Ancienne journaliste à Radio France, Béatrice Denaes était présente aux Assises du journalisme, ainsi qu’au salon du livre, samedi 2 octobre. Elle présentait son ouvrage Ce corps n’était pas le mien – Histoire d’une transition tant attendue. C’est à l’arrivée de la retraite que Béatrice Denaes s’est sentie prête à parler de sa transidentité. Elle a arrêté de se présenter comme homme en 2019 et retrace son histoire dans son livre.
Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
À l’origine, c’était pour mes enfants. J’avais envie de laisser une trace qui leur raconte ma vie, qui leur explique que j’avais passé toute ma vie à me cacher. Je suis journaliste, je hais mentir. Pour moi, ce n’était pas du mensonge mais une omission : je savais ce que je ressentais pourtant je ne savais pas mettre de mots dessus. Je voulais leur expliquer, non pas pour les faire pleurer, toute la souffrance que j’ai vécu, que j’ai pu ressentir et aussi le bonheur que j’ai eu de les avoir. Même si j’ai eu la souffrance interne de ne pas les porter, d’accoucher et ça, ça restera le plus gros manque de ma vie. J’ai vécu la grossesse de ma femme et leur naissance par procuration. Ce livre c’était vraiment pour témoigner pour eux. En parlant avec mes amis journalistes, ils m’ont dit qu’il fallait que je le publie. Les transidentités, on n’en parle pas et mon témoignage pouvait devenir intéressant.
Vous avez passé votre vie à faire témoigner les autres et, là, c’est vous qui avez témoigné. Comment vous sentez-vous d’avoir échangé les rôles ?
Oui, c’est étrange, le « je ». Je l’ai banni depuis des années parce que, c’est ça qui est génial dans le métier de journaliste, c’est de faire parler les autres. Ça a toujours été mon idée en tant que journaliste, de faire bouger les mentalités des auditeurs, des lecteurs, des téléspectateurs et là, je me suis retrouvée dans une autre situation. Même si je connais les ressorts du témoignage, je dois reconnaître que ça fait bizarre d’être la personne qui témoigne. On a plus l’habitude de poser les questions que d’y répondre en effet, mais on s’y fait.
Est-ce qu’il y aura une autre étape pour vous, après votre livre, pour vous engager sur la question de la transidentité ?
Oui et je me suis déjà engagée. Quand j’ai fait ma transition médicale, je n’ai pas été bien reçue par une association réputée alors que j’allais très mal et que j’avais besoin de soutien. Je me suis dit que je voudrais qu’il existe une association entre médecins et personnes concernées pour faire avancer les choses. Le parcours médical était et, il l’est toujours, très psychiatrisé.
Cela m’a poussé à créer quelque chose avec les médecins et, finalement, ils avaient la même idée puisqu’en novembre dernier, nous avons créé une association qui s’appelle Trans Santé France. Nous nous retrouvons entre médecins, paramédicaux, personnes concernées, familles, associations, juristes, sociologues et en même pas un an d’existence, nous sommes déjà 120.
Nous avons organisé notre premier congrès à Lille, il y a même pas quinze jours et nous avons déjà des contacts. Nous voulons vraiment faire avancer les choses. On ne devrait pas avoir besoin d’un psychiatre pour déterminer si on est trans ou pas. Tout comme on ne devrait pas avoir besoin d’un juge pour attester que l’on est trans et changer d’état civil. Il y a encore pas mal de choses à faire changer et je veux le faire en position de journaliste en discutant, en informant.
Nous pensons qu’il faut simplifier ce parcours médical. Il est essentiel mais il pourrait passer par un généraliste. On parle souvent de médecins transphobes mais souvent ils n’y connaissent simplement rien et n’ont jamais étudié la transidentité. Ils ne connaissent parfois même pas les dosages donc nous voulons les accompagner. On va lancer un DIU (diplôme interuniversitaire) pour que les médecins soient formés.
Comment mieux parler de la transidentité dans les médias ?
Il faut plus en parler, même au sein des écoles de journalisme. J’ai tenu une conférence à l’Ecole de journalisme de sciences po, parce qu’en effet l’équipe pédagogique s’est rendue compte que les journalistes ne connaissent rien au sujet de la transidentité. Il y a eu beaucoup de questions très intéressantes et nous avons besoin de cet échange. Quand les gens ne comprennent pas, cela mène à la haine et à l’intolérance. Quand on connaît et qu’on réalise que chacun peut vivre sa vie comme il l’entend, cela évite ces phénomènes.
Recueilli par Lisa Peyronne et Héloïse Weisz