« Ceci constitue évidemment un abus de droit sans précédent », s’insurge Alain Escada, le président de Civitas, réagissant à l’annonce d’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. La vidéo a été publiée sur la chaîne YouTube du mouvement, comptant près de 17 000 abonnés, avant d’être relayée sur les réseaux sociaux par plusieurs membres de l’association, dont le compte Civitas International, qui compte plus de 15 000 abonnés à la date du 26 octobre.
Ce discours fait suite au processus de dissolution enclenché cet été par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et acté au début du mois d’octobre. Il est reproché à Civitas, qui a obtenu le statut de parti politique en 2016, d’appeler « à entrer en guerre contre la République afin de rétablir une monarchie », et d’inciter « à recourir à la force pour y parvenir », comme mentionné dans le décret, où il est également reproché au parti chrétien des positions antisémites, islamophobes et homophobes.
Le pouvoir aurait-il abusé de son droit ? Oui, selon une membre de Civitas, que nous avons contacté et qui témoigne anonymement : « Des recours sont prévus. Selon nous, il est évident que nous ne sommes plus dans un État de droit, et ce depuis longtemps. »
Pourtant, juridiquement, l’abus de droit est une notion précise, qu’il convient de manipuler avec prudence. Elle naît en 1915 à la suite de l’arrêt Clement-Bayard. Ce dernier avait vu son ballon dirigeable se déchirer, heurtant une construction de son voisin, M. Coquerel : des carcasses de bois d’une hauteur de 16 mètres, surmontées de tiges de fer. M. Clement-Bayard avait alors intenté une action en justice contre M. Coquerel et obtenu gain de cause, ce dernier ayant abusé de son droit de propriété, comme précisé dans la décision de la Cour de cassation.
« L’abus de droit est élémentaire. C’est une théorie abstraite qu’on étudie en première année de droit. Elle dessine les limites à notre propre liberté », avance auprès de Factoscope Bruno Planelles, avocat en droit des affaires. Le fondateur du cabinet Exprime Avocat donne des exemples : « On ne peut pas renverser une personne sous prétexte que l’on traverse au feu vert. À vélo, on ne peut pas renverser quelqu’un sous prétexte qu’il marche sur une piste cyclable… »
L’abus de droit doit ainsi reposer sur « l’absence de sens » et la « cause d’un préjudice ou l’intention de nuire », précise-t-il. Dans le cas de la dissolution d’une association, il faut donc impérativement pouvoir prouver ces deux éléments. « Cela voudrait dire que l’État le fait uniquement dans le but de nuire. Or il existe des dispositions spécifiques dans le cadre de la dissolution d’une association. Un texte de loi prévoit les motifs nécessaires et le gouvernement s’appuie dessus », indique Bruno Planelles.
Difficile ici de prouver une action dénuée de sens émanant de l’État. Le décret s’appuie en effet sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés. Selon les articles 10 et 11, la liberté d’expression et la liberté d’association peuvent faire l’objet de sanctions ou de restrictions prévues par la loi afin d’assurer la sécurité nationale et la sûreté publique. Or, sur son site, Civitas assume demander « l’abrogation de la loi de séparation des Églises et de l’État et le rétablissement du catholicisme comme religion d’État pour l’instauration du règne social du Christ Roi ».
Le décret s’appuie également sur le Code de la sécurité intérieure. Selon l’article 212-1, les associations ou groupements peuvent être dissous sur la base de sept critères. Parmi eux, des agissements violents envers des personnes ou des biens. Et justement, en mai, des membres de Civitas ont empêché la tenue d’un concert à Carnac (Morbihan). Le parquet de Lorient a ouvert une enquête pour violence, comme rapporté par l’AFP.
Un autre critère est la discrimination et la haine envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre. Or le décret mentionne le fait que Civitas « promeut une idéologie consistant à hiérarchiser les êtres humains, promeut l’infériorité des communautés juive et musulmane ». Le dernier exemple en date, que développe le décret et qui a motivé la décision de Gérald Darmanin, est la tenue de propos antisémites lors de la cinquième université d’été à Pontmain (Mayenne). L’essayiste Pierre Hillard y avait notamment appelé à retrouver le régime « d’avant la naturalisation des Juifs en 1791», faisant référence à une période où les Juifs ne pouvaient accéder à la nationalité française, comme le montre cette vidéo diffusée sur X (ex-Twitter).
Le décret liste également de nombreux exemples de membres de Civitas tenant des « propos ouvertement homophobes » ou diffusant une « idéologie hostile aux personnes de confession musulmane ». Tout comme la proximité avec des personnes condamnées pour avoir tenu un discours haineux et discriminatoire. En septembre, Alain Escada s’est ainsi rendu à une conférence organisée par Égalité et Réconciliation (ER) d’Alain Soral, définitivement condamné en 2021 pour contestation de crime contre l’humanité, comme on peut le voir sur cette vidéo de la Section île-de-France d’ER sur X (ex-Twitter).
Selon les faits mentionnés dans le décret, à ce stade, aucun élément solide ne permet donc d’affirmer que le gouvernement a abusé de son droit en actant la dissolution de Civitas.