Les liens entre actionnaires, annonceurs et rédactions sont multiples. L’avocat Benoît Huet questionne leur impact sur le traitement des sujets environnement.
Benoît Huet est avocat au barreau de Paris et a coécrit L’Information est un bien public – Refonder la propriété des médias (Seuil, 2021) avec l’économiste Julia Cagé. Il est spécialiste du droit civil, du droit commercial, du droit des sociétés et du droit de l’entrepreneuriat mais possède aussi une grande connaissance du droit de la presse.
Il représente des médias, des journalistes et des personnes mises en cause par des supports d’information devant les tribunaux. Riche de son expérience, il présente son avis sur la place de l’environnement dans les médias et les moyens de pression que ces derniers subissent.
Le modèle économique des médias peut-il empêcher les rédactions de traiter les sujets environnement librement ?
Benoît Huet. L’indépendance des médias se joue vis-à-vis des actionnaires et des annonceurs. Il est essentiel que l’on ait parfaitement connaissance de l’identité et des liens d’intérêt des actionnaires de chaque média. Une personne qui s’intéresse au débat sur la 5G doit être en mesure de savoir si les médias qui écrivent sur ce sujet ont des rapports étroits avec l’industrie des télécommunications.
La question se pose par exemple avec Bouygues Telecom qui possède le groupe TF1 depuis sa privatisation, en 1987. On peut également s’interroger sur les médias détenus par SFR [groupe Altice] comme BFM, Libération ou RMC. On sait également que certains annonceurs ont un poids très important dans les recettes publicitaires de certains organismes de presse.
Il y a eu un cas assez emblématique : la réaction du groupe LVMH à une couverture de Libération sur Bernard Arnault, le PDG. du groupe. Cette une titrait « Casse-toi riche con » car il avait choisi de s’installer en Belgique. Le Monde avait expliqué que le groupe LVMH avait retiré ses budgets publicitaires à Libération en guise de sanction. Dans notre livre, nous traitons de ces questions et le sujet de l’environnement n’échappe évidemment pas à cette réflexion.
Comment peut-on lutter contre ces moyens de pression ?
B. C. Il y a actuellement un débat sur la loi Climat et résilience qui vise à interdire la publicité dans la presse pour des produits polluants comme les voitures à moteur thermique. Cela crée une forte opposition des industriels du secteur qui sont inquiets d’une sorte de loi Évin du climat. Elle les empêcherait de communiquer auprès de leurs clients potentiels. Certains médias sont également inquiets de perdre une partie de leurs revenus publicitaires.
Il serait intéressant de savoir ce que ces publicités représentent exacte- ment dans leur chiffre d’affaires. Cette législation ne va pas modifier la structure de leurs recettes et ne mettra pas en cause leur pérennité. Certains journaux, je pense notamment au Guardian, ont déjà fait le choix de retirer les publicités pour les voitures polluantes de leurs pages.
Existe-t-il d’autres moyens de pression exercés par les entreprises sur les médias qui souhaitent traiter des sujets environnementaux ?
B. C. Il existe un collectif d’une centaine d’ONG qui a attiré l’attention de la Commission européenne sur la généralisation de procédures bâillons. Elles sont appelées en anglais les SLAPP suits [Stra- tegic Lawsuit Against Public Participation pour Poursuite stratégique contre la mobilisation publique].
Engagées par des entreprises, elles ont pour unique but de prendre le temps et les ressources de journalistes ou de militants afin de les empêcher d’enquêter sur des sujets qui leur déplaisent. On constate que de nombreux journalistes font aujourd’hui l’objet de ce type de procédure judiciaire. Un groupe d’experts désignés par la Commission européenne réfléchit à une législation européenne là-dessus.
Recueilli par Carla BUCERO-LANZI et Marine GACHET