Les jeunes journalistes sont de plus en plus formés à la photographie, pour pallier le manque de photographes dans les rédactions. Photo : David Darrault
La profession de photographe de presse est une profession qui subit de plein fouet la révolution numérique et les difficultés économiques de la presse écrite. A tel point que beaucoup d’emplois en Presse quotidienne régionale ne sont pas remplacés.
Le prix public 2024 de la meilleur photo de presse récompense le sport. Un peu comme un symbole, c’est le dernier domaine où les photojournalistes gardent une importance essentielle aux yeux des rédactions. Et pour cause, « les contraintes de zoom et de luminosité que gèrent difficilement les téléphones », assure Hugues Le Guellec, photojournaliste à la Nouvelle République depuis 34 ans et secrétaire du CSE (Comité social et économique).
En 2000, ils étaient près de 1 400 reporters photographes titulaires de la carte de presse délivrée par la CCIJP (Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels). En 2022, ils n’étaient plus qu’entre 300 et 450 titulaires. Une baisse drastique qui s’explique de différentes façons.
La première, plus pragmatique, serait de dire que les photojournalistes diversifient de plus en plus leur activité, ce qui ferait passer leur revenu journalistique en dessous de la barre des 50 % des revenus totaux, nécessaires pour avoir la carte de presse. C’est une réalité pour certains, mais qui s’explique par un contexte de paupérisation de la profession. « Être exclusivement photojournaliste aujourd’hui, ce n’est plus viable économiquement. Il faut chercher des revenus ailleurs », témoigne Régine Lemarchand, correspondante pour le Courrier de l’Ouest. Les reporters photographes se trouvent même tout en bas de la grille des salaires des journalistes, juste au-dessus des stagiaires.
Non remplacements de départs à la retraite
Mais cette raison est loin d’expliquer cette forte baisse. Elle est aussi lié à une véritable diminution du nombre de photojournalistes dans les titres de presse, notamment en presse quotidienne régionale (PQR). « La presse écrite souffre terriblement économiquement et, malheureusement, ce sont en général les photographes qui en paient le prix », déplore de son côté Philippe Bachelier, responsable de l’Union des photographes professionnels. « Les journalistes sont formés à la photographie et sont, pour beaucoup, capables de prendre de très bonnes photos », répond de son côté Luc Bourrianne, rédacteur en chef de la Nouvelle République à Tours. « Avec les téléphones d’aujourd’hui, on peut faire de super photos. En plus de cela, certains journalistes ont l’œil du photographe », confirme Régine Lemarchand.
Luc Bourrianne évoque également le budget alloué au matériel des photographes, « 40 000 € pour l’année 2024 ». Dans un secteur en « difficulté chronique », les photos ont un coût. « Il y a 15 ans, on était 25 photoreporters au journal. Aujourd’hui, on n’est plus que 7 et il n’y a plus de service photo dans la rédaction », rappelle Hugues Le Guellec. Ce ne sont pas tant des suppressions d’emplois qui ont lieu, davantage des non remplacements. Un photographe à Niort est par exemple parti à la retraite et n’a pas été remplacé.
Vulgarisation de l’image
Une situation qui remet en cause l’importance de l’image dans les articles. « Pour moi, la photo est au même niveau que l’article, ce n’est pas juste une illustration, c’est un élément d’information », raconte Lisa Darrault, pigiste pour la Nouvelle République. Son collègue, Hugues Le Guellec, poursuit : « La photo peut même avoir plus de valeur que le texte, c’est l’entrée dans l’article, l’accroche visuelle. » Beaucoup de photojournalistes mettent en avant le savoir-faire, comme Philippe Neu du Républicain Lorrain et élu CFDT : « Être photographe c’est un vrai métier. On ne fait pas des photos, mais on fait LA photo. »
Malgré ces arguments, de plus en plus de journalistes prennent les photos eux-mêmes. Le célèbre tandem rédacteur-photographe se perd, emportant avec lui la qualité des photos. « Quand on est en binôme, on est chacun concentrés sur notre tâche. On peut même se compléter et apporter des éléments que le rédacteur n’avait pas vu. Puis, ça évite d’avoir des photos faites au dernier moment, qui ne sont pas soignées et réfléchies », confie Lisa Darrault. « Il y a une sorte de vulgarisation de l’image. C’est du gâchis. On abandonne la photo alors qu’elle est essentielle », ajoute, dans un triste constat, Philippe Neu. Le rédacteur en chef de la Nouvelle République ne fait pas le même constat : « Les photos d’il y a trente ans n’étaient pas forcément meilleures. Du moins, pas autant que l’on veut le faire croire. »
Se posent donc la question de l’avenir de la profession. Si l’IA n’est pas une menace pour tous, « la presse quotidienne régionale, c’est de l’humain, du réel. L’IA ne pourra jamais remplacer ça », souligne Régine Lemarchand. Les photographes se posent tout de même des questions : « À chaque fois que je me déplace, je me demande comment je peux faire mieux qu’avec un IPhone. On peut jouer sur l’aspect artistique, sur de la créativité. Mais c’est clair qu’il faut qu’on se renouvelle », poursuit-elle. Luc Bourrianne évoque ces changements : « Il faut que les photographes basculent sur de la vidéo, en tout cas c’est ce que je leur demande. L’avenir de l’image se trouve là. »
Florian Pichet/EPJT