Le reporter du média social Brut, Rémy Buisine s’est fait remarquer grâce à son traitement des manifestations des Gilets jaunes. À travers ses Facebook Live et ses vidéos, le journaliste est très apprécié des acteurs du mouvement. Il nous explique comment Brut est différent des autres médias.
La Feuille : De quelle manière Brut s’est-il imposé comme un média différent des autres ?
Rémy Buisine : Le premier point est que Brut n’est que sur les réseaux sociaux. De plus, on n’est pas là pour donner notre avis sur l’actualité. L’objectif est de créer une conversation sur un sujet. On fait notre travail de journaliste : celui de rechercher les infos, de mettre en contexte les choses, que ce soit via les sujets ou les live. Comme on est un média directement connecté avec ceux qui nous suivent, on a leur retour en temps réel et des conversations peuvent se créer avec des gens qui sont d’accord ou non. Mais nous, on n’intervient jamais dans ces conversations. On a cette chance, grâce aux nouvelles technologies, d’avoir ces commentaires, ce qui fait qu’on est connecté avec notre audience et cela peut influencer la manière dont on fait le direct. Ce qui est important, c’est de comprendre qu’on ne travaille pas pour nous, on travaille pour ceux qui nous suivent.
Ressentez-vous cette défiance, cette haine, qui monte envers les journalistes ?
R. B. : Pour les historiens et les sociologues, cette défiance n’est pas nouvelle. Mai 68 était une époque où il y avait un très fort mouvement social et la défiance était très présente. Maintenant elle a peut-être tendance à s’exprimer sous des formes différentes, notamment grâce aux réseaux sociaux. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la moindre erreur d’un journaliste, le moindre sujet, prise de parole qui pourrait être un peu contestable ou contesté, va être tout de suite découpé, partagé sur les réseaux sociaux des milliers de fois. Cela va renforcer le climat de défiance. Le moindre fait est scruté par tout le monde et il y a beaucoup plus d’écho qu’il pouvait y avoir à l’époque. Avant, quand un article était contesté, ça se discutait au comptoir du bar ou au marché. Mais avec les réseaux sociaux, il y a vraiment un effet démultiplicateur.
Pensez-vous être une solution pour lutter contre cette haine ?
R. B. : Il n’y a pas de solution magique. Cette défiance envers les médias semble exister depuis des décennies. De nombreuses personnes ont essayé de trouver des solutions, sans forcément réussir à enrayer cette dynamique. Le point le plus important aujourd’hui, c’est le dialogue. Cette défiance part surtout de préjugés sur notre travail et la façon dont fonctionnent les rédactions. La plupart du temps, les journalistes qui ont été agressés, l’ont été, non pas à cause de leur travail, mais par rapport aux médias qu’ils représentaient. J’ai eu la chance, dans le mouvement des Gilets jaunes, de pouvoir discuter avec des gens qui ont cette défiance envers les médias. Il y a une frange plus extrême qu’on ne réussira pas à réconcilier, c’est sûr, mais pour d’autres personnes, ouvertes au dialogue, il y a une possibilité de discussion. Cela ne va pas forcément jusqu’à convaincre, mais au moins expliquer notre travail et les difficultés qu’on a sur le terrain. Parfois, juste expliquer, permet d’aplanir des tensions.
« Le dialogue c’est vraiment le point sur lequel j’insiste »
Comment sensibiliser un plus grand public au travail du journaliste ?
R. B. : Ça peut être à travers des conférences ou une émission de télé. Mais il faudrait un média capable de porter ça. Ça pourrait aussi être via des supports numériques. Pas forcément sur Brut parce qu’on n’est pas dans cette idée de programme. Ou via des Facebook Live, ça ouvrirait une place importante aux débats. C’est une bonne idée de faire des conférences et qu’elles soient parfois retransmises sur internet. Ça permet d’avoir un double public. Le dialogue c’est vraiment le point sur lequel j’insiste. Je me rends compte qu’il y a beaucoup d’idées reçues sur le travail du journaliste.
Brut est axé sur les directs et les réseaux sociaux. N’y a-t-il pas un risque d’avoir des fake news dans les commentaire ? Comment luttez-vous contre cela ?
R. B. : Ce n’est pas parce que je suis en direct que je ne peux pas prendre de recul sur certains événements, informations dans les commentaires ou sur ce que je viens de voir. Tout simplement parce qu’à côté de ça, j’ai une rédaction qui peut m’envoyer des informations, via des agences, d’autre médias, ou par des sources personnelles comme les pompiers ou la police. J’ai un deuxième téléphone qui me permet, quand une information tombe, ou s’il y a une tendance qui ressort, de pouvoir la vérifier.
Que pensez-vous du rôle de l’éducation aux médias ?
R. B. : C’est un travail de générations en générations. Cela serait génial d’avoir des journalistes qui interviennent dans les collèges, et les lycées. Pour plein de choses : éduquer comment on s’informe, comment on évite les fake news ou les théories du complot. Quand on parle de la défiance envers les médias, il faut élargir la pensée. Cette défiance part aussi de la façon dont les gens s’informent, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, n’importe quelle personne qui tweete quelque chose alarmant va être retweetée. Les gens ne vont pas vérifier l’info. Cela va parfois jusqu’à créer un sentiment de défiance car certains disent : « Regardez, lui, il donne cette info mais les journalistes n’en parlent pas. » La réalité c’est qu’on n’en parle pas parce qu’elle est fausse. Le but serait que les citoyens qui arrivent sur les réseaux sociaux puissent avoir tous les outils en main, mentalement et intellectuellement, pour faire le tri entre ce qui est vrai et faux.
Propos recueillis par Mélina RIVIÈRE et Suzanne RUBLON.