Le photojournaliste gazaoui Motaz Azaiza à Gaza le 8 octobre. Il publie cette photo dans un post Instragram dans lequel il précise « Je suis disponible pour des missions ». Photo : Motaz Azaiza/Instagram.
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier, les médias français couvrent la situation en Israël et dans les territoires palestiniens. Mais l’impossible accès à la bande de Gaza et le déséquilibre entre les moyens de communication du gouvernement israélien et des Gazaouis complique le travail.
Fake news autour des 40 bébés décapités par le Hamas le 7 octobre, incertitude quant à l’origine de l’explosion de l’hôpital al-Ahli : ces deux exemples illustrent la difficulté rencontrée par les médias pour recouper l’information dans ce nouvel épisode du conflit israélo-palestinien.
Sans accès à la bande de Gaza – hormis sous la surveillance et avec l’autorisation de l’armée israélienne, les journalistes sont contraints d’adapter leur pratique pour continuer d’informer. « Nous avons étoffé notre cellule de vérification des images, explique Guillaume Debré, directeur adjoint de la rédaction de TF1. Les images que nous trouvons sur les réseaux sociaux, par exemple, y sont toutes analysées avant diffusion. » Un moyen d’éviter le relais de fausses informations autant que de pallier le manque de correspondants sur place.
Pour Patrick Sauce, du service international de BFM TV, cette authentification des images reste insuffisante. « Les images relayées par les civils ou les journalistes depuis l’intérieur de Gaza sont sujettes à la pression du Hamas. Je ne remets pas en cause le travail de tous mes confrères mais les erreurs d’attribution de l’explosion de l’hôpital al-Ahli prouvent qu’il faut se méfier des images filmées sur le terrain. » Questionné sur les images filmées par les Gazaouis et relayées par des médias comme Al-Jazeera, il questionne à son tour les moyens employés par la chaîne. Et évoque les contrats d’exclusivité d’autres chaînes qui lierait les correspondants gazaouis à certains médias.
Un biais dans la couverture médiatique ?
Patrick Sauce admet néanmoins un déséquilibre dans cette guerre de l’information. « Israël a la 5G, c’est le pays de la tech. Ils ont les moyens techniques pour communiquer. Alors qu’aujourd’hui, sans électricité, les Gazaouis peinent ne serait-ce qu’à envoyer des messages vocaux. »
Pour autant, il ne ressent pas le malaise de certains journalistes de la rédaction de TF1 elle-même, que décrivait un article du média en ligne Blast en novembre dernier. « J’ai un peu de mal avec l’idée que nous aurions un biais pro-israélien dans notre couverture, estime Patrick Sauce. Nous avons fait des reportages sur les enfants palestiniens réfugiés en France et nous parlons souvent de l’extrémisme de Benyamin Netanyahou en plateau. S’il existe un biais, il est plutôt en défaveur des Israéliens pour lesquels l’opinion a perdu en empathie. »
Un argument qui ne convainc pas Daniel Schneidermann, fondateur du média en ligne Arrêt sur images. « Il existe un biais presque irrésistible qui ne relève pas de l’intention mais plutôt de la proximité globale des médias traditionnels avec Israël. » Il dénonce ainsi un « deux poids deux mesures » dans le choix des mots utilisés par les journalistes. Tandis que les agences de presse internationales différenciaient les « civils » des « soldats » israéliens tués par le Hamas le 7 octobre, les pertes du côté palestinien dans la réplique du 8 octobre restaient indéfinies.
« Rester honnête »
Mais d’où viendrait ce biais, si tant est qu’il existe ? « Les Israéliens sont plus proches culturellement des Occidentaux, avance Daniel Schneidermann. Ils ont une démocratie comme nous, une presse libre d’expression et une société civile qui critique le pouvoir. Il est plus aisé de s’identifier à eux qu’aux Palestiniens.»
Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique et fondateur du magazine Orient XXI, confirme : « Les médias parlent souvent du nombre de Palestiniens tués, mais il est difficile de s’identifier à un chiffre. Il nous faut des histoires, des portraits de famille pour comprendre ce que signifie 20 000 morts. » Diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et spécialiste de la question israélo-palestinienne, il relève aussi un changement dans la lecture du conflit. « Depuis 2001 et le début d’une lutte mondiale contre le terrorisme, la lutte palestinienne est davantage perçue comme un phénomène terroriste par les pays occidentaux. En France, le gouvernement est passé d’un rôle de négociateur, voire de soutien aux revendications des Palestiniens, à un soutien affiché à Israël. » Et Daniel Schneidermann de compléter : « Dans toute guerre, les médias ont tendance à épouser la position diplomatique de leur pays. »
Une affirmation que réfute Patrick Sauce, qui insiste sur sa connaissance du terrain. Comme en écho, Guillaume Debré rappelle le nombre de journalistes de guerre dans sa rédaction. « Il faut avant tout traiter les faits et ne pas tomber dans l’éditorialisation. Rester honnête. » Un objectif que tous partagent. Encore faudrait-il s’entendre sur la définition du terme…
Mourjane Raoux-Barkoudah/EPJT