Syrine Attia : « Les gens ont découvert et trouvé important de redécouvrir notre histoire en faisant des vidéos (…) moins impressionnantes qu’un article académique. »
Au centre, Syrine Attia
Photo : Laure d’Almeida/EPJT
Tunisie, Maroc et depuis deux mois, l’Égypte. Ce n’est pas le programme d’un tour opérateur, mais bien l’implantation de Brut en Afrique du Nord.
Le média français créé en 2016, exporte sa maîtrise des réseaux sociaux et de leurs codes outre Méditerranée, et pour coordonner le tout, il y a la rédactrice en chef de Brut Tunisie. Rencontre avec Syrine Attia.
Parmi les grands thèmes de Brut, on retrouve le féminisme ou encore la discrimination envers les minorités. Comment parler de ces sujets dans des pays où ces droits sont plus précaires qu’en Europe ?
S.A «Je me rend compte qu’on peut rapidement être étonné par les réactions de l’audience, qu’on penserait beaucoup plus réfractaire à ces sujets-là, et qui en fait l’est beaucoup moins qu’on l’on pensait. Surtout sur des plateformes où on touche des plus jeunes.
Sur Instagram par exemple, les réactions à ces sujets-là sont tout aussi enthousiastes que celles qu’on peut retrouver en France. En fait les gens ont envie qu’on leur parle de ça, ont envie de faire bouger les choses dans ce sens-là.
Quand on prend le cas de la Tunisie (…), l’année dernière il y a eu un mouvement social, en janvier, avec principalement des manifestations de jeunes qui se sont exprimés sur ces questions-là (…), qu’on retrouve chez Brut. (…) Ces thématiques-là elles existent aussi dans les pays qu’on couvre, donc c’est important d’accompagner ces acteurs qui peut-être ne trouvent pas de plateformes qui pourraient les accompagner de la même manière que Brut dans le paysage médiatique du pays. »
L’image de la presse chez les jeunes a changé depuis que Brut a sa branche tunisienne ?
S.A « Brut est arrivé il y a un an en Tunisie, entre temps il y a eu des acteurs locaux qui, comme nous, ont aussi proposé des vidéos sur les réseaux sociaux. On n’a donc pas la prétention de dire qu’on a été les premiers avec ce format-là en Tunisie. (…)
Par contre, ce qui fait du bien avec Brut, c’est cette incarnation. C’est-à-dire qu’on reste encore les seuls à vraiment faire du reportage où on va suivre une personne du début à la fin, ne pas mettre en scène, être dans des situations de vie.
Et on voit dans les réactions que les gens (…) apprécient cette manière-là de rendre compte de leurs vies, et ça change beaucoup du journalisme, même celui qu’on retrouve sur les réseaux sociaux. Je pense qu’on se démarque sur ça.
Depuis la révolution, en Tunisie, on s’intéresse aussi beaucoup plus à notre patrimoine culturel et historique, et ça on l’a accompagné. Il y a des évènement historiques que je n’ai appris que tardivement (…), et je me suis dit qu’il fallait qu’on en parle. Par exemple, on ne nous dit pas que la Tunisie a été occupée par l’Allemagne nazie pendant 6 mois, qu’il y a eu une rafle des juifs à Tunis… On a fait une vidéo dessus et pleins de gens ont découvert ça et ont trouvé important de redécouvrir notre histoire en faisant des vidéos qui peuvent paraître moins impressionnantes qu’un article académique sur le sujet. Ça les gens l’ont remarqué aussi.
Est-ce qu’on peut se servir des réseaux sociaux et de leurs codes pour sensibiliser un public plus jeunes aux violences dont les journalistes font de plus en plus souvent face ?
S.A (…) Quand on va essayer, à travers ces manières de filmer comme n’importe quelle personne prendrait son téléphone et filmerait quelque chose, d’être le plus authentique possible, je pense que parfois ça défait ce sentiment de défiance.
On peut le voir à travers le live, on n’en fait pas encore sur nos plateformes africaines (…), mais par exemple, en France ça a vraiment permis de se dire : « ah, c’est sûr que c’est vraiment ce qui est en train de se passer, parce qu’il [ le journaliste] est dans la manifestions, pendant des heures. »
Et ça j’aimerais beaucoup qu’on le fasse sur nos plateformes africaines, ça permettrait beaucoup qu’on arrête de prendre les journalistes pour cible alors qu’ils ne sont là que pour couvrir une information.
Recueilli par Florent Schauss/IHECS