Après son succès aux États-Unis, le thriller Sound of Freedom est sorti mercredi 15 novembre en France. Ce film, d’Alejandro Monteverde, abordant la question de la pédophilie organisée, a réveillé les sphères complotistes notamment la mouvance conspirationniste QAnon. Sont également réapparues des idées préconçues concernant le rapport qu’entretient la France avec les pédophiles. Les comptes, @VictorSinclair3 et @freedomradiofrance, suivis respectivement par plus de 80 000 et près de 2 300 personnes, affirment ainsi dans des tweets vus 116 700 fois et 19 200 fois à la date du dimanche 19 novembre 2023 : la France est « l’un des pays du monde qui protège le plus les pédophiles ».
Selon une enquête du Monde, les années 1970-1980 peuvent être considérées comme « l’âge d’or de l’apologie de la pédophilie en France ». De l’écrivain Gabriel Matzneff à l’essayiste Guy Hocquenghem en passant par le philosophe René Schérer, d’importants intellectuels de l’époque défendaient, au nom de la libération sexuelle, le fait d’avoir des relations sexuelles avec des mineurs.
Malgré une tolérance à l’égard de ces propos, les actes pédophiles étaient déjà à l’époque condamnés pénalement. « Ils étaient punis moins sévèrement qu’aujourd’hui, mais ils l’étaient », précise Dominique Luciani-Mien, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Jean-Moulin Lyon III, que nous avons pu joindre.
Une tolérance qui n’a pas duré, selon les travaux de Pierre Verdrager. Le sociologue raconte ainsi dans son livre L’enfant interdit (éditions Armand Colin), publié en 2013, le passage qui a eu lieu ces dernières décennies entre la défense de la pédophilie et la lutte contre la pédocriminalité. Ce changement transparaît également dans l’évolution de l’arsenal législatif.
Longtemps en retard sur ses voisins occidentaux, la France s’est dotée en 2021 d’une loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, qui a changé la donne. En effet, plusieurs affaires, comme l’affaire Sarah mettant en cause un homme de 28 ans qui avait eu des relations sexuelles avec une fillette de 11 ans, ont incité le législateur à faire évoluer les choses. Auparavant, il fallait prouver qu’il y avait eu menace, contrainte, surprise ou violence pour caractériser un viol sur un mineur. Si ce n’était pas le cas, la qualification d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans était retenue, soit : « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de 75 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement ». Le viol, quant à lui, lorsqu’il est accompagné de circonstances aggravantes et c’est le cas lorsqu’il est question d’un mineur, est puni de 20 ans de réclusion criminelle.
Depuis, la loi du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, a posé un nouveau cadre juridique concernant la répression de la pédophilie. La loi se veut plus sévère envers les auteurs et davantage protectrice des mineurs. « Désormais, on ne se pose plus la question du consentement en-dessous de 15 ans, on considère que la relation sexuelle est supposée être un viol », explique Dominique Luciani-Mien.
Cette nouveauté législative n’est pas arrivée seule. En plus de créer de nouvelles incriminations en matière d’agression sexuelle sur un mineur, la loi de 2021 a également ajouté un nouveau point dans la définition du viol. Ainsi, dans l’article 222-23 du Code pénal, nous trouvons maintenant à côté des actes de pénétrations sexuelles contraints, les rapports bucco-génitaux commis sur la victime ou sur l’auteur.
Cette nouvelle loi instaure également un mécanisme de « prescription glissante » ou « en cascade ». Elle vient compléter la loi dite « Schiappa » du 3 août 2018 qui instaure un délai de prescription de 30 ans à partir de la majorité de la victime, soit jusqu’à ses 48 ans. La victime peut donc porter plainte longtemps après les faits. Avec ce nouveau mécanisme en cascade, lorsqu’une infraction est commise sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration du délai de 30 ans, le délai de prescription est prolongé jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction. Cette extension s’assimile à une « imprescriptibilité de fait » pour Dominique Luciani-Mien.
Cette loi de 2021 témoigne de la volonté du législateur de lutter contre la pédophilie en France. Cette évolution se retrouve à l’échelle mondiale. De nombreux États réhaussent, ces dernières années, l’âge de consentement. Ainsi, alors que le Japon avait l’un des plus bas du monde, son parlement a relevé, en juin dernier, cet âge, passant de 13 à 16 ans.
« Non, on ne protège pas les pédophiles », répond Dominique Luciani-Mien. En tout cas, la France ne semble pas moins répressive que ses voisins européens. Par exemple, le cadre juridique mis en place en Belgique pour un viol sur mineur se révèle assez similaire à celui qui existe en France. Ainsi, l’âge de consentement est fixé à 16 ans et un viol sur mineur est puni de 15 à 20 ans de réclusion criminelle.
De plus, l’âge du consentement et la peine encourue se révèlent proches de leurs homologues français, avec respectivement 15 et 20 ans de réclusion criminelle. Néanmoins, dans une volonté de protéger les mineurs, la France va plus loin dans la définition du viol. En effet, en Belgique, seuls les actes de pénétrations sexuelles permettent de caractériser un viol, laissant de côté les rapports bucco-génitaux retenus dans la loi française de 2021.
En Allemagne, l’âge de consentement est fixé à 14 ans et un viol sur mineur est passible d’au moins un an d’emprisonnement.
Cette législation semble donc bien moins sévère que la nôtre.
Cet arsenal législatif est d’ailleurs amené à encore évoluer. Vendredi 17 novembre, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a rendu son rapport. Elle y déconstruit les mécaniques autour des violences sexuelles commises sur les enfants. Afin de lutter efficacement contre ce fléau, la Ciivise fournit 82 préconisations, dont la mise en place d’un rendez-vous annuel pour prévenir et dépister les violences. Elle se montre également favorable à l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur les enfants.
En parallèle, la première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé, lundi 20 novembre, un futur plan gouvernemental sur les violences faites aux enfants. Plusieurs propositions ont donc été mises sur la table comme l’augmentation du nombre d’enquêteurs de l’Office des mineurs (Ofmin) ou encore le développement des unités d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger.
Pour conclure, en comparant notre législation à celles d’autres pays, nous pouvons donc affirmer que la France ne protège pas les pédophiles. Le cadre légal se révèle proche de celui de ses voisins européens. Surtout depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2021.
Maylis YGRAND (Factoscope)