Non, 200 clandestins africains n’ont pas été hébergés dans un château en France

France
Politique | Société

27 Mar 2024

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Le 26 février 2024, l’eurodéputé d’extrême droite Gilbert Collard affirmait que « 200 clandestins africains en provenance de Mayotte » allaient « être hébergés au château de Grignon ». Une affirmation fausse car il s’agissait non pas de clandestins mais de réfugiés politiques et que ces 195 personnes n’ont pas été accueillies dans un château mais dans un bâtiment annexe.

Dans un tweet du 26 février 2024, Gilbert Collard affirme : « 200 clandestins africains en provenance de Mayotte vont être hébergés au château de Grignon : elle est pas belle la vie ? N’oubliez pas de payer vos impôts ! » Ce tweet comptabilisait plus de 188 000 vues, 3 000 retweets et 568 commentaires, le 3 mars 2024.

Cette allégation fait référence à l’action menée par Emmaüs France fin février. L’association caritative a effectivement permis l’accueil transitoire de plusieurs personnes étrangères dans les Yvelines. Mais Lotfi Ouanezar, directeur d’Emmaüs Solidarité, explique : « Nous avons été sollicité par les services de l’État pour accueillir des réfugiés venant de Mayotte qui ont été logés dans des logements étudiants d’AgroParisTech et non dans le château ». Ces personnes ont été prises en charge « dans la nuit du 26 au 27 février ». « Le site est fermé depuis le 13 mars », précise-t-il.

« Le sujet fait polémique parce que les médias, notamment d’extrême droite mais pas que, ont raconté n’importe quoi », déplore le directeur d’Emmaüs. En effet, de nombreux médias ont entretenu cette désinformation, que ce soit dans leur titre ou parfois même au sein de leur développement. Europe 1 titre ainsi le 27 février : « Yvelines : 300 migrants s’installent dans le château de Thiverval-Grignon, la mairie regrette une «décision imposée». Il est néanmoins précisé à la fin de l’article que « les réfugiés logent dans les anciennes résidences étudiantes du domaine qui abritait auparavant l’école AgroParisTech, les mêmes qui avaient déjà accueilli l’an passé des centaines de sans-abris » mais il est aussi écrit que « c’est l’avenir de ce château du XVIIᵉ siècle qui est désormais au centre des préoccupations. » Le Figaro écrit le 28 février : « Au château de Grignon, les 195 migrants venus de Mayotte trouvent un refuge temporaire » mais indique plus loin qu’ils ont été « installés dans les résidences étudiantes jouxtant le château ». Le titre de FranceInfo du 27 février est lui aussi trompeur : « Pourquoi 195 réfugiés venant de Mayotte sont-ils accueillis au château de Grignon dans les Yvelines ? » L’article précise lui aussi ensuite : « L’association caritative Emmaüs France a été chargée par les pouvoirs publics de les accueillir, de les accompagner et les installer dans les dépendances du château, dans les anciennes résidences étudiantes du domaine qui abritait auparavant l’école AgroParisTech. ». Intitulé « Un château des Yvelines va accueillir près de 200 réfugiés africains venus de Mayotte », le papier du Parisien, lui, ne mentionne à aucun moment le fait que les réfugiés ont été accueillis des logements étudiants. Seul les articles du Monde (« Quand l’extrême droite dénonce, au mépris de la réalité, l’installation d’un « camp de migrants » dans un château ») et des Surligneurs ont été fidèles à la réalité.

Par ailleurs, les personnes prises en charge par Emmaüs ne sont pas des « clandestins » mais des « réfugiés », explique Lotfi Ouanezar. Ces réfugiés provenant d’Afrique de l’Est s’étaient installés à Mayotte. Il s’agissait de « 195 personnes, essentiellement des familles et quelques femmes isolées venant du Burundi, du Congo, du Soudan », explicite le directeur d’Emmaüs Solidarité.

Capture d’écran effectuée le 3 mars 2024. Photo : Laurent Bourcier/Wikimedia

Alors pourquoi employer le terme « clandestin » au lieu de parler de « réfugié » ? Gilbert Collard n’a pas répondu aux sollicitations de notre rédaction. Mais sa publication sur X (anciennement Twitter) n’apparaissait plus sur son compte le lendemain de notre premier mail. Elle a été supprimée entre le 4 et le 5 mars. Était-ce une erreur de terminologie, un abus de langage par méconnaissance ou une instrumentalisation politique ? Quoi qu’il en soit, cette inexactitude dans le vocabulaire vient déformer la réalité et un point sur les définitions s’impose.

Au sens de la Convention de Genève de 1951, un réfugié est une personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » (asile conventionnel). Aussi, « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République » (asile constitutionnel), d’après l’alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946 auquel fait référence l’article 53-1 du Préambule de la Constitution de 1958.

Les réfugiés, des personnes en situation régulière

En France, les réfugiés ont droit à un titre de séjour humanitaire valable dix ans et renouvelable sous diverses conditions. Pour en bénéficier, ils doivent en faire la demande sur le site de l’administration numérique des étrangers en France (ANEF) après la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ou de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui leur attribue le statut de réfugié. Ce statut est délivré après l’étude d’un dossier de demande d’asile déposé par une personne qui est en France en situation irrégulière.

C’est précisément à cette dernière, la situation irrégulière, que le terme « clandestin » fait le plus communément référence. « Mais les demandeurs d’asile ont un statut, ce ne sont pas des clandestins », rappelle Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’Université Paris-Saclay, juge-assesseure à la CNDA et consultante à Désinfox-Migrations. De plus, leur statut peut évoluer et passer d’une situation irrégulière, à celle d’un demandeur d’asile jusqu’à devenir réfugié. Elle précise : « La situation irrégulière n’a pas vocation à durer. »

D’après la définition de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), la notion de clandestinité évoque « la condition des migrants irréguliers contraints de vivre en marge de la société. Il y a migration clandestine soit en cas d’entrée irrégulière sur le territoire d’un Etat, soit en cas de maintien sur le territoire d’un Etat au-delà de la durée de validité du titre de séjour, soit encore en cas de soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement ».

« La qualité de clandestin ne peut pas être attribuée de façon générale aux étrangers », souligne Tania Racho. « Le terme clandestin est mal adapté puisqu’une personne peut être en situation irrégulière – car sa situation administrative n’est pas régulière – mais ne pas se cacher. Quand on parle de clandestinité, il y a cette idée d’être discret. Cela renvoie à quelque chose d’illégal. » La docteure estime que l’on ne peut pas non plus parler d’« immigration illégale » car la situation irrégulière renvoie à « une situation administrative qui n’est pas régularisée et n’est donc pas pénalement répréhensible ».

Le caractère criminalisant du terme clandestin

Dans l’article « « Migrant illégal » ou « immigré clandestin », des termes à bannir », Bill Frelick, directeur de la division droits des réfugiés et des migrants à Human Rights Watch, revient sur la portée des mots employés : « Ces termes suggèrent à tort que ces personnes perdraient tous leurs droits en passant la frontière. » Ils renforceraient les préjugés et marqueraient, également à tort, écrit-il, « au fer rouge du sceau de l’illégitimité ». La Cimade, association d’aide aux personnes étrangères, alerte : « Le terme “clandestin”, empreint d’un caractère péjoratif et criminalisant, est communément mais abusivement utilisé pour désigner des étrangers en situation irrégulière. »

Tania Racho critique également l’usage du terme « migrant », un « mot-valise » qui renvoie à l’idée du déplacement, une réalité donc, mais qui s’arrête à un moment donné. Elle préconise des termes plus précis pour mieux nommer les personnes désignées (« demandeur d’asile », « réfugié », « immigré » ou « personne en situation irrégulière ») : « L’absence de précision a le défaut de mettre tout le monde dans le même sac, que ce soit un « migrant » ou un « clandestin », et de participer au flou sur la migration. »

Elle ajoute : « L’objectif de l’extrême droite est de donner l’impression qu’il y a une submersion et d’avoir une vision unique de la migration. Regrouper différent cas sous le mot « migrant » ou « clandestin » gomme la complexité. Mais quand on ajoute des subtilités, c’est moins lisible et donc l’adhésion politique est moins facile. »

Une instrumentalisation politique par l’extrême droite

L’auteur du tweet sur les « 200 clandestins », Gilbert Collard est un avocat investi en politique, actuellement eurodéputé et anciennement député de la 2e circonscription du Gard. Il a quitté le Rassemblement national (RN), après avoir été engagé auprès de Marine Le Pen depuis 2011, pour soutenir Éric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022.

De son côté, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), association de défense et d’aide juridique des étrangers en France, avait publié en 1990 dans sa revue Plein droit, un édito sur le terme « clandestin ». Y est dénoncé l’« amalgame » selon lequel « l’étranger en situation irrégulière est systématiquement qualifié de « clandestin » ». Or, ces « étrangers en situation irrégulière ne se cachent nullement et cherchent au contraire désespérément à régulariser leur situation par des démarches auprès de l’administration. On ne peut donc les qualifier de « clandestins » que par abus de mot. » Pour le Gisti, cet amalgame a des conséquences. D’une part il explique « qu’on puisse laisser courir les chiffres les plus fantaisistes à propos de l’immigration « clandestine » ». Et d’autre part, « à force de dénoncer l’immigration clandestine comme le mal qui ronge notre société, on entretient l’opinion dans l’idée que la France est menacée d’une invasion rampante ».

« L’immigration irrégulière est, par définition, un phénomène difficile à appréhender. Il s’agit à la fois d’une réalité humaine et d’une construction politique et administrative », expose le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024. Il est donc compliqué d’évaluer le nombre de personnes qui se maintiennent sur le territoire national sans y être autorisées. Le rapport décrit une « catégorie mouvante » puisque les statuts sont amenés à changer en fonction des démarches administratives entreprises par ces personnes. Une estimation est toutefois faite à partir du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME) qui s’élevait à 439 000 à la fin juin 2023, « mais ce chiffre ne permet pas, en lui-même, d’évaluer précisément le nombre de personnes en situation irrégulière ». Selon le rapport « Les étrangers en France » de 2021, de la direction générale des étrangers en France (DGEF), 376 108 étrangers en situation irrégulière ont fait valoir leur droit à l’AME cette année-là.

Un phénomène difficilement quantifiable

Tania Rocha dénonce le fait que la situation irrégulière est « parfois une conséquence du manque de diligence des autorités préfectorales en France parce qu’il n’y a pas assez de moyens. La plupart des personnes en situation irrégulière avaient initialement une situation régulière. » En effet, lorsqu’un titre de séjour arrive à échéance et n’est pas renouvelé, une personne se retrouve en situation irrégulière. D’après le rapport cité plus haut, les administrations et juridictions chargées de la gestion administrative des personnes en situation irrégulières sont « sous pression » et « peinent à assurer leurs missions ». « L’état de saturation des préfectures engendre des retards dans le renouvellement des titres de séjour », y est-il regretté.

Au 31 décembre 2022, il y avait 547 102 réfugiés en France, d’après le rapport d’activités 2022 de l’ Ofpra. En 2021, le rapport du gouvernement au parlement sur les étrangers en France constatait que « l’immigration en France représente désormais 10 % de la population française. Elle y est familiale avant d’être économique, et majoritairement issue de l’Union européenne et de l’Afrique francophone. Elle est de plus en plus humanitaire, conséquence de l’augmentation du nombre de réfugiés accueillis dans notre pays comme dans toute l’Europe, 500 000 d’entre eux bénéficiant désormais de la protection de lOfpra [soit 0,7% de la population française]. »

En définitive, en avançant que des clandestins ont été hébergés dans le château de Thiverval-Grignon dans un tweet, Gilbert Collard transmet une fausse information. Désigner des réfugiés par le terme « clandestins » n’est pas approprié et ces personnes ont été logées dans des logements étudiants annexes. Ce qu’a écrit Gilbert Collard dans son tweet est donc faux.

 

Mathilde LAFARGUE (Factoscope)