Business du SIDA au Bénin : de faux témoignages de remèdes sur les réseaux sociaux

Bénin
Santé et sciences

5 Sep 2024

13 minutes de lecture
Depuis juillet 2024, des témoignages autour de miraculeux remèdes contre le SIDA affluent sur les réseaux sociaux. Badona a analysé plus d’une quinzaine de publications. D’après nos vérifications, aucun remède ne guérit du Virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Sur Facebook, un internaute anonyme partage le 17 juillet 2024, un témoignage dans Bénin info plus, un groupe Facebook comptant plus de 13 000 membres. Dans le post, l’utilisateur du réseau social se présente comme un survivant du SIDA. Il dit avoir été guéri du virus grâce à un docteur qui guérit « définitivement toutes sortes de maladies’’.

 

« VIH/SIDA 😭  Salut tous.  Je vien au France. Je viens sur cette plateforme partager ma joie avec vous. Je vivais avec le VIH/SIDA depuis 2001😭. J’ai suivi des traitement à l’hôpital mais pas de résultat favorable 😭. Et comme Dieu n’oublie jamais les oiseaux, n’en parlons pas des humains. Dieu est passé par le docteur Innocent pour me donner la guérison totale et définitive contre VIH SIDA »(sic), se réjouit l’utilisateur de Facebook.

Présumé remède contre le SIDA

Le traitement, renseigne-t-il, a duré un mois et demi. « Le docteur m’a rassuré qu’il guérit définitivement toutes sortes de Maladies et aide les femmes à tomber enceinte rapidement », assure l’internaute anonyme. Il invite « tout le monde à contacter le docteur car il est le meilleur spécialiste des cas impossibles » via un lien WhatsApp. La publication est illustrée par un homme mourant dans un lit avec le joueur américain de basket-ball, LeBron James.

 

Ce témoignage de remède contre le SIDA n’est pas un cas isolé sur le réseau social Facebook. Nos recherches nous ont permis de retrouver plusieurs autres  (voir ici 12345, 678, 91011, 12131415 et 16) semblables à celui publié dans le groupe « Bénin info plus”. Mais plusieurs de ces posts ont des points suspects en commun.

 

Les publications de présumés remèdes contre le SIDA se multiplient sur les réseaux sociaux dans un contexte où le Bénin compte des chiffres inquiétants sur le VIH. Une publication en date du 12 mai 2021 sur le site officiel du gouvernement béninois indique que « la prévalence du VIH au niveau national est de 1,2 %’’. Plus précisément, « les statistiques désagrégées par sexe sont de 1.3 % chez la femme contre 0,8 % chez l’homme. Des chiffres encore plus élevés quand on prend en compte d’autres critères liés à l’âge ou aux catégories sociales vulnérables dans la désagrégation », alertent les autorités. En relayant les données du spectrum produites en 2019, le gouvernement béninois fait savoir que « 11% et 31% des nouvelles infections à VIH au Bénin sont enregistrées respectivement chez les adolescents de 10 à 19 ans (garçons et filles) et chez les jeunes de 15 à 24 ans (garçons et filles) ».

 

 Des profils anonymes

 

Les publications de remède miraculeux contre le VIH SIDA sont faites pour la plupart par des internautes anonymes. En cliquant sur la mention « Participant(e) anonyme », le réseau social Facebook signale que la « personne a publié de manière anonyme sans partager son nom ou sa photo de profil ».

On peut tout de même se demander pour quelles raisons des personnes reconnaissantes après avoir été supposément guéris du SIDA choisissent de témoigner sous le couvert de l’anonymat. Cela laisse planer un doute sur la crédibilité de ces témoignages.

 

De la rhétorique

 

Dans notre  processus de vérification, nous avons constaté que les témoignages de remède contre le VIH SIDA ont dans la majorité des cas les mêmes structures. Dans la première partie, le présumé survivant du virus déclare être souffrant depuis plusieurs années. Dans la deuxième partie, il suscite l’émotion et l’empathie chez les internautes expliquant le danger de la maladie et l’inexistence de guérison du patient qui en souffre. « Le virus du VIH est une maladie désespérée dont tout le monde conclut qu’il n’y a pas de remède. Et il y avait tellement de douleur, nous n’avions pas été en mesure de surmonter cela car il n’y a pas de remède médical à ce virus, et le médicament antirétroviral est pour une durée de vie », mentionne une publication en date du 17 juillet 2024 (Lire ici).

Dans la troisième partie, un bon samaritain apparaît et informe soit le patient, soit un de ses proches de l’existence d’un tradithérapeute qualifié de docteur dans les publications. Le patient contacte le plus souvent ce guérisseur qui propose des traitements d’un à trois mois concluants (voir ici 12345, 678, 91011, 12131415 et 16).

 

Dans la dernière partie des posts de témoignage de remède contre le SIDA, le présumé survivant du virus partage soit le contact téléphonique du « docteur » ou un lien WhatsApp pour des échanges. « Je rejoins de nombreux médias pour publier ces témoignages et je sais que beaucoup de gens trouveront cela utile. D’après notre expérience, il pourrait également guérir le VPH, le VIH SIDA, les cancers, l’herpès, l’hépatite B, C et A, le diabète, la syphilis, la chlamydia et encore plus d’informations voici le lien de son groupe WhatsApp https://wa.me/message/NNUS272WIQJ7D1 », (sic) lit-on dans un post dans le groupe Pour la Côte d’Ivoire (Lire ici).

 

De présumés survivants du SIDA

 

Les photos utilisées pour l’illustration des publications ne sont pas forcément celles de survivants du VIH. En témoigne, le cliché d’un couple tout souriant avec un bébé dans un canapé utilisé dans cette publication en date du 19 juillet 2024. Grâce à l’outil de vérification Yandex, nous avons retrouvé la photo originale. Mais attention ! L’homme et la femme visibles sur la photo ne sont pas des survivants du SIDA. Le couple Susie et Tony Troxler est devenu célèbre après avoir partagé leur histoire de fertilité tardive sur la télévision WFMY News, en 2021 (Voir iciici, et ici). Les nouveaux parents ont eu leur premier bébé, leur fille Lily après des décennies d’attente.  Les faits se sont déroulés à Greensboro, ville américaine située en Caroline du Nord. À l’époque, Susie et Tony avaient respectivement 50 et 61 ans. Dans les photos et vidéos publiées par le média américain, on peut voir le couple dans les mêmes tenues que celles retrouvées sous la publication qui les agitent comme des survivants du SIDA.

 

Des remèdes entre 60 000 et 100 000 FCFA

 

Afin de connaître un peu plus les produits, nous avons cliqué sur des liens WhatsApp pour échanger avec des guérisseurs présumés. De nos discussions, il ressort que les remèdes proposés sont des produits faits à base de plantes médicinales. « C’est la tisane de différentes de produits bio traditionnelle fait au laboratoire et testé par plusieurs personnes. Cela a donner de bonnes résultats », a répondu dans un français approximatif, Docteur Prophète Romaric à nos messages. Son produit, présumé remède contre le VIH SIDA coûte 125 000 FCFA. Le client a, informe-t-il, deux mois de garantie. Un autre guérisseur traditionnel, Docteur La Gloire propose ses tisanes faites à base de plantes naturelles à un coût de 90 000 FCFA pour une durée d’utilisation de deux mois. Moins cher que les deux précédents, Docteur Athanase cède son produit à 60 000 FCFA. « C’est une produits naturels préparer au laboratoire et sans effet secondaire ni d’inconvénient »(sic), vante-t-il. Nos interrogations sur les plantes sont restées sans suite.

Photo de quelques présumés remèdes contre le SIDA

 

Qui sont ces guérisseurs présumés du SIDA ? Badona a fait semblant de transférer de l’argent sur le compte Mobile Money communément appelé MoMo de chacun des trois numéros téléphoniques qui sont tous d’un réseau GSM influent. Grâce à ce procédé, nous avons découvert que les présumés guérisseurs n’utilisent pas leurs véritables identités sur les réseaux sociaux. Docteur Athanase et Docteur Prophète Romaric ont respectivement pour noms Daniel Tonasse et Yetongo Samuel Totonhesse. Docteur La Gloire n’ayant pas un compte MoMo, son identité n’a pas été révélée.

 

Des guérisseurs arnaqueurs selon l’association REBAP+

Selon le président du Conseil d’administration du Réseau béninois des Associations de personnes vivant avec le VIH/SIDA (REBAP+), Valentin Nassara, les cas d’arnaque sont monnaie courante dans le rang des patients.  Surtout, « les patients qui ont honte, ceux qui ne se sont pas inscrits dans notre réseau). Les arnaques sont opérées, indique-t-il, par des personnes malintentionnées qui proposent des remèdes aux porteurs du virus ». « Ce temps d’arnaque était passé. Mais malheureusement ça refait surface », regrette Valentin Nassara. Le cas récent dont il a eu vent est celui d’une dame patiente. « J’étais quelque part, une dame me disait que c’est comme ça on lui a donné des produits qui peut la guérir du SIDA qu’elle a achetés jusqu’à un montant de 150 000 F CFA. Elle disait avoir payé parce qu’elle avait honte de continuer à prendre les antirétroviraux », rapporte le président du REBAP+. Pour lui, ces cas d’arnaques sont toujours enregistrés parce que ‘’la sensibilisation a baissé en intensité”. Conséquence, « les gens n’ont plus l’information ». Les remèdes présumés contre le VIH pullulent selon lui « aussi à cause des discriminations des proches de malades ».

 

Pas de remède contre le VIH SIDA

 

Dr Dannialou Zoumarou, coordonnateur du Programme national de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle au ministère béninois de la santé affirme n’avoir connaissance d’aucun remède contre le VIH SIDA. « S’il y avait un tel remède au Bénin, je crois que la voix la plus autorisée pour en parler serait celle de monsieur le ministre de la Santé », a-t-il confié. Mais, il n’y a rien, confirme le médecin biologiste, René Kéké Kpemahouton, coordinateur adjoint du Programme santé et lutte contre le SIDA au Bénin. Il assure que « dans le monde de la science moderne et également de la médecine traditionnelle, il n’y a pas encore de remède contre le SIDA ». D’après le spécialiste, « dans le monde de la médecine traditionnelle, les gens ont fait des essais mais il n’y a pas encore eu une preuve formelle de quelqu’un qui a été guéri du SIDA ». « Il existe des traitements allégés qui contrôlent le SIDA mais ne guérissent pas », a expliqué René Kéké Kpemahouton. Le Dr Dannialou Zoumarou insiste : « Il faut que nos populations soient plus vigilantes et qu’elles ne se laissent pas duper par des personnes en quête de gains faciles. »

 

L’Agence béninoise du médicament et des autres produits de santé (ABMed) est la seule structure chargée de l’homologation des produits de santé au Bénin. Joint au téléphone, Dr Vignon Noufionsou, directrice du département de l’homologation de l’ABMed fait savoir qu’ « il n’y a pas encore de produits disponibles qui guérissent définitivement le VIH SIDA. Même chez les tradithérapeuthes, aucun d’eux ne fournit de produit qui guérit le SIDA validé par l’ABMed ». Sur la liste des produits pharmaceutiques homologués par l’agence ne figure aucun produit capable de guérir ce mal.

 

Peut-on guérir le VIH SIDA ?

Le Syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) est considéré par l’OMS comme l’un des défis de santé publique les plus importants au monde, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Il désigne le stade clinique le plus avancé de l’infection par le VIH, défini par l’apparition de plus de 20 infections opportunistes ou cancers connexes associés à la maladie. D’après l’Organisation mondiale de la santé, l’infection VIH entraîne une détérioration progressive du système immunitaire, réduisant la capacité de l’organisme à lutter contre certaines infections et d’autres maladies. Contrairement aux annonces sur les réseaux sociaux, « il n’existe pas de moyen de guérir l’infection à VIH ». « Elle (la maladie, ndlr) est traitée à l’aide de médicaments antirétroviraux, qui empêchent le virus de se répliquer dans l’organisme », informe l’OMS dans une publication en date du 13 juillet 2023.

 

Le médecin biologiste, René Kéké Kpemahouton, coordinateur adjoint du Programme santé et lutte contre le SIDA au Bénin invite les patients du SIDA à suivre rigoureusement leur traitement antirétroviral. D’après le spécialiste, l’usage d’autres remèdes des présumés guérisseurs traditionnels ne présente aucune garantie.  « On ne connaît pas l’efficacité des produits sur le contrôle de la réplication virale. Du coup on ne saurait se prononcer sur l’efficacité réelle si on ne mesure pas la charge virale pour une évaluation réelle », a-t-il fait savoir René Kéké Kpemahouton.

En charge de la coordination de l’action  des différentes agences spécialisées de l’ONU pour lutter contre la pandémie de VIH / sida, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) n’a pas encore enregistré un remède susceptible de guérir la maladie comme le prétendent les pseudo-docteurs des réseaux sociaux.

Winnie Byanyima, directrice exécutive du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) affirme à cet effet qu’elle n’a pas connaissance d’un remède contre le VIH SIDA.

« Aujourd’hui, ce que nous devons savoir, c’est qu’il n’y a aucun vaccin, aucun remède trouvé contre le VIH. Ce que nous savons, c’est qu’il y a des médications pour la prévention et le traitement du virus », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse animée avec le Réseau des médias africains pour la promotion de la santé et de l’environnement (REMAPSEN) à Cotonou, mercredi 11 septembre 2024.

Pour prévenir le VIH, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande la prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour les personnes non infectées. « La prophylaxie pré-exposition ou PrEP, c’est l’idée de prendre des médicaments avant d’avoir éventuellement des rapports à risque d’acquisition du VIH. (…) L’idée, c’est d’avoir du médicament dans son sang avant que le virus n’arrive. Comme ça, si jamais un virus passe, il est directement tué », a expliqué le Docteur Agnès Libois, chef clinique adjointe au service des maladies infectieuses au Centre hospitalier universitaire à Bruxelles en Belgique dans un entretien publié, en novembre 2019, sur la plateforme Prévention Sida.

Verdict

Les témoignages de guérison du SIDA sont trompeurs. D’après l’Organisation mondiale de la santé, le ministère de la santé du Bénin et l’Agence béninoise du médicament et des autres produits de santé, il n’existe, pour l’heure, aucun produit qui guérit l’infection à VIH.

 

Lire l’article original sur Badona : https://www.badona.info/detox/article/20240904-sida-au-benin-aucune-certitude-sur-l-efficacite-des-remedes-proposes-sur-les-reseaux-sociaux