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Non, cette vidéo ne montre pas un homme noir maltraité par des blancs pendant l’Apartheid

Sécurité et défense | Société

24 Mar 2025

Alors que des tensions surgissent entre les États-Unis et l’Afrique du Sud sur l’expropriation des terres agricoles des Sud-africains blancs, une vidéo prétend montrer un homme noir maltraité pendant la période de l'Apartheid dans la nation arc-en-ciel. Après vérification, c’est faux.
Contexte

Une publication sur le réseau social X publiée le 10 février 2025 montre une vidéo de 52 secondes dans laquelle un homme noir est mordu par un chien et roué de coups par un homme blanc en tenue policière de couleur violette. Le texte accompagnant la publication affirme : « Voilà comment les Sud-Africains noirs étaient traités par les Sud-Africains blancs pendant l’apartheid. Les allégations selon lesquelles les Noirs auraient tué et déplacé les Blancs en Afrique du Sud sont complètement fausses ».

Cette vidéo publiée par le compte @StreetMediaNew est devenue virale ; elle a recueilli plus de 350 000 vues et été partagée près de 1000 fois. Elle a également été reprise par d’autres et notamment par @SimonAteba qui se présente comme « Correspondant en chef de la Maison Blanche et fondateur de « The Daily Letter » et qui est suivi par plus de 605 000 abonnés. La vidéo qu’il publie est accompagnée de ce commentaire : « This is how Black South Africans were treated by white South Africans during apartheid. Claims about Black people killing and displacing White people in South Africa are completely false. The call for Trump to impose sanctions and cut aid as a form of revenge is misguided and disgraceful. Do not be deceived—there is no genocide taking place in South Africa », que nous avons traduit en français : « Voilà comment les Sud-Africains noirs étaient traités par les Sud-Africains blancs pendant l’apartheid. Les allégations selon lesquelles les Noirs auraient tué et déplacé les Blancs en Afrique du Sud sont complètement fausses. L’appel lancé à Trump pour qu’il impose des sanctions et coupe l’aide en guise de vengeance est malavisé et honteux. Ne vous y trompez pas : il n’y a pas de génocide en Afrique du Sud. » Sa publication a recueilli plus de 2,1 millions de vues et été partagées près de 16 000 fois. D’autres publications ont également relayé cette vidéo (comme ici et ).

 

Capture d’écran du tweet prétendant montrer un Sud-africain maltraité.

 

 

Cette publication sur X est devenue virale dans un contexte dans lequel le gouvernement de Trump a pris une position ferme contre l’exécutif sud-africain. Le président américain a annoncé, le 2 février 2025, la fin de tout financement futur pour l’Afrique du Sud. La décision repose sur les préoccupations de Donald Trump concernant des pratiques qu’il juge discriminatoires à l’encontre des agriculteurs blancs.  La controverse est née d’une loi sur l’expropriation de terres signée le 23 janvier par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, pour « promouvoir l’inclusivité et l’accès aux ressources naturelles ». Dans son application, cette loi autorise la saisie de terres sans indemnisation dans certaines circonstances. Le président Ramaphosa soutient, sur son compte X, un texte « qui garantit l’accès public à la terre d’une manière équitable et juste ».

 

Dans le sillage de ces événements, le milliardaire américain proche de Donald Trump, Elon Musk, avait interpellé le président Ramaphosa, en relayant une vidéo sur X. Sans préciser le contexte ou la date, cette dernière vidéo montre Julius Malema, homme politique sud-africain à la tête du parti les Combattants pour la liberté économique (EFF), déclarant : « Nous tuerons les femmes blanches, les enfants et leurs animaux de compagnie ». Le leader du EFF est connue pour ses idées anti-capitalistes, mais aussi ses propos « anti-blancs » dénoncés par la Commission des droits humains d’Afrique du Sud.

 

Cette vidéo montre-t-elle réellement un homme noir sud-africain maltraité durant l’Apartheid ?

Vérification

Sur la vidéo, il est mentionné « 3/1/1998 », correspondant à la date de tournage. Le post indique que la séquence a été tournée durant l’Apartheid, un système ségrégationniste mis en place en 1948 en Afrique du Sud. Ce régime avait instauré des lois visant à promouvoir les Afrikaners (la population blanche) au détriment des populations noires, métisses et indiennes. L’Apartheid a pourtant été aboli en juin 1991, sept ans avant le tournage de la vidéo présentée dans le tweet.

 

Les recherches d’images inversées à l’aide de captures d’écrans de la vidéo n’ont pas permis de trouver l’origine de la vidéo. Mais en scrutant les réactions sous le tweet, un commentaire attire l’attention. Il indique notamment : « 1)Je ne suis pas là pour excuser ça,mais il est bon de rappeler comme le montrent les sous-titres que ça se passait en 1998(après l’Apartheid donc).Et que ce policier se comportait comme ça avec des Mozambicains qualifiés de”clandestins”,pas des Noirs sud-africains. » Il fournit une piste.

Capture d’écran d’un commentaire (sous le tweet) fournissant une piste de recherche.

 

 

Grâce à ce commentaire, les recherches renvoient vers une vidéo sur la page YouTube de la SABC News, une chaîne de télévision nationale sud-africaine. Dans cette version longue de plus d’une vingtaine de minutes, figurent trois hommes noirs en lieu et place du seul que présente la séquence publiée sur X.

 

 

Un « exercice canin » sur un Mozambicain

 

La description accompagnant la vidéo mise en ligne sur YouTube indique qu’il s’agit de six policiers blancs, membres d’une unité canine, dans un endroit caché des décharges minières de Springs, une ville industrielle à 50 km à l’est de Johannesburg. « Pour autant que nous le sachions, les trois détenus n’ont jamais été accusés d’un quelconque crime. Ils ont simplement été récupérés pour être utilisés dans ce que les policiers ont décrit comme un “exercice canin”. Les six policiers voulaient entraîner deux jeunes chiens policiers à être vicieux et agressifs. Deux chiens plus âgés devaient être utilisés pour apprendre aux nouveaux chiens à attaquer et à abattre une cible humaine. La séance d’entraînement a duré plus d’une heure », explique la SABC News.

Capture d’écran de la vidéo d’origine partagée sur le compte YouTube du SABC News.

 

 

 

En novembre 2001, quatre de ces policiers blancs ont été condamnés (voir l’article du Guardian) par la justice sud-africaine à des peines de quatre et cinq ans de prison pour leurs agissements lors de cet évènement. La sentence proclamée et les descriptions dans l’article cité plus haut confirment que l’homme noir dans la vidéo n’est pas un Sud-Africain, mais plutôt un Mozambicain.

Conclusion

La vidéo, présentée comme celle d’un homme noir sud-africain maltraité par des Blancs de la même nationalité sous l’Apartheid, est sortie de son contexte. Il s’agit plutôt d’une scène tournée sept ans après l’abolition du système ségrégationniste, montrant des policiers blancs sud-africains d’une unité canine pratiquant un « exercice canin » sur des immigrants mozambicains ; acte pour lequel ces derniers ont été punis par la loi.

Adnan SIDIBÉ (Factoscope)