C’est dans le contexte du conflit Israël-Hamas que le polémiste Alain Bonnet, dit Alain Soral, a nié la pertinence du mot antisémitisme, dans un billet publié le 2 novembre sur le site de son mouvement Égalité et Réconciliation. « L’antisémitisme est un terme particulièrement impropre pour parler des Juifs, puisque les sémites de très loin les plus nombreux sont les Arabes… », a-t-il affirmé dans ce texte, relayé sur X (ex-Twitter), via son compte personnel, comptant plus de 8 000 abonnés. Le tweet a été vu plus de 116 000 fois à la date du 20 novembre.
« Le terme sémite est d’autant plus impropre pour parler des Israéliens, étant donné que la plupart des juifs d’Israël sont originaires d’Europe centrale, quand ils ne sont pas des Berbères judaïsés, soit des juifs du Maghreb appelés Séfarades… », poursuit-il dans son argumentaire. Selon lui, l’antisémitisme est une expression « abusive ». Un discours largement relayé au sein de cette sphère complotiste, notamment par l’essayiste Youssef Hindi, proche d’Égalité et Réconciliation, comptant près de 45 000 abonnés sur le même réseau social, dans un tweet vu plus de 13 000 fois.
L’assertion est par ailleurs partagée en dehors des cercles négationnistes. Le 13 novembre, un compte X (@Youridefou) comptant 345 000 abonnés à cette date a ainsi partagé une carte des langues sémitiques. Le tweet comptabilise plus d’1 million de vues. De nombreux commentaires sous la publication s’appuient sur la carte pour conclure que le terme « antisémitisme » ne se réfère pas aux Juifs, avec le même mécanisme qu’Alain Soral. Plus surprenant, le publicitaire Frank Tapiro, qui défend Israël, s’est insurgé, le 2 novembre, sur le plateau de CNews : « Il va falloir qu’on arrête de parler d’antisémitisme : c’est de l’antijudaïsme. »
La définition très claire de l’Académie française
À quoi la notion fait-elle référence précisément ? L’Académie française regroupe aujourd’hui sous l’adjectif sémite « les Juifs et les Arabes ». Le terme est un dérivé de Sem, le fils aîné de Noé dans la Genèse. En revanche, la définition précise que le terme sémite renvoie « abusivement » à « Juif, israélite ». L’Académie française entend par « abusivement » un mot ou une expression « qu’on emploie d’une façon impropre ». Selon ce point de vue, il serait effectivement « impropre » de renvoyer l’adjectif sémite aux Juifs uniquement. Néanmoins, lorsque l’on parle d’antisémitisme, la définition de l’Académie française est très claire : « Racisme dirigé contre les Juifs et tout ce qui est perçu comme juif ».
« Le terme sémite renvoie à la parenté entre des langues, notamment l’arabe et l’hébreu. Soral s’appuie dessus pour faire passer cette assertion, qui est complètement fausse », analyse de son côté Marie-Anne Matard-Bonucci, chercheuse associée au Centre d’histoire de Sciences po, spécialiste de l’antisémitisme, que nous avons contactée. En titrant « Ce qui est interdit, ce qui est autorisé. Petit rappel des définitions et de leur validité… », l’écrivain d’extrême droite se place surtout sous l’angle de la loi. Sollicitées par Factoscope, les différentes sections d’Égalité et réconciliation n’ont pas donné suite.
Que disent les textes à propos du terme « antisémitisme » ? L’Assemblé nationale en 2019, puis le Sénat en 2021, ont adopté la définition de l’Alliance internationale pour la commémoration de l’Holocauste (IHRA) : « Perception des Juifs pouvant s’exprimer par de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des individus Juifs ou non-juifs et/ou de leurs biens, contre les institutions de la communauté juive et contre les institutions religieuses juives. »
Cette définition a été adoptée par les 31 États membres de l’IHRA. Elle reste controversée, en témoigne une lettre ouverte de 104 organisations en avril dernier, parmi lesquelles Human Rights Watch, afin que l’ONU n’adopte pas cette définition en raison de la prise en compte de la critique de l’État d’Israël. Mais, son lien avec la communauté juive n’est jamais remis en cause. Les organisations concernées estiment en effet (toujours dans cette lettre), que l’antisémitisme « cause un préjudice réel aux communautés juives du monde entier, et nécessite une action significative pour le combattre ».
Loi de 1972
Le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, dans un document publié en 2020, indique que l’antisémitisme a « une longue histoire qui lui est propre », et qui légitime ainsi son acception : « L’antisémitisme renvoie à une vision du monde dans laquelle les Juifs incarnent le mal et l’ennemi absolu ».
En parallèle, dans son billet, Alain Soral, qui ne cite pourtant aucun texte, estime que la loi française donne le « droit à être judéocritique et judéophobe ». Si la loi permet effectivement de critiquer une religion, « on ne peut pas essentialiser une population, qu’elle soit juive, chrétienne ou musulmane, sans tomber sous le coup de la loi de 1972 », nuance Marie-Anne Matard-Bonucci. Et pour cause, cette dernière stipule que sont punis ceux qui provoquent de la discrimination, de la haine ou de la violence envers une personne ou un groupe de personne en raison de leur appartenance à une religion.
De plus, le Larousse définit la judéophobie par une « hostilité systématique à l’égard les Juifs ». Cette hostilité systématique est régulièrement reprochée par la justice à Alain Soral. Il a notamment été condamné pour provocation à la haine en raison de la religion en 2020 et en 2022 pour injure raciale et contestation de crime contre l’humanité.
En conclusion, le terme sémite peut effectivement, comme le souligne Alain Soral, être débattu sur le plan étymologique, du fait qu’il ne se rattache pas seulement au peuple juif (Assyriens, Araméens, Cananéens, Hébreux, Moabites, Phéniciens à l’Antiquité ; Arabes aujourd’hui). En revanche, la notion d’antisémitisme, de part sa construction historique, est largement adoptée dans les textes internationaux. Aucune définition ni aucune loi ne nie son lien avec la communauté juive.