SFR et Orange proposent une initiative inédite : coupler abonnements téléphoniques et kiosques en ligne. Les opérateurs ont la volonté de donner un second souffle à la presse écrite. Mais ce modèle est-il une solution pour des journaux qui peinent à se vendre ?
Le Figaro, Libération, Le Parisien – Aujourd’hui en France, l’Express, Sud Ouest, le Journal du dimanche, Elle, Paris Match… Tous ces titres sur une même plateforme, tous réunis dans une application téléchargeable sur les téléphones portables, les tablettes et les ordinateurs. C’est ce que propose SFR Presse depuis le mois d’avril 2016. L’offre contenait à l’origine 18 titres. Depuis, elle n’a cessé de s’enrichir au fil des mois, pour atteindre le nombre de 65.
Un kiosque virtuel : rien de nouveau à première vue. L’un des plus connus, le néerlandais Blendle regroupe déjà plus de 100 titres, dont le New York Times et le Huffington Post. Mais les différences de fonctionnement sont majeures. Pour SFR, le kiosque est compris dans la plupart des abonnements mobile et englobe tous les titres alors que pour Blendle, l’achat se fait à l’unité. Les personnes qui n’ont pas de forfait chez l’opérateur ne sont pas en reste. Elles peuvent s’abonner pour la modique somme de… 19,99 euros par mois. C’est parfois le prix d’un unique abonnement pour certains titres de presse.
Le principe ? Les utilisateurs téléchargent les journaux de leur choix au format PDF, avant la sortie en kiosque. L’accès en avant-première et en illimité est garanti pour 65 titres. Et ça semble marcher : l’opérateur annonçait, dans un communiqué de presse en date du 8 mars 2017, avoir franchi les dix millions de téléchargements. Pour le seul mois de janvier 2017, SFR Presse a battu des records : l’application aurait été téléchargée 1,5 million de fois. Une explosion certainement due à l’arrivée de nouveaux titres sur la plateforme : Elle, Paris Match, Le Figaro, Le Figaro Magazine, Madame Figaro, Télé 7 jours et La Dépêche. Et tout ça pour le même prix.
SFR n’est pas le seul opérateur à avoir mis en place une offre. Depuis juillet 2015, Orange est partenaire de ePresse. Ce kiosque en ligne compte plus de 500 titres. Mais le système diffère : l’engagement comporte là quinze crédits mensuels à dépenser dans le catalogue de quotidiens. Un titre correspond généralement à un crédit. L’option est uniquement accessible aux clients Orange. Les abonnés déboursent seulement 10 euros par mois, sans engagement, et peuvent résilier leur abonnement dès qu’ils le souhaitent.
Johan Hufnagel, numéro deux de la direction de Libération, paraît satisfait du service : « Faire partie du service SFR Presse est extrêmement intéressant. SFR a 18 millions de clients, ce qui représente pour nous un immense réservoir de lecteurs. » A l’heure où les kiosques meurent à petit feu, SFR Presse représente une option intéressante. Libération enregistrait par exemple pour l’année 2015 une importante baisse de 17,04 % de ses ventes en kiosque, selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias.
Merci les opérateurs ?
Michel Combes, le PDG du groupe SFR voit grand pour le projet : « Tous nos compétiteurs vont faire la même chose : je pense que notre initiative sera copiée, y compris à l’étranger. » Et si la presse toute entière devait dire merci aux opérateurs ? En façade, le modèle paraît être une véritable révolution. Dans les faits, c’est bien moins idyllique.
Dès lors qu’on aborde la question de la rémunération, les portes se ferment. Libération fait partie des titres les plus téléchargés chaque jour sur l’application SFR Presse mais Johan Hufnagel reste discret concernant les tarifs. Il confie tout de même que « tous les titres de presse ne touchent pas la même somme. Libération est en train de négocier, dans l’intérêt de tous. » Selon une enquête du magazine Challenges de février, « l’éditeur ne perçoit généralement que quelques centimes par exemplaire. »
C’est pour ça que certains refusent de se soumettre à ce système. Etienne Gernelle, directeur du Point, s’indignait mardi 14 mars dans l’émission L’instant M sur France Inter : « SFR est une machine à tuer la presse. » Il reproche à l’opérateur les tarifs qu’il propose. Une rémunération trop faible qui met, selon lui, en danger la qualité de la presse. D’autres, comme le magazine Society, ont quitté le service.
Cela n’empêche pas les opérateurs mobiles de se présenter comme les sauveurs de la presse. « Nous rémunérons les journaux, c’est une nouvelle source de revenus pour eux », se félicitait Michel Combes, le 10 février 2017 devant l’Association des journalistes médias. Certes, mais cette nouvelle offre peut aussi ralentir les autres options de ventes, en kiosques, avec des abonnements directs à un titre… Des offres qui sont, finalement, davantage rémunératrices que le téléchargement d’exemplaires en passant par SFR ou Orange.
Cet intérêt soudain pour sauver la presse pourrait cacher aussi un tout autre dessein : assurer une optimisation fiscale. La presse bénéficie d’un taux de TVA à 2,1 %, nettement plus bas que celui appliqué habituellement sur les abonnements téléphoniques, qui s’établit à hauteur de 20 %. Le groupe, en couplant le service SFR Presse et les abonnements, finit, grâce à ce tour de magie, par faire des économies sur ses reversements de TVA à l’Etat. Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne dénonçait une « instrumentalisation fiscale » dans un communiqué publié le 28 avril 2016 avant de rappeler que « ce taux réduit tire sa légitimité du rôle constitutionnellement reconnu de la presse pour permettre aux citoyens d’accéder à l’information nécessaire à la formation de leurs opinions. »
Patrick Eveno, spécialiste de l’histoire des médias et utilisateur assumé de l’application, admet que le modèle ne va peut-être pas durer avant de poursuivre : « Certes, la rémunération est faible mais SFR Presse donne quelques années de sursis à des titres, comme Libération, dont le modèle est déjà mort. »
Philippine David et Léna Soudre