La création d’un conseil de presse fait de nouveau débat chez les journalistes et les éditeurs. Certains plébiscitent un outil de régulation. D’autres craignent la censure.
Entre les médias et leur public, le climat est délétère. Les journalistes sont régulièrement pris pour cible dans l’espace public. Une fracture symbolisée par le mouvement des Gilets jaunes. Alors comment rétablir la confiance entre la profession et la population ? Une proposition revient souvent dans les débats : l’autorégulation des médias, avec l’instauration d’un conseil de presse déontologique. Jean-Luc Mélenchon avait porté cette idée dans son programme lors de l’élection présidentielle de 2017, avant, quelques mois plus tard, de lancer une pétition en ligne qui avait recueilli plus de 190 000 signatures. En 2014, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, avait lancé une mission sur le sujet qui avait conclu à l’absence de consensus entre syndicats de journalistes, ouvertement favorables, et éditeurs.
« Sujet sensible »
En octobre 2018, le ministère de la Culture s’est réemparé du dossier en confiant une mission sur le sujet à Emmanuel Hoog. Initialement prévue en janvier, la publication du rapport, qui n’engage pas le processus de création d’un conseil de presse, devrait être faite d’ici quelques jours.
Franck Riester, le ministre de la Culture, se dit « prudent » quant à cette démarche, parlant même de « sujet sensible » dans les colonnes du JDD du 10 mars. « Le rapport et ses conclusions pourront être une base de travail pour les journalistes, mais sa vocation première sera de faire de la pédagogie : expliquer ce qu’est un conseil de presse. C’est aux professionnels de s’entendre sur le périmètre d’action », précise Emmanuel Hoog.
La déontologie occupe d’ores et déjà une place importante au sein du paysage médiatique du pays. La presse française se réfère à différents textes déontologiques, comme la Charte de Munich, quand les rédactions n’ont pas leur propre code, à l’image de Ouest-France ou France Télévisions. Radios et télés, quant à elles, relèvent du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui peut, dans les cas les plus extrêmes, émettre des sanctions.
Mais la France demeure une exception sur le Vieux continent. Une vingtaine de pays européens se sont déjà dotés d’un conseil de presse, parmi lesquels figurent la Belgique, la Suède, le Danemark ou la Norvège, membres du top 10 du classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.
Soupçon de corporatisme
« La présence d’un conseil de déontologie de la presse n’entraîne pas automatiquement une montée au classement, mais cela peut expliquer en partie la bonne place qu’y occupent certains pays comme le Danemark », analyse Paul Coppin, le responsable des activités juridiques de l’organisation. Selon les pays, les priorités de ces instances diffèrent. Régulièrement mis en avant, le traitement des plaintes du public n’est pas forcément la tâche principale de ces conseils conçus pour être des médiateurs forts entre le public et les journalistes.
Leur composition varie également selon les pays. La plupart ont une représentation tripartite, avec des journalistes, des éditeurs et des représentants de la société civile, afin d’éviter les soupçons de corporatisme. Une particularité que le futur conseil de presse français pourrait présenter. « Ceux qui se sont montrés favorables à un conseil de presse ont tous dit qu’il fallait une représentation de la société civile au sein de cette instance », confirme Emmanuel Hoog. Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) se dit ouvert au principe d’un conseil de presse. Tout comme le Syndicat national des journalistes (SNJ) qui revendique la « création d’une instance nationale de déontologie » et demande l’inscription de la Charte de Munich dans la convention collective des journalistes. Jean-Marie Charon, sociologue au Centre national de la recherche scientifique et spécialiste des médias, estime que cette dernière requête suffit. « Reconnaître un texte qui soit opposable par les journalistes serait beaucoup plus intéressant que d’avoir un conseil au-dessus de tout », juge-t-il, considérant comme « inutile » la création d’un conseil de presse. « On peut envisager la médiation d’une autre manière, comme par exemple avoir des structures au sein des rédactions », argue encore Jean-Marie Charon. Mais la création de ce conseil ne solutionnerait pas tout. Plusieurs critiques reviennent souvent sur la mission d’Emmanuel Hoog.
La principale : que l’État soit à l’initiative du projet. « Même s’il n’aura aucun pouvoir dans le conseil une fois celui-ci créé, cette démarche n’envoie pas un bon signal », estime par exemple Jean-Christophe Boulanger, président du Spiil. Emmanuel Hoog tempère : « Ce n’est pas parce que l’État me missione qu’il jouera un rôle dans le futur conseil de presse. Sa place sera nulle. »
La solution aux problèmes déontologiques pourrait d’abord passer par les rédactions et par des journalistes qui se remettent quotidiennement en question. En janvier 2018, le quotidien La Voix du Nord a officiellement mis fin à la relecture de ses papiers par les interviewés. Une pratique imposée par certains hommes politiques, mais aussi, parfois, par ceux qui militent pour la création d’un conseil déontologique…
Ariel GUEZ et Camille MONTAGU