Le 29 novembre 2023, à l’occasion d’une séance de commission parlementaire autour du projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », le député de l’Essonne, Antoine Léaument, issu du parti « La France Insoumise », a déclaré (de 2:11:45 à 2:12:14) : « C’est dingue, dès qu’on parle de Maximilien Robespierre, il y a des hurlements dans la salle. La devise qu’il a inventé est inscrite sur le fronton de toutes nos écoles, de toutes nos mairies. C’est “Liberté, Égalité, Fraternité“ ». Le parlementaire a ensuite repris le passage vidéo sur son compte X (ex-twitter) et, le même jour, en a fait un tweet : « À chaque fois qu’on parle de Robespierre, vous hurlez. Pourtant, c’est lui qui a inventé notre devise nationale : Liberté, Égalité, Fraternité ! Vous nous saoulez sans arrêt avec l’amour de la patrie. Apprenez donc son Histoire ! » Ce tweet dans lequel il s’adresse à ses opposants politiques et à ses détracteurs a été vu par plus de 56 800 internautes (au 30 novembre).
Les Insoumis, et Antoine Léaument en particulier, sont coutumiers des hommages à Maximilien Robespierre. Pour vérifier l’affirmation selon laquelle le révolutionnaire aurait été à l’origine de la devise de la République, il faut d’abord écouter la suite de la déclaration d’Antoine Léaument : « Devise inventée dans un discours sur les gardes nationales de 1790 si mes souvenirs sont bons. » Ce discours de Robespierre apparait donc comme être sa source.
Pour vérifier si la bonne source est utilisée, il faut se diriger vers les sites institutionnels de la République française. Plus précisément celui de l’Élysée et celui du gouvernement qui ont tous deux une page dédiée à l’histoire de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Le site présidentiel dit : « Les notions de liberté, d’égalité et de fraternité n’ont pas été inventées par la Révolution. Le rapprochement des concepts de liberté et d’égalité est fréquent sous les Lumières, en particulier chez Rousseau et chez Locke. Cependant il faut attendre la Révolution française pour les voir réunies en triptyque. Dans un discours sur l’organisation des gardes nationales de décembre 1790, Robespierre propose que les mots “Le Peuple Français“ et “Liberté, Égalité, Fraternité“ soient inscrits sur les uniformes et sur les drapeaux, mais son projet n’est pas adopté. »
Les sites gouvernementaux vont dans le sens du député
Le site officiel du gouvernement va dans le même sens : « Faire de la liberté et de l’égalité deux notions inséparables trouve son origine dans la période des Lumières, au XVIIIe siècle, notamment chez des philosophes comme Rousseau. Cette idée s’illustre dans les textes fondateurs de la Révolution française. Ainsi, l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen d’août 1789, reconnaît que “tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits“. Le rapprochement des trois notions “Liberté“, “Égalité“ et “Fraternité“ n’apparaît qu’en décembre 1790, sous la plume de Robespierre. Dans son Discours sur l’organisation des gardes nationales, le député de l’Artois propose que les mots “Le Peuple Français“ et “Liberté, Égalité, Fraternité“ soient gravés sur les drapeaux et les uniformes des officiers. »
Au vu de ce qu’en disent les sites institutionnels, Antoine Léaument semble déjà avoir raison. Pour en avoir le cœur net, il faut aller voir la source primaire directement : le Discours sur la garde nationale, du 5 décembre 1790. Un discours que Robespierre a bien écrit, puisqu’il est archivé, mais qu’il n’a jamais pu prononcer devant les parlementaires. Hervé Leuwers, professeur d’histoire à l’université de Lille et auteur de Maximilien Robespierre (paru aux éditions des presses universitaires de France en 2019) explique que le révolutionnaire l’a prononcé, le soir du 5 décembre, devant les membres du club des Jacobins. La séance a été houleuse, car Mirabeau la présidait. « Il y a eu un débat important dans la journée du 5 décembre. Robespierre a tenté de prendre la parole à plusieurs reprises et on savait ce qu’il allait dire. Mais le débat a été clos. Si bien que Maximilien Robespierre n’a pas pu prononcer le discours qu’il avait préparé devant l’Assemblée », indique l’historien. Il ajoute : « Les députés ne voulaient pas revenir sur le principe qu’ils avaient adopté, qui était celui d’un accès de la garde nationale aux seuls citoyens actifs. Il n’y avait pas de volonté de rouvrir le débat ». Cependant, ce discours de Robespierre a eu des conséquences : « Le 6 décembre 1790, le lendemain, il y a eu un amendement à ce décret qui a été adopté sans doute en grande partie à cause du discours de Robespierre devant les Jacobins. »
Robespierre est incontestablement celui qui a fait de ces trois mots une devise
Dans le décret que Robespierre avait prévu de proposer dans son discours de 1790, il est écrit : « Art 16. Elles (les gardes nationales) porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇAIS, et au-dessous : Liberté, Égalité, Fraternité. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux qui porteront les trois couleurs de la nation. ». Selon l’historien : « Robespierre est incontestablement celui qui a fait de ces trois mots une devise. »
Cependant, il est aussi important de dire que ce n’est pas la première occurrence de la suite de mots, « liberté, égalité, fraternité ». « La première mention qu’on connait de “Liberté, Égalité, Fraternité“ dans cet ordre-là et avec des mots séparés par des virgules, c’est Camille Desmoulins, juste après la fête de la fédération du 14 juillet 1790 », détaille le professeur Leuwers. Cette mention est en effet présente à la page 515 dans le n°35 des Révolutions de France et de Brabant, la feuille hebdomadaire que Camille Desmoulins a fondée en novembre 1789, publiée le 26 juillet 1790 et actuellement conservée à la Bibliothèque nationale de France (BNF) : « Après le serment sur-tout, ce fut un spectacle touchant de voir tous les soldats citoyens se précipiter dans les bras l’un de l’autre, en se promettant liberté, égalité, fraternité. »
« Chez Desmoulins, ce n’est pas une devise, il s’agit plus de trois mots qui sont alignés et qui montrent le sentiment des gardes nationales au moment du 14 juillet 1790 », précise Hervé Leuwers. Si l’on résume, Robespierre n’est pas le premier à lier les trois valeurs mais le premier à faire du triptyque une devise.
Il faut préciser que la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » n’est pas adoptée dès 1790. En 1793, les Parisiens écrivent, sur l’ordre du maire de Paris Jean-Nicolas Pache, sur les façades de l’Hôtel de Ville et des édifices publics, une devise qui s’en rapproche « Unité, indivisibilité de la République, Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort ». La mention de la mort disparait rapidement car faisant trop penser aux événements de la Terreur. Alors que, comme l’explique l’historien, il s’agissait plutôt d’une idée de « sacrifice de soi » : « Ou bien on réussit la révolution, ou bien on est prêt à se sacrifier soi-même. » La devise disparait ensuite sous l’Empire.
Elle fait son retour lors de la Révolution de 1848 avec la proclamation de la IIe République. La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » devient la devise officielle de la France et est présente dans le préambule de la Constitution de 1848.
Avec le Second Empire de Napoléon III (du 2 décembre 1852 au 4 septembre 1870), elle disparait. Elle revient définitivement, sous la IIIe République, après nombre de débats, le 14 juillet 1880 lorsqu’il est décidé qu’elle sera désormais inscrite sur tous les frontons des édifices publics de l’Hexagone. Elle figure aussi dans les constitutions de 1946 (IVe République) et de 1958 (Ve République).
Si Robespierre n’a pas inventé les concepts de « liberté », « d’égalité » et de « fraternité », c’est lui qui, pour la première fois en 1790, les allient pour en faire une devise représentant la garde nationale française, un symbole de la République. Antoine Léaument dit donc vrai : Robespierre est bien à l’origine de la devise de la République Française : « Liberté, Égalité, Fraternité ».