Non, l’impôt ne représente pas la moitié de nos revenus en France

Le compte Le Lapin du Futur, suivi par 34 600 followers, a publié le 14 mars 2024 un tweet composé de trois allégations : « On vit quand-même dans un pays où l’impôt représente la moitié de vos revenus, où un journaliste du service public est suspendu pour avoir discuté avec Jordan Bardella et où une chaîne de télé passe en commission d’enquête pour expliquer pourquoi elle est pas de gauche mdrrrr ». Ces propos, vus 38 400 fois et respectivement retweeté et liké 658 et 2 700 fois à la date du 10 avril, s’accompagnent d’une photographie avec Jean-Marie Le Pen et sa fille, Marine Le Pen et d’une phrase insérée dessus : « on se croirait chez les bolchéviques ici ! ». Cette image permet de comprendre que par « un pays », Le Lapin du Futur désigne la France car Jean-Marie et Marine Le Pen sont des personnalités politiques françaises.

Il s’agit donc de s’intéresser une à une aux trois déclarations contenues dans ce tweet.

Tout d’abord, l’internaute s’intéresse à l’« impôt » qui « représente[rait] la moitié de vos revenus ». Au vu des termes employés, nous baliserons notre analyse à l’impôt sur le revenu et ne prendrons pas en compte par exemple les contributions sociales et les charges sociales.

Le barème 2024, qui est applicable aux revenus de 2023, est encadré par la loi de finances pour 2024. Ce dernier se décompose en plusieurs tranches de revenus qui vont correspondre à leur propre taux d’imposition. Étant progressif, il démarre à 0% pour les revenus les plus faibles et monte à 45% pour les revenus les plus élevés. Ainsi l’ensemble de nos revenus sur une année n’est pas imposable au même taux d’imposition en fonction de la tranche à laquelle nous nous référons. Pour avoir une idée plus uniforme, il faut se référer au taux moyen d’imposition qui vient indiquer la part d’impôt dans les revenus.

Tableau concernant le barème progressif applicable aux revenus de 2023, publié par le Ministère de la Justice le 1er janvier 2024.

Ainsi, le taux d’imposition moyen sera forcément inférieur à 45% car il aura été nécessaire pour imposer cette tranche de revenu plus élevée d’imposer les autres tranches qui correspondent à des taux d’imposition moindre. De plus, même pour les personnes les plus aisés, le taux d’imposition maximum est de 45%, soit moins que la « moitié de nos revenus », comme l’affirme Le Lapin du Futur.

Et ce, même en s’intéressant aux ajustements possibles, d’après le Ministère de l’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique : plafonnement du quotient familial, décote pour les revenus modestes, réductions et crédits d’impôt et contribution sur les hauts revenus. Cette dernière, qui vient s’ajouter à l’impôt sur le revenu, varie également selon un barème progressif qui démarre à 0% et peut s’élever jusqu’à 4%. Ainsi, même pour les revenus les plus élevés, en ajoutant cette contribution exceptionnelle aux revenus les plus élevés, le taux d’imposition serait de 49%. Cette « moitié de nos revenus », désignée par Le Lapin du Futur, prend alors du sens. Cependant, c’est loin d’être le cas de tous les Français car ce taux ne concerne donc que les plus fortunés. Il est en effet important de rappeler que, d’après l’Insee, « en 2021, en France métropolitaine, le niveau de vie médian de la population s’élève à 23 160 euros annuels. »

 

La deuxième allégation du Lapin du Futur indique que nous sommes dans un pays « où un journaliste du service public est suspendu pour avoir discuté avec Jordan Bardella ». Cette phrase paraît faire référence à la suspension puis au licenciement pour faute grave de Jean-François Achilli sur Franceinfo. Mercredi 13 mars, le quotidien Le Monde révélait que le journaliste avait aidé Jordan Bardella, président du Rassemblement national, à écrire son livre en « accouchant Bardella de ses souvenirs, permettant ainsi à un début de texte de voir le jour ».

Ce dernier s’en est défendu sur X le 14 mars dernier : « J’apprends que Radio France suspend l’un de ses journalistes pour un échange “supposé” autour d’un livre d’entretien avec moi qui n’a pas vu le jour. Ces méthodes pratiquées par le service public sont dignes des pires régimes et font honte à la démocratie. »

Depuis, l’éditorialiste politique a été licencié par Radio France pour « manquement répété aux obligations déontologiques ». Le 25 mai dernier, il reconnaît publiquement avoir « porter un regard » et fait « des retours » sur le manuscrit de Jordan Bardella.

Enfin, Le Lapin du Futur affirme qu’en France : « une chaîne de télé passe en commission d’enquête pour expliquer pourquoi elle est pas de gauche ». Il renvoie certainement ici à la Commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre. Cette dernière, initiée par la France Insoumise, est actuellement présidée par le député Renaissance Quentin Bataillon.

Cette commission avait vu notamment défiler à la date du 14 mars au soir le président du groupe Canal +, Vincent Bolloré, ainsi que les présentateurs phares de ses chaînes Cnews et C8 comme Pascal Praud et Cyril Hanouna. Des auditions qui ne sont pas liées à l’existence ou non d’une ligne éditoriale de gauche mais aux nombreux rappels à l’ordre de l’Arcom envers les chaînes du groupe Canal +.

Les allégations du Lapin du Futur sont donc fausses. Les impôts ne représentent pas la moitié des revenus des Français, le journaliste Jean-François Achilli a aidé Jordan Bardella à écrire un livre et les chaînes C8 et Cnews n’ont pas dû rendre compte d’une ligne de gauche ou non.

 

Maylis YGRAND (Factoscope)