Journaliste indépendante spécialiste de l’environnement, Laure Noualhat prône une vision radicale de l’écologie.
BIO EXPRESS
1974 Naissance à Avignon.
1994-1996 Études à l’école d’ingénieurs Télécom Sud Paris.
1996-1998 Formation en journalisme à l’IPJ à Paris (presse écrite et radio).
2000-2014 Journaliste à Libération au service Terre.
2007-2015 Elle tient un blog Six pieds sur terre
2020 Parution de son livre Comment rester écolo sans finir dépressif.
2014-2021 Journaliste indépendante (écriture, enquête, réalisation). Elle intervient régulièrement dans Causette, sur France Inter ou Arte.
En 2014, victime d’éco-dépression, Laure Noualhat quitte Paris et son CDI à Libération pour se mettre au vert, dans une grande maison partagée de l’Yonne. C’est de ce lieu à son image, authentique et naturel, qu’elle mène ses projets de films, comme Après demain qu’elle coréalise en 2018 au côté de Cyril Dion.
L’entretien a lieu dans sa bibliothèque, sans fioriture, près de son bureau jonché de feuilles. Elle raconte son mode de vie permacole, les causes de son éco-dépression et ses quatorze années au service Terre de Libé. À notre arrivée, surprise et ravie, elle affiche la couleur : « C’est dingue, pour une fois que je rencontre des jeunes journalistes qui s’intéressent à ces questions ! ».
Elle joue avec le bout de son pull-over, détache ses cheveux et engage rapidement le dialogue. Un contact facile qui témoigne de sa volonté de transmettre un message aux futures générations, en préconisant la résilience écologique. Devenue une référence dans le journalisme environnement, elle estime avoir atteint son objectif de vie : travailler en toute indépendance, sans patron, ni horaires. Au service de l’écologie.
Vous avez écrit l’ouvrage Comment rester écolo sans finir dépressif, dans lequel vous expliquez que l’éco-dépression n’est pas une fatalité. Vous en avez pourtant vécu une face à l’ampleur de l’urgence climatique. Comment l’éviter ou en sortir ?
Laure Noualhat. L’éco-dépression est une déprime liée à la dégradation continue et dramatique de l’environnement. Pour s’en sortir, je dirais qu’il faut avant tout embrasser totalement cette dépression. Lui dire que vous l’aimez, parce que c’est un signe de bonne santé. Je pense qu’il faut vraiment embrasser ces moments où l’on se dit : « Putain tout est foutu, il n’y a aucune perspective, notre destin commun, il est quand même mal barré . » C’est important de bien prendre la mesure de ce qui nous traverse, que ce soit la colère, l’impuissance, la peine, la peur, etc.
Ce qui revient à la notion de deuil…
L. N. Oui, le deuil du « Yes we can », du « Just do it ». Le deuil de tout ce qu’on nous a appris et même de tout ce que l’on m’a appris. Ensuite, mon deuxième conseil, ce serait d’en parler. Se rapprocher de personnes qui vivent la même chose.
Mon troisième conseil c’est la réconciliation avec soi-même. Bien faire le distinguo entre la notion d’effondrement et l’effondrement intime dans lequel ça résonne. Donc distinguer de quel effondrement on parle, ce qui résonne en nous et sur quoi s’appuie cette peur. Enfin, quatrième conseil : aller faire des stages. Personnellement, ce qui m’a vraiment nettoyé, ce sont des ateliers collectifs appelés « stages de travail qui relie ». Ils permettent de se reconnecter avec la nature. Pour moi, il y a eu un avant et un après.
« Si nous faisons passer l’information et que 100 000 personnes nous lisent, Alors cela mérite les 20 tonnes de CO2 émises pour aller aux États-Unis »
Comment allier un mode de vie décarboné aux contraintes de mouvement que le métier de journaliste implique ?
L. N. En faisant du slow journalisme. Par exemple, j’ai fait beaucoup de voyages en train pour aller couvrir des COP [conférences pour l’environnement]. Je suis allée à Poznań, en Pologne. En train, cela prend une quinzaine d’heures. Tu peux voyager doucement. L’Europe est toujours à portée de train. C’est cher mais tu peux payer la différence ou négocier auprès de la production. Après, je ne peux pas dire grand chose là-dessus parce que j’ai aussi beau- coup pris l’avion. Si j’avais fait un enfant [ce qu’elle a refusé par choix écologique] mon bilan carbone aurait été inférieur à celui de mon bilan carbone aéronautique. Alors comment concilier un mode de vie écologique avec mon travail ? C’est la grande question. On essaie souvent de se racheter une conscience. Si nous faisons passer l’information et que 100 000 personnes nous lisent ou que 1million d’individus regardent le film, alors ça mérite les 20 tonnes de CO2 émises pour aller aux États-Unis. Puis, un beau jour, on décide de ne plus prendre l’avion, de faire du journalisme local, parce que, de toute façon, les enjeux globaux ont intégré les localités proches de chez nous. Nous pouvons remarquer ici, à Joigny, les effets du réchauffement climatique, les problèmes de territoires entre « pesticideurs » et riverains, entre chasseurs et urbains.
Quel est votre regard sur le journalisme de solution ? Comment devons-nous nous placer à l’avenir dans notre exercice de journaliste ? Faut-il être alarmiste ou proposer des solutions ?
L. N. Les deux, mon colonel ! Pour moi, dans le journalisme de solution, c’est le terme solution qui me dérange. Il n’y a pas de solution ! (rire). Il faut abandonner l’espoir que le « foutur » [contraction de foutu et de futur] soit un futur. Pendant que vous créez des moyens de production, vous ne créez pas les moyens d’abaisser les consommations. Or, selon moi, nous devrions d’abord réduire nos consommations, nous lancer dans l’efficacité énergétique et aller dans le renouvelable, tout en sortant du nucléaire. Bonjour le bordel ! Moi je trouve qu’en ce moment, la transition est plus intérieure qu’écologique ou sociétale. Je comprends que le journalisme de solution est aussi une réponse au journalisme environnemental. Mais quand on commence à bien connaître le dossier, on se rend compte qu’il n’y pas de solution. Il y aura toujours une empreinte ou une pression sur les ressources. Je suis arrivée à la certitude que ça ne marchera pas tant que nous serons 8 milliards à vouloir les mêmes choses.
La solution, c’est donc de changer intérieurement ?
L. N. Absolument ! La solution, c’est la transition intérieure, c’est s’aligner avec le vivant. Il ne faut pas réutiliser les vieux codes du syndicalisme à l’ancienne. Il y a des projets de société à inventer mais nous sommes dans un pays très centralisé et jacobin. Donc, le compte n’y est pas. Ceux qui tiennent les rênes et vont continuer de les tenir feront encore partie de l’élite cosmopolite. Ils auront encore la main sur les centres de pouvoir décisionnels. Mais je ne dis pas qu’il faut lâcher le projet politique de société. Nous devons faire une mue par rapport à tout ce qu’on a appris pour avancer demain dans un monde qui va être changeant.
En avril dernier, vous avez sorti votre série documentaire Carbonisés! sur France Télévisions. De quoi parle-t-elle ?
L. N. En mai 2019, France Télévisions a lancé un appel d’offres sur le thème des « tourments climatiques ». Le sujet, c’était la façon dont l’écologie entre dans la vie des gens. Les questions qu’ils se posent. Est-ce que l’on doit faire des enfants ? Changer de voiture ? Déménager ? Je me suis dit que c’était pour moi. J’ai écrit un dossier en deux jours. Et nous avons été pris. Pour France Télévisions, Joigny, c’est une ville de 10 000 habitants, donc la France profonde. Il y a un vigneron climatosceptique, des petites Greta Thunberg qui ont fait une grève dans leur collège, une prof de méditation ou encore mon ami Massimo qui a développé une grosse névrose sur les déchets : dès qu’il voit un objet neuf, il se fait son bilan carbone.
Recueilli par Théodore DE KERROS, Alexis GAUCHER, et Romane LHÉRIAU