerne les cancers du sang (leucémie) ainsi que ceux qui touchent les organes lymphoïdes (lymphome).

Ce que disent les spécialistes

Pour vérifier la fiabilité de cette information, Centrafrique Check a contacté les spécialistes.

Selon Djabanga Clémence Sylvie, cancérologue à l’hôpital Communautaire de Bangui, interviewée le 12 Août 2024, « le cancer du sein est un cancer hormonal dépendant, cela veut dire que la variation des hormones joue un rôle important dans l’apparition du cancer de sein. Nous, on dit ménage précoce c’est-à-dire les femmes qui ont eu leurs règles très tôt, ce sont ces femmes qui doivent être  surveillées ; ça veut dire que leur taux d’hormones  est surélevé ce qui fait que les règles apparaissent très tôt. Les femmes qui   présentent des ménopauses tardives doivent également être surveillées. La variation du taux des hormones dans l’organisme de la femme est un facteur néfaste pour  la femme parce que là ce qu’on craint  c’est l’apparition du cancer, je ne dis pas que le fait de prendre les pilules peut entrainer le cancer mais c’est un facteur favorisant qui est très important dans l’apparition du cancer de sein chez la femme ».

Contactée par WhatsApp, Claudine Bekondji, médecin spécialiste du cancer à l’Institut Pasteur de Bangui,  nous envoie des sources documentaires  que nous avons pu consulter et nous autorise à filmer le tableau affiché dans leur bâtiment au-dessus duquel est inscrit la mention : « le cancer du sein chez la femme : facteurs de risques-signes cliniques ». Les informations disponibles à l’Institut pasteur sur la situation de la République Centrafricaine sur le tableau : « En RCA, la majorité des femmes diagnostiquées c’est lorsque leur cancer se trouve déjà à un stade avancé car les symptômes du cancer sont assez mal connus du grand public et seulement deux oncologues pour une population de 6 000 000 d’habitants avec une insuffisance de données factuelles par manque de registre des cancers. »

L’Institut pasteur nous a également transmis un article d’Eric Sebban, chirurgien gynécologue et cancérologue, spécialisé dans le traitement du cancer du sein, des différents cancers gynécologiques ainsi que la chirurgie robotique. Cet article indique :

« De nombreuses études ont été menées afin de comprendre l’influence de la pilule contraceptive sur l’augmentation du risque de cancer du sein. Ces études ont toutes été conduites sur des contraceptifs oraux œstroprogestatifs. « 1 797 932 femmes âgées de 15 à 49 ont été suivies sur 10 ans pour comparer les risques de développer une tumeur mammaire chez les patientes sous pilule contraceptive et chez celles qui ne suivaient aucun traitement hormonal. Durant ces 10 ans, 11 517 de ces femmes ont vu apparaître un cancer du sein. Les auteurs de cette étude en sont donc venus à la conclusion que la prise d’une contraception hormonale augmentait le risque de développer un cancer du sein d’environ 20% ».

Interviewé  le 14 Aout 2024,  Azouka Placide Fernand, infirmier diplômé d’Etat, coordonnateur de clinique à l’ACABEF (Association Centrafricaine pour le Bien Etre Familiale), dément cette information « Dire que la pilule ou la contraception moderne est à l’origine de cancer du sein, c’est une fausse information. Au niveau de l’ACABEF, nous disposons d’une gamme de contraception moderne, on a la gamme des contraceptifs oraux que les femmes prennent par jour, on a la pilule injectable pour un mois, deux mois et trois mois mais aussi les contraceptifs de longue durée tel que implant, ce sont  ces gammes de pilules dont nous disposons. Quand une femme se présente  ou est dans le besoin de prendre une contraception, on lui explique les bienfaits et les effets secondaires ; c’est à la femme maintenant de choisir librement ce qu’elle désire prendre ».

Interviewée le 14 Aout 2024, Jolidangou Prudence, sage-femme à l’ACABEF (Association Centrafricaine pour le Bien Etre Familiale) : «C’est une fausse information, la pilule aide seulement à espacer les naissances, donc y a rien à voir avec le cancer du sein ou de l’utérus. Comme tous produits, il y a des effets secondaires  ainsi que des avantages c’est pourquoi la pilule a aussi ses effets secondaires mais dire que la pilule provoque le cancer du sein, on a jamais enregistré un tel cas comme ça dans notre centre ».

Interrogée le 21 Aout 2024 , Philomène Pkata, sage-femme diplômée d’état, cheffe de section de surveillance de décès maternel périnatal ; chargée de la fistrile obstrical à la direction de la santé familiale et de la population au Ministère de la Santé et de la Population, a souligné :«  Une femme  placée  sous la méthode contraceptive, cela permet  d’abord l’espacement de la naissance ; la première des choses que  fait la pilule,  elle est également un moyen de traiter une femme pour la rendre fertile. Dire que prendre la pilule expose ou  développe le cancer du sein ou de l’utérus là je ne crois pas ».

Elle poursuit : « Je donne mon témoignage aux femmes en disant qu’il ne faut pas avoir peur de prendre ces produits contraceptifs. »

Rappelons que cette information a déjà été traitée par nos confrères de Togo Check qui lutte contre la désinformation et publiée sur leur site le 08 Août 2024.

Dans le contenu de leur article, il est indiqué que « l’affirmation selon laquelle, les pilules contraceptives, les implants et les stérilets qu’utilisent les femmes causent le cancer de sein ne se fondent sur aucune vérité scientifique ».Contacté par  WhatsApp, le 16 Août 2024, KOSH  Komba  Jess Elio, oncologue et pédiatre à l’Hôpital Complexe Pédiatrique  de Bangui, président de l’Association au Secours des Enfants Atteignant de Cancer précise : « Il faut noter que la pilule est une contraception orale qui empêche la grossesse, en bloquant l’évolution de spermatozoïde vers le col  afin de provoquer la nidation ou l’ovulation.  Donc, il s’agit de types de contraceptions orales et il faut souligner que les éléments probants  relatifs aux liens entre les pilules contraceptives et le cancer sont mixtes en fonction du type de cancer ;  la contraception orale augmente aussi légèrement le risque de cancer du sein et également   du col de l’utérus, mais réduit aussi le risque du cancer endométrial ovarien et le colorectal ».

Plus loin encore les recherches effectuées en ligne, d’après une fiche d’information publiée sur le site VIDAL : « l’effet de la pilule sur le risque de développer un  cancer a fait l’objet d’un long débat scientifique durant ces dix dernières années, car il est difficile à montrer. Un groupe de chercheurs du Centre international de recherche sur le cancer, à Lyon, a rendu ses conclusions : les contraceptifs oraux estroprogestatifs augmentent le risque de cancer de sein, du col de l’utérus et du foie, mais ils réduisent de moitié la survenue de cancers de l’ovaire et de l’endomètre. Le risque de cancer du sein est surtout accru pour les utilisatrices récentes (donc les femmes les plus jeunes). Après dix ans d’arrêt de son utilisation, ce risque rejoint le risque normal de survenue d’un cancer du sein chez les femmes n’ayant jamais pris de pilule ». Information disponible ici.

Selon la société canadienne du cancer: « les femmes qui prennent la pilule anticonceptionnelle pourraient avoir un risque de cancer du sein légèrement supérieur. Ce risque est plus faible chez les femmes ayant pris la pilule après leur première grossesse menée à terme. La pilule anticonceptionnelle la plus souvent prescrite contient des versions synthétiques de deux hormones féminines, l’œstrogène et la progestérone. Ces hormones agissent ensemble pour prévenir une grossesse empêchant les ovaires de libérer un ovule. Il faut noter que tous produits ont leurs avantages et aussi les risques. 

« Selon une expertise du  Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) menée en 2005 et actualisée en 2012, les pilules combinées entraînent une légère hausse du risque de cancer du sein, du col de l’utérus et du foie, en particulier les jeunes femmes qui  les prennent depuis peu et celles qui l’utilisent depuis 10 ans ou plus. Le risque revient à la normale 10 ans après avoir cessé de les prendre.  D’autres études laissent entendre que la pilule pourrait également contribuer à réduire le risque de cancer colorectal. Ces résultats ne font  cependant pas  l’unanimité dans la communauté scientifique. A noter : les nouveaux contraceptifs hormonaux (timbre, anneau vaginal, implant cutané, injection) sont d’apparition trop récente pour qu’on puisse évaluer leur risque potentiel assez de recul », précise le site de l’Institut national du cancer français.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le cancer du sein est une maladie caractérisée par la croissance incontrôlée de cellules mammaires normales qui forment alors des tumeurs. En 2022, on a recensé 2,3 millions de cas féminins et 670 000 décès dus au cancer du sein dans le monde. Présent dans tous les pays, le cancer du sein touche les femmes de tous âges à partir de la puberté, mais son incidence croît  à mesure que l’âge avance. Les estimations mondiales révèlent des inégalités frappantes en matière de charge du cancer du sein en fonction du développement  humain (IDH) est élevé, 1 femme sur 12 reçoit un diagnostic de cancer du sein au cours de sa vie et 1 femme sur 71 en meurt. En revanche, dans les pays à faible IDH, si seule 1 femme sur 27 reçoit un diagnostic de cancer du sein au cours de sa vie, 1 femme sur 48 en meurt. Plus de détails ici:

Conclusion

En conclusion, après vérification, il est faux de dire que la pilule contraceptive  « provoque le cancer du sein chez la femme ».  De nombreuses études sur le sujet semblent admettre que la prise de la pilule peut présenter une légère augmentation du risque de certains cancers, parmi de nombreux autres facteurs, plus importants (consommation d’alcool, alimentation non équilibrée, manque d’activité physique…). Certaines études soulignent en revanche que la prise de la pilule est associée à une baisse du risque pour d’autres types de cancers. A retenir surtout, les spécialistes de la santé interrogés par Centrafrique Check sont unanimes : les bienfaits de la pilule contraceptive dépassent largement le risque qu’elle peut entraîner. Ce pourquoi elle est recommandée par tous les systèmes de santé, partout dans le monde.

 

Boris ZÉKÉMA

Lire l’article original sur Centrafrique Check : https://centrafriquecheck.org/non-la-pilule-contraceptive-ne-provoque-pas-le-cancer-du-sein-chez-la-femme/