En 2023, Nicolas Legendre a publié Silence dans les champs (éd. Arthaud), une enquête de sept ans sur l’agro-alimentaire breton, ses dérives politiques et économiques. Il revient sur son travail et le traitement médiatique du monde paysan.
Qu’est-ce qui vous a mené à réaliser une enquête sur l’agroalimentaire breton ?
Nicolas Legendre. En 2015, j’étais pigiste pour Le Mensuel de Rennes et correspondant pour Le Monde en Bretagne et les questions agricoles et agroalimentaires sont devenues des sujets inévitables. J’accumule des témoignages que je prends de plein fouet car ils incarnent le mal-être paysan. Je vois aussi la force du narratif dominant et les éléments de langage répétés par des présidents du syndicat de la FNSEA ou des préfets. Selon eux, l’agroalimentaire sort la Bretagne de la misère. J’ai l’impression qu’ils répètent sans cesse les mêmes choses sans les questionner. En parallèle, j’étais pigiste pour Bretons en cuisine. J’écrivais des portraits de maraîchers et d’éleveurs avec des démarches ancrées dans leur territoire et qui sont dans le bio. Donc je vois aussi le contre-modèle avec ses difficultés économiques comme ses réussites.
Les sujets sur le monde paysan sont plutôt traités par la presse quotidienne régionale. Est-ce que cela a été difficile d’en parler dans Le Monde ?
N. L. Je pense que je suis arrivé au bon moment. Dans les années 2010, il y a une certaine prise de conscience citoyenne à la faveur des problématiques environnementales. Dans ce contexte, cela a été plus facile de leur proposer des papiers et au contraire, il y avait une demande. Le Monde a des journalistes spécialisés sur l’agriculture mais ils étaient basés à Paris. Ces dernières années, nous assistons à un regain pour ce sujet et les causes profondes du dysfonctionnement.
Récemment, les médias ont beaucoup parlé du ras-le-bol et de l’épuisement des agriculteurs suite aux manifestations. Estimez-vous que la couverture médiatique de leur situation représente fidèlement leur situation ?
N. L. Dans ce que j’ai pu voir, un certain nombre de chaînes d’information en continu ont un traitement médiatique assez partial. Dire « les agriculteurs » ne veut rien dire puisqu’il y a tellement de situations, de filières ou d’exploitations différentes. C’est un non-sens. J’entends aussi des éléments de langage répétés par des journalistes sans être questionnés. Comme l’idée que la France est en train de perdre sa souveraineté alimentaire. C’est éminemment questionnable. Après, j’ai lu d’excellents papiers de fond chez Libération, Mediapart, Basta !, Le Monde, France Télévisions ou sur TF1. C’était des analyses de datas ou des enquêtes interrogeant le modèle dominant.
Vous avez travaillé pendant sept ans sur votre enquête Silence dans les champs, récompensée par le prix Albert Londres 2023. Est-ce que vous allez y donner suite ?
N.L. J’ai encore beaucoup de choses à dire mais replonger dans une longue enquête, ça demande un équilibre entre le temps et l’argent. J’écris d’abord une postface pour la version poche de l’enquête. A côté de cela, je travaille sur des projets audiovisuels de documentaires, de fiction et de ciné-concerts qui sont toujours en lien avec ce sujet.
Propos recueillis par Lou Attard (EPJT)