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[Interview] Jérôme Bouvier : « Un espace où les journalistes peuvent confronter leurs expériences »

Marseille 2025

30 Avr 2025

Jérôme Bouvier, président de l'association Journalisme et citoyenneté qui organise les Assises, voit celles-ci comme un lieu d’échange indépendant.
Jérôme Bouvier, président des Assises. Photo : Les Assises

 Les Assises devaient se tenir à Tunis, puis à Beyrouth. Pourquoi finalement Marseille?

Jérôme Bouvier.  Lorsque j’ai créé les Assises du journalisme de Tunis en 2018, le pays était encore porteur des rêves du Printemps arabe. Mais le climat politique a changé. Une multiplication d’embûches nous a poussés à les annuler, la mort dans l’âme. Nous avons ensuite imaginé les organiser en début d’année à Beyrouth mais la situation géopolitique ne l’a pas permis. Après avoir consulté des confrères et des consœurs des deux rives de la Méditerranée, nous avons choisi Marseille, ville symbole de la région.

Qu’attendez-vous précisément de cette édition ?

J. B. Nous cherchons un lieu d’ancrage des Assises méditerranéennes. La ville de Marseille et des associations culturelles sont grandement impliquées dans certaines questions que nous allons aborder. Entre ce qui se passe à Gaza, au Liban, au Soudan, ou au Yémen, il faut montrer qu’il existe un espace indépendant de toute tutelle, de tout pouvoir médiatique, économique ou politique où les journalistes peuvent parler entre eux et confronter leurs expériences.

Comment répondre aux défis que les journalistes de la Méditerranée rencontrent ?

J. B. L’intelligence artificielle est un premier sujet. La question climatique s’exprime de façon encore plus brutale dans cet espace et la place consacrée dans les médias est pourtant très faible. Se pose aussi la question de l’équilibre économique, notamment celui des médias du service public. Il faut travailler ensemble car ces défis sont ceux auxquels nous faisons face également. Avant, on était tous enfermés dans l’individualisme. Depuis dix ans, la multiplication des enquêtes participatives ou encore des collectifs de journalistes crée des liens entre les rédactions et les journalistes. C’est la clef pour répondre à ces défis.

Une charte pour le bon traitement éditorial des migrations devrait être signée. Pourquoi ?

J. B. Le traitement éditorial diffère selon la provenance. Si quelqu’un vient des pays du Sud, c’est un migrant dont l’arrivée représente un danger. S’il vient du nord, c’est un expatrié qui se crée des opportunités. C’est dramatique. La mer Méditerranée est devenue un cimetière rempli de dizaines de milliers d’hommes et de femmes. Il faut que nous mettions des mots sur cela. Le mérite de cette charte est d’attirer l’attention. Les journalistes ont une responsabilité dans la façon dont ils parlent. Ce sont des objectifs communs.

Le 16 avril, des centaines de journalistes français se sont rassemblés à Paris et à Marseille en soutien aux journalistes palestiniens tués par l’armée israélienne. Cette mobilisation n’est-elle pas tardive ?

J. B. Journalisme et Citoyenneté a pris ce sujet à bras le corps dès les premiers jours. En février 2024, nous avions organisé une soirée-débat intitulée « Journalisme des deux rives de la Méditerranée : l’urgence de se parler » et invité des organisation à lancer un appel « pour que cesse le massacre des journalistes à Gaza ». Puis, nous avons essayé de dénoncer cette asymétrie médiatique : en Israël, les journalistes pouvaient donner corps à l’horreur vécue par les familles des otages, tandis qu’à Gaza, il n’y avait pas d’histoires individuelles. Ce travail a pu commencer grâce à des journalistes gazaouis qui ont eu le courage d’exercer leur métier malgré des conditions dantesques.

Recueilli par Rhaïs Koko et Marie-Mene Mekaoui/EPJT