Note d’Africa Check – Ce texte est une version actualisée par Africa Check d’un article du quotidien privé sénégalais EnQuête publié le 26 février 2024 dans le cadre de #SaytuSEN2024, une alliance de vérificateurs de faits pour l’élection présidentielle sénégalaise de 2024. Il concerne des faits ou des déclarations liés à l’élection présidentielle de 2024 au Sénégal. L’agenda en direction de cette présidentielle a été bouleversé par des développements majeurs, avec pour conséquence la reprogrammation de la campagne électorale et du scrutin. La présidentielle (premier tour) était initialement prévue le 25 février 2024, elle a été organisée le 24 mars 2024. Cet article n’aborde pas ses tendances, estimations ou résultats.
« Polémique sur l’exclusivité de sa nationalité sénégalaise : Khalifa Sall est-il toujours français ? »: c’est le titre mis à la Une par le journal privé sénégalais Direct News dans son édition du 22 février 2024, en référence à un opposant au nombre des candidats à l’élection présidentielle de 2024 au Sénégal.
« On lui prête la nationalité française. En tout état de cause, l’homme détient le passeport et la carte d’identité français », a écrit Direct News, dont l’allégation a été reprise ou partagée par d’autres médias. C’est le cas de SeneNews, Senegal Direct, ActuNet et Senego.
Au Sénégal, selon la Constitution, les candidats à la présidentielle doivent être exclusivement de nationalité sénégalaise.
Khalifa Sall ou Khalifa Ababacar Sall (opposition) est un ancien maire de Dakar, un ex-ministre et un ex-député. Il figure sur la liste définitive de 20 présidentiables publiés le 20 janvier 2024 par le Conseil constitutionnel, qui a examiné les dossiers de dizaines de candidats à la candidature et en a décliné plusieurs.
Karim Wade, ex-ministre et porte-drapeau du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), fait partie de ceux n’ayant pas été retenus pour la compétition électorale. Il est né d’une mère française et d’un père sénégalais, Abdoulaye Wade, qui a dirigé le Sénégal douze ans (2000-2012). Le dossier de Karim Wade a été jugé irrecevable pour cause de binationalité, ce qu’il a contesté, assurant avoir perdu sa « nationalité française par renonciation ».
Dans la foulée de cette controverse, a éclaté une autre polémique, après des publications faisant état de la double nationalité française et sénégalaise de Rose Wardini, gynécologue-obstétricienne et personnalité de la société civile parmi les vingt candidats retenus. Wardini a été entendue par la justice, qui l’a poursuivie pour cette affaire et l’a libérée sous contrôle judiciaire. Le 19 février 2024, cette candidate a annoncé son retrait de la course, tout en précisant avoir renoncé à sa nationalité française. Le Conseil constitutionnel a pris acte de sa décision et a publié le 20 février 2024 une liste actualisée de 19 présidentiables. Cependant, des rumeurs et allusions continuent de circuler au Sénégal sur d’autres cas supposés de double nationalité parmi les candidats en lice.
C’est dans ce contexte que Direct News a mis en doute dans son édition du 22 février 2024 « l’exclusivité » de la nationalité sénégalaise de Khalifa Sall.
« La double nationalité de Khalifa Sall est agitée dans le landerneau politique. On lui prête la nationalité française. En tout état de cause, l’homme détient le passeport et la carte d’identité français », a écrit le journal à la page 3 dans l’article daté du même jour également publié sur son site.
Pour les documents français supposés, Direct News a fourni des numéros. Il a indiqué qu’ils ont été délivrés en 2005 et ont expiré en 2015. « Après les cas connus de Karim Wade et de Rose Wardini, la nationalité française de Khalifa Sall refait débat », l’ancien maire de Dakar « est accusé de posséder la nationalité française », a-t-il encore écrit, sans mentionner l’identité des accusateurs.
Les réponses de Direct News à EnQuête
Joint par téléphone par EnQuête le 24 février 2024, le directeur général du journal, Pape Diogoye Faye a déclaré : « Ce qu’il (Khalifa Sall, NDLR) devait faire pour couper court à ces rumeurs, c’est de brandir le décret relatif à sa perte de nationalité (française, NDLR). Sinon, nous sommes obligés d’y revenir et de donner des preuves », estimant que le procureur de la République devait « pouvoir s’autosaisir, comme il l’a fait (dans) le cas (de) Rose Wardini » pour édifier les citoyens sénégalais.
À la question de savoir si son journal disposait de preuves de ces allégations, Pape Diogoye Faye a répondu : « Quand on donne le numéro de la carte d’identité, quand on donne le numéro du passeport, ça veut tout dire ». Quand nous lui avons rappelé la déclaration faite par Khalifa Sall lors d’une activité publique le 23 février 2024, selon laquelle il ne détenait plus la nationalité française, Faye l’a jugée « insuffisante ». « Il aurait été plus simple pour Khalifa (Sall, NDLR) de produire le décret pour mettre un terme à ce débat », a soutenu le patron du journal, « s’il a les preuves, il n’a qu’à les brandir ».
Réaction de Khalifa Sall lors d’une activité publique
Le 23 février 2024, d’après plusieurs médias locaux, Khalifa Sall s’est exprimé sur les allégations lui prêtant une double nationalité en marge d’une « visite de proximité » à Jaxaay, dans la banlieue de Dakar. Il a affirmé qu’il n’en était rien, réitérant des assurances déjà faites à l’occasion du scrutin présidentiel de 2019, selon ses propos rapportés notamment par le site sénégalais d’information Seneweb dans un article publié le 23 février 2024. « J’étais candidat en 2019 et j’avais fait une déclaration dans laquelle je disais que j’étais sénégalais et exclusivement de nationalité sénégalaise. Et je refais la même déclaration en 2024. Je veux que l’opinion nationale et (l’opinion) internationale retiennent que Khalifa Ababacar Sall, candidat à la présidentielle de 2024 au nom de la coalition Khalifa Président, est exclusivement de nationalité sénégalaise », peut-on lire sur Seneweb.
Vérification d’EnQuête
EnQuête a sollicité sur le sujet des sources diplomatiques françaises, qui ont confirmé que Khalifa Sall n’était effectivement plus français aux termes d’un décret pris en octobre 2015.
Nos recherches nous ont permis d’avoir accès au document officiel français qui en atteste. Il s’agit d’un décret daté du 29 octobre 2015, signé de Manuel Valls, alors Premier ministre en France. La décision est consignée dans le Journal officiel de la République française publié le 31 octobre 2015 sous le numéro 253 (JORF n°0253 du 31 octobre 2015). Dans la partie concernant les « naturalisations et réintégrations », on peut voir que Khalifa Sall est cité parmi quatre Français qui ont été « libérés de leur allégeance à l’égard de la France » aux termes de ce décret.
Note – Nous ne reproduisons pas l’intégralité de la décision concernant la perte de la nationalité française de Khalifa Sall, car il est interdit en France de publier « sous forme électronique » des actes concernant des individus, comme les décrets sur leur changement de nom, de naturalisation ou de perte de la nationalité française.
Le décret de perte de la nationalité française en vigueur dès sa signature
En France, selon les dispositions qui les régissent, « les décrets portant perte ou déchéance de la nationalité française » et les décrets abrogeant « un décret de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française sont publiés au Journal officiel de la République française. Ils prennent effet à la date de leur signature, sans toutefois qu’il soit porté atteinte à la validité des actes passés par l’intéressé ni aux droits acquis par des tiers antérieurement à la publication du décret sur le fondement de la nationalité française de l’intéressé ».
En d’autres termes, le fait qu’une personne perde sa nationalité française ne change pas ce qu’elle fait lorsqu’elle l’avait, et s’il y a des gens qui ont reçu des droits à travers elle, le fait qu’elle n’ait plus la nationalité française ne change rien pour eux.
Le décret de perte de la nationalité française pour Khalifa Sall a été signé le 29 octobre 2015.
Ce que dit la Constitution pour les candidats à l’élection présidentielle au Sénégal
Au Sénégal, pour être candidat à l’élection présidentielle, la Constitution exige un certain nombre de conditions, dont la nationalité exclusive. Son article 28 stipule : « Tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de trente-cinq ans au moins et de soixante-quinze ans au plus le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle », qui est actuellement le français.
La Direction générale des élections (DGE), qui dépend du ministère sénégalais de l’Intérieur, est « chargée de l’organisation des élections nationales et locales ainsi que des référendums » dans le pays. Elle a élaboré un guide pratique à l’intention de ceux qui aspirent à diriger le pays, selon lequel chaque candidat à la présidentielle « est tenu de faire une déclaration de candidature signée de ses propres mains et portant mention de ses prénoms, nom, date et lieu de naissance et filiation ». Cette déclaration « doit en outre comporter la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils et politiques ».
Le candidat déclaré doit aussi mettre dans son dossier « une déclaration sur l’honneur » par laquelle il assure se conformer à la Constitution et attester « qu’il a exclusivement la nationalité sénégalaise » ainsi qu’une « déclaration sur l’honneur par laquelle (il) atteste être en règle avec la législation fiscale du Sénégal ».
D’après le Conseil constitutionnel, une personne aspirant à diriger le Sénégal doit avoir effectivement perdu sa ou ses nationalités supplémentaires au moment du dépôt du dossier de candidature, même si le processus de perte de la ou des nationalités supplémentaires a été entamée en amont.
L’allégation incorrecte
Dans un article publié le 22 février 2024, le journal privé sénégalais Direct News a mis en doute la nationalité de Khalifa Sall, opposant en lice pour la présidentielle de 2024. « On lui prête la nationalité française. En tout état de cause, l’homme détient le passeport et la carte d’identité français », a-t-il écrit.
Dans une déclaration en marge d’une activité publique le 23 février 2024 dans la banlieue de Dakar, Sall a assuré qu’il était « exclusivement de nationalité sénégalaise » et que cela était déjà le cas quand il s’est porté candidat à la présidentielle de 2019.
Des sources diplomatiques françaises ont indiqué à EnQuête que Khalifa Sall n’était plus français en vertu d’un décret pris en octobre 2015. Ce décret de perte de la nationalité française, que nous avons pu consulter, a été signé le 29 octobre 2015 et publié au Journal officiel français le 31 octobre 2015.
L’allégation du journal Direct News est donc fausse.
Mor AMAR
Lire l’article original sur Africa Check : https://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/senegal-election-presidentielle-2024-candidat-khalifa-sall-nationalite-francaise-retiree-en-octobre-2015