Retrouvez l’essentiel du débat « Attentats, suicides, maladies graves : traiter du sensible »
Animé par Sophie Massieu, journaliste, avec Caroline Langlade, journaliste et auteure de Sortie de Secours ; Anne-Pierre Noël, journaliste et fondatrice de l’Association de Journalistes et anciens journalistes pour une information responsable en psychiatrie ; Nathalie Pauwels, chargée de déploiement national du programme Papageno et Marie-Christine Lipani-Vayssade, maîtresse de conférences à Bailly-Université Bordeaux-Montaigne.
LES ENJEUX
Suicide, terrorisme, maladies graves, tous ces sujets font partie du domaine de sensible, et peuvent impacter le public et les journalistes qui couvrent ces actualités. Composante à part entière du métier, la recherche de l’émotion et du sensationnalisme vient souvent en premier lieu dans ce domaine. Pourtant, les mots ont un poids et peuvent avoir des répercussions. Alors quelle attitude adopter et comment prévenir ces situations ? Et surtout, comment ne pas banaliser ces thématiques ?
CE QU’ILS ONT DIT
Caroline Langlade : « Le soir du 13 novembre, la première chose que je vois en sortant du Bataclan est un mur de journalistes, de flashs d’appareils photos. C’était trop tôt. Le lendemain, une ancienne collègue m’appelle pour me demander de témoigner. Je lui ai raccroché au nez. »
Anne-Pierre Noël : « Les maladies psychiques sont de plus en plus traités dans les médias mais cela reste une niche. On les retrouve notamment dans les faits divers, lorsqu’un malade commet un crime. Mais les médias oublient souvent que ces personnes peuvent être des victimes. Car certains abusent des faiblesses des malades psychiques. Il n’y a pas d’empathie vis-à-vis de ces personnes, ceux qui ne sont pas touchés ne se sentent pas concernés. »
Nathalie Pauwels : « Lorsque les médias parlent du suicide, il peut y avoir un impact, qui est scientifiquement prouvé. C’est un phénomène très peu connu par les journalistes. Après le suicide de Marylin Monroe, il y a eu une augmentation du taux de suicide d’environ 12% . Une augmentation en lien avec le traitement médiatique du suicide de l’actrice. Certains articles peuvent agir comme désinhibiteurs sur certains personnes ayant des envies suicidaires. »
Marie-Christine Lipani-Vayssade : « Depuis toujours, montrer la souffrance et la violence est une composante à part entière de l’activité journalistique. Les objectifs économiques empiètent sur les pratiques journalistiques. En haut de la chaîne, les employeurs demandent des sujets avec de l’émotion. Cela fait vendre du papier. »
À RETENIR
Le sensible est un sujet traité partiellement dans les médias. Sous-médiatisation, problèmes de hiérarchie, d’éthiques, les mauvaises pratiques journalistique sont nombreuses dans ces situations. « J’ai dû faire face à une déformation de mes propos dans un papier. Quelques mois plus tard, nous avons refusé la diffusion d’un reportage » explique Caroline Langlade, présente au Bataclan lors des attentats du 13 novembre. Le thème du suicide est aussi un sujet propice à des dérives. « Lorsque le suicide est banalisé, voir-même glorifié, il peut être perçu comme une solution » explique Nathalie Pauwels.
Face à ces dérives journalistiques, des préventions sont mises en place, et ce dès les écoles de journalisme. « Pour avoir un meilleur traitement du sensible, il faut faire de la prévention dans les écoles et s’immiscer au sein des rédactions » précise Marie-Christine Lipani-Vayssade. Mais l’entre soi ainsi que la hiérarchie peuvent freiner ces initiatives. « La nouvelle génération est plus ouverte à ces sujets et à travailler avec des professionnels de la santé » tempère la maîtresse de conférence.
Camille MONTAGU