iAutour d’un verre ou d’amuse-bouche, la soirée commençait sous le signe de la détente après une première longue journée de débats et de discussions aux Assises européennes du journalisme de Bruxelles, jeudi 21 novembre. Si les rangs des amphithéâtres de l’après-midi s’était révélés plus clairsemés, la salle était comble pour le début de la soirée spéciale Ukraine.
Une fois dans la salle, l’ambiance informelle laissait place à l’émotion. Un hommage était rendu aux journalistes disparus ou encore sur le terrain, à Gaza et au Liban. « Personne n’est en sécurité et encore moins un journaliste à Gaza », a rappelé Anthony Bellanger, président de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui revenait tout juste de Gaza. Si la tristesse se ressentait dans la salle, les prises de paroles se concentraient avant tout sur un message d’espoir. « Quand ils tuent un journaliste à Gaza, nous sommes encore plus déterminés à continuer notre profession », a souligné Rawan Al Damen, membre du Réseau arabe des journalistes d’investigation (ARIJ).
Après une minute de silence, la soirée s’est concentrée sur l’Ukraine avec la diffusion du documentaire, Les fixeurs de guerre : les invisibles du reportage réalisé par Arnaud Froger et Robin Grassi. Puis s’est ouvert une heure de débat et de témoignages modérés par Wilson Fache, reporter de guerre et prix Albert-Londres 2023.
« Il faut rappeler la valeur des fixeurs »
Au cours des différents échanges, le rôle et le quotidien des fixeurs sur place a été évoqué. « C’est beaucoup plus que quelqu’un qui traduit, ils nous ouvrent les portes », insistait Carolin Ollivier, rédactrice en chef d’Arte Journal et adjointe au directeur de l’Information. La rédaction franco-allemande crédite même ces intermédiaires de terrain, indispensables pour certains reportages, dans les synthés de fin de reportage. Ce qui n’est pas le cas de tous les médias a tenu à préciser Wilson Fache.
Ces acteurs de l’ombre qui facilitent le quotidien et l’organisation des journalistes à l’étranger sont indispensables. « Tout le monde aime les journalistes qui vont au plus près et font du reportage. Il faut rappeler la valeur des fixeurs », a tenu a rappeler Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF).
Si les fixeurs sont cruciaux pour le travail des journalistes étrangers sur les terrains de guerre, ils sont souvent en danger. Si le gilet pare-balle identifié « PRESSE » doit normalement protéger, il semblerait que ce ne soit plus le cas aujourd’hui. « Beaucoup de journalistes ont arrêté de porter ce sigle car ils se sont rendus compte qu’ils étaient mieux protégés sans être identifié », précisait Toma Istomina, rédactrice en chef adjointe du Kyiv Independent.
En début de soirée, Nasser Abou Baker, secrétaire général du Syndicat des journalistes palestiniens, a rendu hommage a plusieurs de ses collègues et amis qui sont décédés dans l’exercice du journalisme. Photo : Théo Lheure/EPJT
Au-delà du travail des médias étrangers dans la couverture du conflit ukrainien, cette soirée destinée à l’Ukraine était aussi l’occasion de se concentrer sur la situation des journalistes locaux sur place. « Les journalistes ne peuvent pas entrer dans des réunions gouvernementales et poser des questions directement aux élus », se désolait Lina Kushch, première secrétaire de l’Union nationale des journalistes en Ukraine.
Toma Istomina (Kyiv Independent) résumait le comportement du gouvernement ukrainien en trois points. D’abord, il n’a « jamais compris le rôle de garde-fou des médias » et préfère communiquer directement avec le public. Ensuite, face à la désinformation russe, les Ukrainiens ont peur de perdre le contrôle du récit sur la guerre et portent une attention particulière à leurs prises de parole. Enfin, la loi martiale a reporté l’organisation des élections mais elles doivent avoir lieu et l’avenir politique de Volodymyr Zelensky est aussi en jeu.
Sans les fixeurs et les informateurs sur tout le territoire ukrainien, aucune couverture n’est possible. Encore moins dans les territoires occupés où il est encore possible d’obtenir des informations, à condition d’avoir déjà des contacts sur place. « Ce n’est pas un trou noir de l’information, c’est un paradis de la propagande », précisait Thibaut Bruttin (RSF).
Le débat riche et intéressant se concluait à la hâte. Au moment de prendre des questions, le temps semblait manquer et les spectateurs, moins nombreux qu’en début de soirée dans la salle, était invité à un échange informel.
Les discussions ont repris alors, côté bar, parfois un verre à la main. On retrouvait l’ambiance du début de soirée mais les sujets de conversation avaient changé. D’échanges légers sur la journée des Assises européennes du journalisme, on est passé davantage à l’importance du journalisme dans les zones de conflit et l’importance de se battre pour la liberté de la presse.
Théo LHEURE/EPJT et Mathéo POULY/EJC