Non, le Burkina Faso ne perd pas 300 000 ha de terre par an mais plus de 460 000 ha

Burkina Faso
Environnement

28 Juin 2024

7 minutes de lecture
Alors que la planète commémore chaque 17 juin la journée mondiale de lutte contre la désertification, au Burkina Faso, des statistiques non actualisées sur la dégradation des terres continuent d’être employées. Un reportage diffusé sur la RTB prétend ainsi que 300 000 ha de terres sont perdues chaque année. Après vérification, ce chiffre est sous-estimé. Les données récentes évaluent à 469 090 ha la superficie de terre perdue sur la période de 2002 à 2013.

« Difficile de bloquer l’avancée du désert au Burkina Faso. Les terres se dégradent continuellement avec en moyenne près 300.000 Ha de terres perdues chaque année ». Ce chiffre a été avancé dans un reportage diffusé le dimanche 18 juin 2023, au journal télévisé de 20 h de la Radiodiffusion – télévision du Burkina (RTB/ Télé), à l’occasion de la commémoration de la journée mondiale de lutte contre la désertification célébrée chaque 17 juin.

Le Burkina Faso perd-il réellement près de 300.000 Ha de terre par an ? Fasocheck a vérifié.

Qu’est-ce qu’une terre dégradée ?

La terre est définie par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) comme l’ensemble des ressources en sols, en eau, la flore, le climat et d’autres ressources naturelles utilisées dans l’agriculture.

La dégradation des terres désigne, selon la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) « la diminution ou la disparition de la productivité biologique ou économique des terres cultivées, des pâturages, des forêts et des zones boisées résultant de l’utilisation des terres ou d’un ou de plusieurs phénomènes ».

Répondant par courriel à Fasocheck, l’institution onusienne a précisé que l’évaluation de la dégradation des terres s’appuie sur trois principaux critères :

  • L’évolution du couvert terrestre, qui est définie par le Guide de bonne pratique du CNULCD  comme les changements survenus à la surface de la terre au fil du temps, notamment les changements de végétation, des plans d’eau et des structures artificielles.

 

  • La productivité des terres, qui renvoie à la capacité de production biologique du sol à générer de la nourriture, des fibres et du carburant essentiels à la subsistance de l’humanité. Elle est mesurée par des données obtenues par satellite.

 

  • Et l’évolution des stocks de carbone (CO2), qui évoque les fluctuations de quantité de carbone stockée dans les réservoirs de l’écosystème. Ce CO2 est produit par la biomasse, le bois mort, la litière et la matière organique du sol.

 

Si un seul de ces indicateurs utilisés pour mesurer la qualité des terres ne répond pas aux normes requises, l’ensemble est considéré comme dégradé.

D’où vient que le Burkina perd annuellement 300 000 Ha de terre ?

Fasocheck a contacté Chantal Ouédraogo, journaliste à la RTB et auteur du reportage. Elle a admis ses propos sans toutefois apporter des éléments de preuves documentaires.

Par des recherches avancées sur internet avec les mots clés « Burkina Faso perd 300 000 Ha de terre par an », Fasocheck a retrouvé le 4ᵉ   rapport sur l’état de l’environnement au Burkina Faso publié en 2016 par le ministère burkinabè de l’Environnement. Ce rapport qui cite comme source de données le Cadre stratégique investissement en gestion durable des terres (CSI-GDT) publiées en 2014, avance plutôt que le Burkina « perd chaque année entre 250 000 et 360 000 Ha de forêts » (page 29).

Fasocheck a également obtenu du ministère burkinabè de l’Environnement le rapport 2014 du CSI-GDT, un document non accessible en ligne. Ce rapport ne reprend pas les chiffres cités dans le 4ᵉ rapport sur l’état de l’environnement. Le CSI-GDT indique plutôt, sans détailler la méthodologie employée, que « 34% du territoire national, soit 9 234 500 Ha des terres de production, sont dégradés en raison de causes anthropiques (agricultures, animaux, tenures, bois-énergie…) et climatiques, avec une progression de la dégradation des terres estimée entre 105 000 et 250 000 ha par an » (Page 32).

Contacté par Fasocheck, le Dr Fidèle Hien, consultant et auteur du CSI-GDT de 2014 a précisé que ces données relatives à la dégradation des terres au Burkina Faso sont des « estimations » effectuées par manque de données “concordantes”. Ces chiffres, déjà sous-estimés à l’époque, ne reflètent pas la situation actuelle du pays, a-t-il ajouté.

Quel est l’état actuel de la dégradation des terres au Burkina Faso ?

Alors que la superficie totale du Burkina Faso est de 274 200 Km², celle des terres dégradées est estimée à 51 600 km², soit 19% de sa superficie, selon le rapport de 2018 du Programme de définition des cibles de la neutralité en matière de dégradation des terres (PDC/NDT). Cette dégradation s’est opérée sur la période 2002 à 2013 explique le rapport. D’après un calcul de Fasocheck, cela représente en moyenne et par an, 469 090 Ha de terres dégradés.

Interrogé par Fasocheck, le Département de la coordination des conventions internationales du ministère burkinabè de l’Environnement a précisé que ces données constituent les statistiques officielles les plus récentes sur la dégradation des terres au Burkina Faso. Ces chiffres , pour l’essentiel, sont issus du recoupement de bases de données fournies par diverses institutions.

En 2018, le ministère de l’Agriculture a publié une étude sur la dégradation des terres au Burkina Faso intitulée “Situation de Référence des terres dégradées et de la CES au Burkina Faso”, la plus récente que Fasocheck ait pu trouver. Cette étude révèle à son tour que 6 498 610 hectares de terres, (64 9861 km²), soit 24 % du territoire national, sont fortement dégradés. Ces résultats ont été obtenus à la suite d’enquêtes terrains et par l’utilisation d’images satellitaires, a indiqué le Dr Patrice Sawadogo, chef de mission qui a dirigé la recherche. Il a ajouté que cette étude dressait l’état et non l’évolution de la dégradation des terres au Burkina Faso.

Facteurs et impacts économiques de la dégradation des terres au Burkina Faso

Selon le rapport du PDC/NDT, au Burkina Faso, la détérioration des terres est due entre autres à la déforestation, la mauvaise gestion des sols et de l’eau, l’utilisation de pratiques agricoles inadéquates, l’insuffisance de couverture végétale et le surpâturage. À cette liste s’ajoutent les effets du changement climatique qui affecte particulièrement le Burkina Faso.

Ces problèmes sont exacerbés par des facteurs indirects comme la croissance démographique, les pressions économiques et les tensions sociopolitiques dans le pays.

Fasocheck n’a pas trouvé d’étude récente qui établit avec exactitude les conséquences économiques de la dégradation des terres au Burkina Faso. Les données disponibles datent de 2008 et sont contenues dans un rapport du ministère de l’Environnement intitulé “Évaluation économique de l’environnement et des ressources naturelles au Burkina Faso” publié en 2010. Ce rapport évaluait à l’époque les pertes économiques liées à la dégradation environnementale à environ 780,39 milliards de FCFA, soit 21,2 % du PIB du pays en 2008, soit 40 998 FCFA par habitant et par an. Ces pertes englobent la baisse des revenus, et, plus globalement, la détérioration du bien-être.

Conclusion

La déclaration selon laquelle 300 000 hectares de terre se dégradent annuellement au Burkina Faso est sous-estimée. Bien que les données sur la dégradation des terres varient selon les sources et les méthodologies, Fasocheck a pu, à partir des dernières statistiques du ministère burkinabè de l’Environnement, calculer le rythme moyen annuel de dégradation des terres. Ces données révèlent qu’entre 2002 et 2013, la superficie moyenne annuelle des terres dégradées s’élevait à 469 090 hectares.

 

Adnan Salif SIDIBÉ

Lire l’article original sur Fasocheckhttps://fasocheck.org/fact-checking/le-burkina-faso-perd-t-il-vraiment-300-000-ha-de-terre-par-an/