Les origines de la rumeur
Le fait que les insectes ont tendance à voler vers une source lumineuse est connu depuis des milliers d’années. Dans son traité sur l’agriculture (De re rustica), l’auteur romain du 1er siècle de notre ère, Columelle, proposait même d’utiliser une lumière au fond d’un vase en bronze pour attraper les insectes qui parasitent les ruches d’abeilles.
Dans une lettre envoyée en 1871, l’entomologiste et naturaliste britannique et sud-africain Roland Trimen demandait à Charles Darwin son opinion sur l’origine de cette étrange et dangereuse habitude des insectes nocturnes. Dans sa réponse, Darwin n’avait pas d’explications à offrir, mais remarquait que les lumières artificielles sont assez récentes.
De nos jours, des agriculteurs recommandent de mettre à profit ce comportement pour se débarrasser des ravageurs, soulignaient en 2013 des chercheurs japonais dans un article se penchant sur les réactions des insectes à la lumière. De leur côté, les entomologistes utilisent des pièges lumineux pour mesurer les populations d’insectes, ajoutent des scientifiques américains qui se sont intéressés à l’efficacité de ces pièges en 2024.
Les tentatives d’explications
Mais est-ce que ça fonctionne? Selon des chercheurs allemands qui ont étudié l’attirance des insectes pour les lampadaires en 2019, on peut observer ce comportement lorsque la lumière est située à proximité, c’est-à-dire 30 à 50 mètres. Cependant, plusieurs facteurs influencent le phénomène. Par exemple, une étude de 2017 a révélé que les insectes étaient moins attirés par une lumière clignotante. Et dans une étude publiée en 2016, des chercheurs du Royaume-Uni ont observé que les pièges utilisant des lumières DEL attrapaient deux fois moins d’insectes que les lampes fluocompactes, et quatre fois moins qu’une ampoule incandescente avec un filament de Tungsten. Les chercheurs allemands ont obtenu des résultats similaires en comparant les lumières DEL aux lampes à vapeur de mercure.
Selon les auteurs britanniques, ces différences s’expliqueraient par le fait que les DEL émettent peu de rayons UV comparativement aux lampes fluocompactes ou à celles à vapeur de mercure. Or, les insectes sont surtout attirés par les courtes longueurs d’onde comme les UV et le bleu, soulignait en 2021 une équipe internationale de chercheurs. Et encore, cette préférence semble varier d’une espèce à l’autre, probablement en raison de différences aux niveaux de leurs cellules sensibles à la lumière. Par exemple, certains papillons de nuit ont plutôt une sensibilité à la lumière rouge.
Le pourquoi d’un tel comportement
Ces observations n’expliquent toutefois pas pourquoi les insectes adopteraient ce comportement. En 2024, dans un article étudiant le phénomène, et paru dans la revue Nature Communications, des chercheurs britanniques et américains ont fait un résumé des hypothèses qui existent et leurs limites:
– Certains pensent que les insectes seraient attirés par la chaleur. Pourtant, le même comportement a été observé avec des lumières qui ne dégagent pas de rayonnement thermique.
– Une autre hypothèse veut qu’il s’agisse d’une forme de phototaxie. Par exemple, les insectes croiraient que la lumière est en fait un trou dans un feuillage et voudraient s’échapper par là. Cependant, si c’était le cas, les insectes voleraient directement vers la lumière plutôt que de tourner autour.
– L’hypothèse la plus populaire repose sur l’idée que les insectes utiliseraient les astres, dont la Lune, pour s’orienter la nuit. Ce comportement, appelé orientation transversale, consisterait à maintenir un angle constant entre eux et une source de lumière dans leur champ de vision, expliquait en 2007 l’entomologiste May Berenbaum, sur les ondes de la radio publique américaine NPR. Les insectes confondraient donc les lumières artificielles avec la Lune. Comme ces sources lumineuses sont très près, ils devraient constamment ajuster leur vol et se retrouveraient alors à proximité de la lumière. Selon cette hypothèse, les papillons de nuit devraient toutefois adopter une trajectoire en spirale, ce qui n’est pas ce qu’on observe généralement.
Attirés ou pris au piège?
Dans leur article de 2024, ces mêmes scientifiques ont utilisé des caméras infrarouges pour étudier en direct le comportement des insectes lorsqu’ils sont en présence d’une lumière artificielle.
Ils ont remarqué que la plupart des insectes ont une réponse dorsale à la lumière, c’est-à-dire qu’ils gardent toujours leur dos tourné à la source lumineuse. Ce comportement se serait développé à une époque où la chose la plus brillante dans la nature était le ciel, même la nuit. Dans ce contexte, ce comportement les aiderait à conserver une trajectoire bien alignée sur l’horizon.
Une lumière artificielle provenant d’une source ponctuelle pourrait donc nuire à la capacité des insectes à s’orienter, puisqu’ils ne pourraient plus distinguer le haut du bas. Si la lumière se trouve sur le côté, l’insecte se mettrait à tourner en rond en tentant de maintenir un angle droit entre son dos et la source lumineuse. Si la lumière est près du sol, il volerait à l’envers et finirait par s’écraser. Finalement, si la lumière est au-dessus ou s’il s’agit d’une lumière diffuse sur le même plan que l’horizon, elle n’aurait pas d’effets sur la trajectoire de vol.
Un comportement en voie de disparaître?
Dans un autre article paru en 2024, une équipe internationale a comparé des pièges lumineux avec des pièges fonctionnant avec des phéromones, pour évaluer leur efficacité. Ils ont ainsi remarqué que l’efficacité des pièges lumineux avait diminué dans les 25 dernières années.
Les auteurs ont proposé quelques hypothèses pour expliquer cette baisse d’efficacité. Par exemple, il est possible que l’augmentation de la pollution lumineuse soit en cause.
Par ailleurs, puisqu’il s’agit d’un comportement désavantageux pour les insectes —puisqu’ils se retrouvent alors plus vulnérables aux prédateurs— l’évolution aurait tendance à favoriser ceux qui ont un comportement neutre par rapport à la lumière, ou bien ceux qui l’évitent.
Verdict
Les insectes ne sont pas réellement attirés par la lumière, ou du moins pas tous de façon égale. Mais leur capacité à s’orienter est perturbée par les lumières artificielles, ce qui les empêche de s’en éloigner.
Kathleen COUILLARD
Lire l’article original sur Agence Science Presse : https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/detecteur-rumeurs/2024/06/11/insectes-attires-lumiere-incertain