« La question coloniale ce n’est pas seulement occuper un territoire, c’est l’idée de la hiérarchie de l’humanité. Elle est au cœur de l’origine des puissances », insiste Edwy Plenel lors de son entretien à l’auditorium pour la soirée Décoloniser l’information, un alibi ou une nécessité ? aux Assises du journalisme. « Loin d’être un passé, la critique du colonialisme et de l’impensé est bel et bien un présent », souligne-t-il encore. Dans son essai Palestine, notre blessure, paru le 6 mars dernier aux éditions La Découverte, le journaliste déploie sa verve habituelle. Il dénonce l’impunité dont bénéficie l’État d’Israël alors même que celui-ci piétine sans retenue le droit international. Selon Plenel, c’est une invitation à la sauvagerie générale dans les affaires internationales.
L’engagement du journaliste est connu depuis longtemps. « Vous connaissez mes positions sur la Palestine », nous a t il confié dans un entretien en préalable à la conférence qu’il donnait aux Assises. Pour lui, ne pas laisser les mains libres à Israël va plus loin qu’un engagement partisan. Tout soutien inconditionnel à Israël est forcément un renoncement, une aberration, une critique du côté de la lucidité. Il cite pour l’exemple les 200 journalistes tués à Gaza, chiffre du syndicat des journalistes palestiniens. Un massacre sans précédent dans toutes les guerres modernes, souligne Edwy Plenel.
A cela s’ajoute le scandale du double standard occidental, qui s’indigne et agit beaucoup plus contre la Russie que contre Israël. « On ne doit pas être campiste, c’est-à-dire voir qu’une question et ne pas voir les autres. C’est pour ça que j’ai rappelé que sur le droit international, tout soutien inconditionnel à Israël est la ruine du droit international et le meilleur cadeau fait à Poutine. » Il rappelle la résolution de solidarité avec l’Ukraine adoptées aux Nations unies le 24 février dernier : « La Russie, la Corée du Nord et les États-Unis ont voté contre. L’État d’Israël a également voté contre le soutien à l’Ukraine. Cela n’a pas été souligné dans les médias. »
Cette exigence de justice n’est donc pas un soutien aveugle à la Palestine. « Pour moi, la Palestine, si nous arrivons à la sauver et si elle se sauve elle-même d’abord, a le droit d’avoir une presse indépendante. Une presse qui posera les questions de la corruption de l’autorité palestinienne, celles du sectarisme du Hamas, du lien cynique avec le Qatar qui a permis l’instrumentalisation du Hamas par les dirigeants israéliens contre l’autorité palestinienne pour diviser le camp palestinien. » Dans ce contexte, la décolonisation de l’information, c’est aussi se poser les bonnes questions, autrement dit celles qui dérangent.
L’enquête comme un puzzle
« Ces régimes sont les adversaires de leur propre peuple et s’attaquent aux droits fondamentaux, dont la liberté de la presse. C’est pour cette raison que j’ai évoqué les atteintes aux droits des journalistes par des régimes issus de coups d’État militaires en Afrique subsaharienne. Ceux-ci sont portés par un ressentiment légitime contre la France coloniale ou encore la responsabilité des régimes arabes dans le sort qui est fait à la Palestine. » Lors de ses interventions, Edwy Plenel a rappelé que les journalistes ne sont pas au côté des États mais au côté des populations, du peuple et de son droit de savoir. Une presse qui pose les bonnes questions, qui critique et interroge les rapports de force comme voie de la décolonisation de l’information.
Si le métier de journaliste doit se situer loin de l’opinion et de l’émotion, il devrait aider à y voir clair pour sauver le futur. C’est le rôle de l’investigation, ce genre qui permet de poser une question en profondeur. « Je vois l’enquête comme un puzzle. On trouve une pièce, on vérifie qu’elle entre bien avec les autres. C’est l’artisanat du métier, recouper, sourcer, documenter. Et puis on crée un paysage. »
Le fondateur de Mediapart parle de la problématisation constante qui l’accompagne, dans ce qu’il écrit ou dit. « Nous sommes nés des espoirs de la révolution numérique et nous sommes aujourd’hui confrontés à sa part d’ombre. » Pour les jeunes générations, la bataille contre cette part d’ombre est essentielle selon le journaliste « car elle a pour alibi l’opinion, le droit de dire, d’exprimer, y compris l’innommable. Et nous devons défendre autre chose, le rapport à la vérité, petite et plurielle, qui va peut être déranger de fait, y compris nos propres opinions ».
Recueilli par Clara Duchêne/EPJT