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[LE RÉSUMÉ] « Harcèlement et place des femmes dans les rédactions : quelles initiatives ? »

Tours 2018

16 Mar 2018

Harcèlement et place des femmes dans les rédactions. Photo : Clara Gaillot

Retrouvez l’essentiel de la conférence « harcèlement et place des femmes dans les rédactions : quelles initiatives ? »

Atelier animé par Yolaine de La Bigne, auteure de « Sois belle et bats-toi ! », avec Lauren Bastide, journaliste et porte-parole de Prenons La Une, Marie-Christine Lipani, maître de conférence à l’IJBA, Florence Méréo, journaliste au service société du Parisien et Sandra Muller, directrice de la publication de La Lettre de l’Audiovisuel et créatrice du hashtag #BalanceTonPorc.

LES ENJEUX

En octobre 2017, deux jours avant le lancement du mouvement #MeToo, c’est une française, Sandra Muller, qui lance sur Twitter #BalanceTonPorc. Plusieurs mois plus tard, le mouvement a été applaudi, remercié mais également fortement critiqué. Le milieu du journalisme ne protège pas forcément les femmes des violences. Et il reste encore beaucoup de chemin à faire avant que les femmes se sentent protégées sur leur lieu de travail.

CE QU’ELLES ONT DIT

Sandra Muller : « Il y a une sorte de souffrance interne de la part des femmes dans l’audiovisuel et la presse écrite. J’ai toujours dit que ce sont les femmes dans le milieu du journalisme qui peuvent unir et porter la parole pour toutes les femmes. Le principal problème : expliquer que, quand on est journaliste, on a des lieux de travail différents et en cas d’harcèlement c’est un problème parce que ce n’est pas toujours reconnu. Quand je vais au Festival de Cannes, j’y vais pour bosser. Pas pour boire des cocktails. En France, il y a des lacunes. On n’a pas entendu parler de la page magnifique dans Libération avec les cent trente actrices qui ont tenté de se faire entendre. Sans succès. Mais la tribune pot-pourri du Monde avec des actrices bourgeoises qui parlent des frotteurs dans le métro sans l’avoir pris depuis des décennies, ça, c’est repris partout. Au moins, dans le mouvement des silent-breakers, on retrouve plein de gens : des femmes de ménage, des actrices, des acteurs, des journalistes, des hauts fonctionnaires, des transgenres… Ce n’est pas du féminisme, cela le dépasse. La parole doit être libérée sans que les femmes aient peur de parler. »

Florence Méréo : « Le mouvement, #TousEgales, a débuté à cause du plafond de verre. Il y a avait un poste de rédacteur en chef disponible et on s’est dit : on va faire une candidature de principe. Quatre hommes étaient déjà chefs et c’est un cinquième homme qui a été pris. Cette candidature a été soutenu par nos collègues hommes, puis, plusieurs journaux comme Ouest-France, Le Progrès ou La Provence nous ont rejoints.  Cela prouve que ce n’est pas un problème parisien. Certaines personnes vont dire « oui, mais d’habitude les femmes ne postulent pas. » Mais on ne se demande jamais pourquoi elles ne postulent pas. Nous avons commandé un audit pour que les gens connaissent enfin les raisons. Et nous, femmes, on connaît déjà les raisons. Des choses vont changer. Ce qui va être compliqué c’est que les hommes acceptent de ne pas avoir de primes pendant un certain temps, de partager le rôle. »

Lauren Bastide : « Plus il y aura de femmes cheffes, plus les violences seront traitées sans stéréotypes. J’ai tendance à penser qu’en tant que journaliste, on a des outils de communication pour qu’on nous entende, ce qui n’est pas donné à tout le monde , comme des comptes Twitter avec des milliers de followers. Dans le journalisme, les disparités économiques entre les hommes et les femmes sont dévastatrices. 60% des pigistes sont des femmes. Et la position de domination des hommes rend la parole impossible à se libérer et rend les femmes plus exposées aux agressions. Je suis affligée, affolée sur le traitement médiatique de #MeToo. Il faut rappeler que c’est une enquête américaine qui a duré un an. Au lieu de reprendre le flambeau, on voit sur les plateaux des hommes qui s’inquiètent que ça dérape, où l’on voit sur le même plan l’interdiction de la cigarette et l’interdiction de la drague. C’est horrifiant.  »

Marie-Christine Lipani : « C’est très important de montrer que les femmes ont beaucoup de difficultés à l’accès aux fonctions de pouvoir. Je me méfie des discours qui sont tout prêts, d’autocensure et de non-entraide des femmes entres elles concernant le travail. Dans mon enquête, sur la presse quotidienne régionale, j’ai senti de la part des hommes, patrons de presse, qu’ils anticipent sur le fait que les femmes ne vont pas postuler, ne veulent pas. Ils avancent différentes raisons dont la maternité. Mais les femmes qui ont des responsabilités savent s’organiser, exactement comme les hommes. Ce qu’on entend aussi, c’est l’argument de la nouvelle génération : « Mais vous savez il n’y a pas de problème parce que la profession se féminine et donc les femmes vont bientôt prendre le pouvoir. » Or des sociologues montrent que la féminisation n’est pas synonyme d’égalité. Et en général, la féminisation d’une profession est souvent synonyme de dévalorisation. Il faut montrer aux jeunes femmes qui entrent en écoles de journalisme qu’elles peuvent faire tous les sujets mais qu’elles ont moins de chance d’arriver à la hiérarchie. L’une des solutions, c’est la transparence sur les solutions qu’apportent les entreprises aux problèmes des femmes. Parce que c’est très souvent opaque. Cela compte aussi pour la transparence des salaires. En France, on dit tout ce qu’on fait, même avec qui on couche, mais pas ça… »

À RETENIR

Un accès aux postes de responsabilités limitées, des situations de harcèlement passées sous silence… Le bilan, dressé après plus de six mois de mouvement de libération de la parole, n’est pas rose. Surtout dans le monde du journalisme. Les hommes doivent plus s’impliquer, les jeunes femmes être éduquées dès l’entrée dans une école et une totale transparence sur les problèmes d’égalité de salaire et de harcèlement est souhaitable.

Lors de cet atelier, Sandra Muller et Lauren Bastide ont révélé deux nouvelles initiatives sur ce sujet. Dans le cas de Sandra Muller, ce sera une association « We Work Safe ». Une charte de quinze points sera vendue à des entreprises qu’elles s’engageront à respecter. Si un(e) employé(e) de cette entreprise subit des harcèlements, elle pourra s’adresser directement à l’association qui attaquera en justice l’entreprise avec l’argent qu’elle aura donné. « L’entreprise prend des risques mais cela doit devenir une sorte de code », a rappelé Sandra Muller. Du côté de Prenons La Une, un petit manuel des rébellion à l’usage des femmes dans les rédactions sera envoyé sur la demande d’un(e) employé(e). Lauren Bastide justifie cette initiative : « C’est l’une des réponses que nous avons trouvées. »

Manon Brethonnet