Le 23 décembre 2024, le Journal Afrique de France 24 recevait Coumba Kane, journaliste au Monde Afrique. Interrogée par la présentatrice, Meriem Amellal sur les pays d’Afrique de l’Ouest qui autorisent l’avortement, la journaliste déclare : « L’avortement est autorité au Bénin sans condition ». La vidéo de son intervention partagée sur la page Facebook de France 24 a enregistré, mardi 14 janvier 2025, plus de 3 500 mentions « J’aime », 550 commentaires et plus de 340 partages. Elle a été vue plus de 190 000 fois.
Contexte
Sur le plateau de télévision, la présentatrice du Journal Afrique sur France 24, Meriem Amellal a présenté Coumba Kane comme « journaliste au Monde, auteur d’un article sur le cas de cette fillette de 9 ans, enceinte suite à un viol ». Elle a été reçue juste après un reportage du média sur ce fait d’actualité au Sénégal. Nous avons retrouvé l’article de la journaliste grâce à une recherche avec les mots clés : « Coumba Kane viole fille de 9 ans » dans le moteur de recherche Google. Il est titré : « Sénégal : une enfant de 9 ans enceinte après un viol, le débat sur l’avortement toujours au point mort ». L’invitée du Journal Afrique sur France 24 dit avoir eu des nouvelles de la fille dans la matinée. « Elle se porte bien. Le bébé grandit bien. Physiquement ça va aussi. Psychologiquement, c’est une enfant qui a 9 ans, mais elle a déjà une certaine maturité. C’est peut-être au vu des conditions, elle fait avec. Elle continue l’école malgré son état parce qu’elle a des projets. Elle veut devenir sage-femme », a déclaré Coumba Kane.
Vérification
Dans notre démarche de vérification, Badona a procédé à une recherche avec les mots clés « avortement au Bénin » sur Google. Dans le fil des résultats, nous retrouvons la loi N°2021 – 12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin. Le texte de loi liste en son article 17, les quatre conditions dans lesquelles l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée.
« L’interruption volontaire de grossesse est autorisée sur prescription d’un médecin lorsque :
- la poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte,
- la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse et que la demande est faite par la femme enceinte s’il s’agit d’une mineure, ou par ses représentants légaux s’il s’agit d’une mineure ;
- l’enfant à naître est atteint d’une affection d’une particulière gravité ou moment du diagnostic », expose l’article 17-1 de la loi.
La nouvelle législation permet également à la femme enceinte de demander une interruption volontaire de grossesse en cas de « détresse émotionnelle ». « À la demande de la femme enceinte, l’interruption volontaire de grossesse peut-être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître », prescrit l’article 17-2. Le texte dispose en son article 17-3 que « l’interruption volontaire de grossesse envisagée en vertu de l’article 17-2 ne peut avoir lieu après douze (12) semaines d’aménorrhée ».
Lookman Abdel Aziz Tidjani est gestionnaire de projet et spécialiste de plaidoyer des Droits à la santé sexuelle et de la reproduction (DSSR). Il a travaillé avec le Réseau des parlementaires en population et développement dans le cadre de l’amélioration de l’environnement juridique pour le DSSR mais aussi avec l’ABPF et d’autres acteurs de la société civile pour le développement d’un guide de langage adapté sur l’avortement. « J’ai suivi l’intervention et c’est une déclaration erronée », réagit-il au sujet de l’affirmation de la journaliste Coumba Kane.
Contrairement à la déclaration de la journaliste, fait-il remarquer, « l’avortement au Bénin n’est pas autorisé sans conditions ». Son propos est renchéri par le responsable du département juridique du ministère de la santé, Jean-Pierre Wangbé. « L’avortement est autorisé et encadré par loi n° 2021-12 du 20 décembre 2021 portant modification de la loi n° 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction et ses décrets d’application », tranche-t-il.
Selon les explications de Lookman Abdel Aziz Tidjani, consultant indépendant en DSSR, « le législateur considère la question de l’Interruption volontaire de grossesse comme un véritable problème de santé publique. Il s’est donc appuyé sur les dispositions de la loi No 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin et des constats faits ces dernières années pour élargir les conditions d’accès aux services d’avortement ». La nouvelle loi, poursuit-il, apporte plusieurs innovations.
Pour clarification, explique le spécialiste, « d’abord, elle (la loi) clarifie qui fait la demande du recours à l’IVG en cas de viol ou d’inceste. La loi notifie ici que c’est la femme qui fait la demande s’il s’agit d’une majeure ou par ses représentants légaux s’il s’agit d’une mineure ».
Ensuite, poursuit-il, « la loi ajoute que l’IVG peut être à la demande de la femme enceinte lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducative, professionnelle et morale incompatible à l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître. Ceci ne peut avoir lieu après 12 semaines d’aménorrhée. »
Enfin, « la loi clarifie les personnes et les rôles de chacune des parties prenantes dans la chaîne décisionnelle et de pratique de l’IVG. Un décret pris (décret n° 2023-151 du 19 avril 2023) a fixé les conditions d’IVG ».
En réponse à une polémique suscitée par l’adoption de la loi N°2021 – 12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin, Sévérin Quenum, alors ministre de la justice et de législation a apporté une précision lors d’une conférence de presse.
« Nous sommes dans un système où l’interruption de grossesse est libéralisée, mais en réalité, ce n’est pas une libéralisation à tout vent. C’est contrôlé, c’est encadré et lorsqu’il y a donc des dérives au-delà donc de ce qu’on a limité le nombre de semaines au cours de laquelle l’Interruption volontaire ne peut plus survenir, c’est qu’il y a une obligation de conseil pour tous ceux qui interviennent, il y a punition de la loi toutes les fois où il y a dérive », a-t-il clarifié.
En date du 19 avril 2023, le décret fixant les conditions d’interruption volontaire de grossesse est disponible sur le site web du secrétariat général du gouvernement béninois et de l’Institut national de la femme (INF).
Des avancées notables
Les autorités béninoises ont justifié l’adoption de cette loi par le besoin de sauver la vie de nombreuses femmes qui se livraient à l’avortement clandestin en raison des restrictions qui prévalaient. Selon les chiffres communiqués par le ministre de la santé, Benjamin Hounkpatin, le 21 octobre 2021 à l’Assemblée nationale, « plus de 200 femmes décèdent en silence chaque année des suites d’avortements compliqués et non sécurisés ».
La nouvelle loi a été proposée par le gouvernement, explique-t-il, parce que la loi No 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin n’a « pu régler la question des avortements clandestins et meurtriers réalisés dans les coins et recoins du Bénin par des non professionnels de la santé déguisés en avorteurs ».
« L’objectif visé par le gouvernement est de sécuriser et encadrer la pratique de l’interruption volontaire de grossesse. En d’autres termes, il s’agit concrètement de permettre à la femme amenée à avoir recours à une IVG pour des raisons précisées par la loi, de le faire dans des conditions qui préservent sa vie », a exposé Benjamin Hounkpatin.
Le vote de la nouvelle loi à l’Assemblée nationale a permis une certaine évolution de la situation des femmes, nous dira Inès Nelly Gaba, sage-femme, activiste en santé sexuelle et reproductive, spécialiste en gestion de l’hygiène menstruelle et fabrication des serviettes hygiéniques réutilisables. « Les femmes osent demander le service, mais pas toutes. À part cela, les efforts au niveau du gouvernement se font pour donner l’agrément aux cliniques qui souhaitent intégrer le service dans leur structure », fait-elle savoir.
D’après Lookman Abdel Aziz Tidjani, le spécialiste de plaidoyer des Droits à la santé sexuelle et de la reproduction (DSSR), le vote de la loi permet de dire qu’« un grand progrès a été réalisé au Bénin lorsque l’on se réfère aux législations des pays en Afrique au Sud du Sahara et de l’Afrique de l’Ouest en particulier ».
Jointe par l’application de messagerie WhatsApp, la journaliste Coumba Kane, auteure de la déclaration selon laquelle « l’avortement est autorisé au Bénin sans condition » affirme sans citer de nom, que l’information lui a été « donnée par une juriste sénégalaise qui travaille sur le plaidoyer pour l’application du protocole de Maputo au niveau régional ». Elle admet « une confusion » de la part de sa source. « Il s’agit sans doute d’une confusion. C’est bien la source qui a opéré ce glissement entre la situation béninoise qui applique le protocole de Maputo et le cas du Sénégal où malgré sa ratification en 2004, l’Ivg est toujours interdite même dans les 3 cas prévus par le protocole », confie-t-elle.
Nos messages envoyés à France Médias Monde, groupe auquel appartient la chaîne d’information France 24, pour une possible réaction, n’ont pas reçu de réponse.
Conclusion
Contrairement à la déclaration de la journaliste Coumba Kane sur France 24, l’Interruption volontaire de grossesse, encore appelée avortement, est autorisée au Bénin, mais sous conditions. Selon les experts consultés dans le cadre de notre vérification, l’avortement est autorisé et encadré par loi n° 2021-12 du 20 décembre 2021 portant modification de la loi n° 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction et ses décrets d’application. Les conditions d’accès sont consignées dans l’article 17 du nouveau texte.
Judicaël KPEHOUN
Lire l’article original sur Badona : https://www.badona.info/detox/article/20250119-benin-non-l-avortement-n-est-pas-autorise-sans-condition-comme-l-a-dit-la-journaliste-coumba-kane-sur-france-24