Le 13 mars 2024, l’internaute « Myriam Sauvons L’humanité » publiait sur X le tweet suivant : « Attention si Emmanuel Macron entre en guerre il pourra rester au pouvoir pour au moins 10 ans et oui c’est dans la #constitution et les usages il n’y a pas d’élection pendant une guerre pensez-vous que ce soit son idée ? Le malin est prêt à tout pour rester au pouvoir. » Le 26 mars, ce post comptabilisait plus de 315 000 vues et 2 000 partages. L’autrice se présente comme une « #RÉSISTANTE #JeNeSuisPasVaccinée #JeGardeMonCodeGénétiqueMonADN #MonRhésus #PersonneNeMeFeraPlier #PatrioteChrétiènne ».
Son message a été repris deux jours plus tard par Fred F.P.L.C (@charliezemmour) qui se présente, lui, comme un « Pionnier Reconquête/Catholique/Soutien Eric Zemmour depuis 2007/Marion Maréchal/Ph de Villiers » et vu plus de 322 000 fois. Il a aussi été repris sur le réseau social TikTok via le compte du média « Au Jour » qui diffuse en arrière-plan un extrait du discours du 5 mars d’Emmanuel Macron à Prague, lorsque le président de la République revenait sur ses propos concernant l’envoi de troupes en Ukraine.
Le 26 février 2024, le chef de l’Etat avait déclaré : « Rien ne doit être exclu » à propos d’un potentiel envoi de troupes militaires françaises. Le lendemain, un tweet complotiste de Philippe Duval interrogeait :
« Macron avait 2 options pour rester au pouvoir :
– Une révision de la constitution
– Une guerre
Que va t’il choisir ? »
Le tweet de « Myriam Sauvons L’humanité » s’inscrit dans cette série de théories. Il fait référence à la prétendue existence d’un dispositif dans la Constitution qui empêcherait la tenue d’une élection présidentielle en temps de guerre et donc l’exercice du pouvoir par le chef de l’État au-delà de la durée du mandat pour lequel il a été élu.
La guerre n’empêche pas la tenue d’une élection présidentielle
Or rien de tel n’est inscrit dans la Constitution du 4 octobre 1958. L’article 16 prévoit « l’exercice des pouvoirs exceptionnels » par le président de la République dans le cadre de ce qui pourrait être une guerre mais rien n’est écrit concernant une élection. « L’article 16 de la Constitution n’empêche pas la tenue d’une élection présidentielle : il n’est indiqué nulle part que l’élection ne puisse pas avoir lieu », indique Julien Bonnet, professeur agrégé en droit public à l’université de Montpellier et président de l’Association française de droit constitutionnel (AFDC).
Aussi, des conditions sont requises pour déclencher cet article qui dispose : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. »
Julien Bonnet précise : « Si la France était en guerre sur le front ukrainien, l’article 16 n’aurait pas à s’appliquer. Il n’y a que dans le cas très particulier où la guerre se tiendrait sur notre territoire national qu’il pourrait s’appliquer mais, même dans ce cas-là, théoriquement, la tenue des élections n’est pas exclue. » Il ajoute : « Non, la guerre n’empêche pas la tenue d’une élection présidentielle même si, dans certains États, il est arrivé que la guerre empêche en pratique la tenue d’une élection. Mais ce n’est pas prévu par la Constitution française et ce n’est pas non plus dans les usages. »
Le constitutionnaliste revient sur la spécificité de la définition de l’élection présidentielle en France : « Parce que les règles de l’élection présidentielle sont dans la Constitution, elles sont protégées. Elles sont ainsi à l’abri du vote d’une loi ordinaire qui pourrait, sous le coup d’une émotion, les modifier très rapidement. Il faut engager des procédures spéciales pour réviser la Constitution et cela devient beaucoup plus compliqué. Cela permet d’éviter les bricolages que certains pourraient vouloir faire dans certaines circonstances. »
Des garanties constitutionnelles
La crainte d’un coup d’État par le président de la République ou d’un abus de ses pouvoirs constitutionnels transparaît dans les messages circulant sur les réseaux sociaux cités plus-haut. Mais il existe des garanties constitutionnelles pour contrer ces scénarios. D’abord les conditions très précises pour recourir à l’article 16. Ensuite, une fois cet article appliqué, le président doit en informer la nation dans un message, il n’a pas le droit de dissoudre l’Assemblée nationale, le Parlement se réunit de plein droit et le Conseil constitutionnel est consulté au sujet des mesures décidées.
Mais surtout, l’Article 89 prévoit qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Ainsi, pendant la mise en œuvre de l’article 16, la Constitution ne peut pas être révisée en France, contrairement à « certains pays où la première chose que fait l’auteur d’un coup d’État ou d’un coup de force est de réviser la Constitution à son avantage », rappelle Julien Bonnet.
« En dernier recours, théoriquement, il est possible de destituer le président de la République en vertu de l’article 68 de la Constitution, s’il commettait « un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Le motif n’est pas clairement déterminé mais notre système prévoit des mécanismes de garantie et de contrôle », insiste-t-il.
De plus, affirmer qu’Emmanuel Macron pourrait ainsi rester « au moins 10 ans » est présenté comme une nouveauté alarmante sur les réseaux sociaux alors qu’il est connu qu’il quittera ses fonctions après dix ans d’exercice du pouvoir. En effet, il a été réélu président de la République en 2022 et aura donc nécessairement été à la tête du pays pour deux quinquennats, soit dix ans, lorsque son second mandat s’achèvera en 2027. Par ailleurs, il est inscrit dans l’article 6 de la Constitution sur l’élection du président de la République que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Ainsi, aucun chef de l’État français n’a le droit de rester plus de dix années successives au pouvoir.
En définitive, affirmer que des élections peuvent ne pas avoir lieu en temps de guerre et que cela est prévu par la Constitution est faux. Et l’actuel président de la France restera en effet au pouvoir dix ans, non pas pour des raisons d’entrée en guerre contre la Russie mais parce qu’il s’agit de la durée des deux quinquennats pour lesquels il a été élu.