Avec Steffen Damborg (Danemark), expert en transformation digitale, Anna Vissens (Royaume-Uni), responsable Data Scientist pour Guardian News & Media et Patrick Lacroix (Belgique), CEO de l’agence de presse Belga.
Modéré par Philippe Laloux (Belgique), journaliste économique pour le quotidien Le Soir .
Les enjeux
Comment élargir l’audience d’un média face à la concurrence des influenceurs ? Contenu gratuit et contenu premium, quel équilibre adopter pour la stabilité économique des médias ?
Ce qu’ils ont dit
« Ce qui compte vraiment, c’est qu’en tant qu’acteur de la presse, on illustre ce qu’on dit, on précise quand on utilise l’IA pour que les lecteurs sachent si ce qu’ils lisent est biaisé ou non. Il faut être très transparent dans ce que vous faites en utilisant ces nouvelles technologies », a pointé du doigt Steffen Damborg avant de poursuivre : « On voit beaucoup de gens se proclamer journaliste et beaucoup sont des influenceurs. Ça va devenir de plus en plus difficile de les différencier. » Il ajoute que « en tant qu’étudiant, vous devez comprendre que seuls les journalistes sauveront les journalistes. Si vous n’êtes pas au dessus de la moyenne pour ajouter de la valeur, ça se complique pour vous ». D’après lui : Il faut que les médias refusent de se défaire (pour nourrir l’IA) de leurs articles pour deux sous (de l’argent).
Au sein du Guardian, Anna Vissens a dû rappeler à ses journalistes de « mieux vérifier leurs sources quand l’IA est arrivée ». Après avoir révélé ses inquiétudes, elle a commenté la situation du Washington Post : « Je suis préoccupée par l’avenir des médias. À ce jour, tous les médias ne sont pas indépendants. Ce qui s’est passé avec le Washington Post est déplorable. » Elle explique que « la publicité ne fait que diminuer, c’est une tendance contre laquelle nous ne pouvons rien faire et c’est de même pour le revenu des lecteurs, alors il faut vraiment un contenu singulier pour vendre votre produit ». Elle est « préoccupée du fait que les Etats-Unis et l’Europe n’essayent pas d’unir leurs efforts pour contrer cette tendance ». Elle admet qu’il y a « une énorme différence entre les grands éditeurs et les plus petits médias car ce que fait mon équipe coûte beaucoup d’argent. Donc si vous souhaitez innover dans ce milieu, il faut investir beaucoup d’argent et de nombreux petits médias ne le peuvent pas, alors il vous reste le choix d’utiliser des outils d’intelligence artificielle ». Elle termine son propos par une anecdote : « Il y a quelques semaines, j’écoutais un podcast généré à 100 % par l’IA. Si vous n’étiez pas au courant, vous seriez tombé dans le panneau. J’ai peur que la ligne entre l’IA et la réalité disparaisse. Alors l’audience sera perdue. »
Patrick Lacroix a également fait part de ses inquiétudes : « On ne se rend pas compte de toutes les informations récupérées par les IA. J’ai récemment vérifié ce que OpenAI sait de moi. Et il en connait presque autant que mon frère : ma voiture, mon numéro de téléphone, l’école de mes enfants, d’où vient ma femme et même quelles questions médicales, je pose. » Il évoque par la suite sa ligne éditoriale : « Dans un système éditorial libre et démocratique, il y a une distinction entre les finances et ce qu’écrivent les journalistes. Chez Belga, je ne peux influencer aucun article et c’est mieux comme ça. » D’après lui, si « les petites annonces ont disparu des journaux, c’est à cause des effets des réseaux sociaux ». Malgré tout : « Il faut toujours rémunérer équitablement les journalistes. Il y a des exemples de journalistes indépendants qui gagnent bien leurs vies et qui savent se vendre. Pour ça, il faut se placer dans une chaîne de résonance. » Il avertit qu’il « faut toujours tout vérifier et re-vérifier. La confiance du lecteur dépend de la vérification d’un journaliste même si une IA est intervenue. À partir du moment où vous respectez les codes déontologiques, il n’y a pas de problèmes ». Il préfère néanmoins « laisser à l’IA le travail redondant tant qu’un journaliste l’a vérifié, pour que ce dernier passe plus de temps sur le terrain ».
À retenir
Un modèle économique indépendant avec plusieurs sources de revenus assure la sécurité du média. La confiance dans les médias est mise en doute par l’écriture générée par l’intelligence artificielle. Les journalistes doivent apporter une plus-value au contenu généré par l’IA. Il est nécessaire de préciser quand le contenu est créé ou modifié par l’IA pour ne pas nuire à la crédibilité des médias. Il est important de vérifier les sources lorsque du contenu est généré par IA.
Vadim Milliex (EJC)