Non, les États-Unis n’ont pas interdit aux personnes vaccinées contre la Covid-19 de donner leur sang

Sénégal
Santé et sciences

25 Juil 2023

12 minutes de lecture
Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux au Sénégal, un chroniqueur sénégalais a affirmé que les États-Unis avaient interdit aux personnes vaccinées contre la Covid-19 de donner leur sang. Sa déclaration est incorrecte.

« Le Congrès américain a décidé que toute personne vaccinée contre le coronavirus ne donne plus son sang pour le restant de sa vie » : c’est ce qu’a déclaré Pa Assane Seck, un chroniqueur qui intervient régulièrement dans les médias sénégalais sur divers sujets liés à l’actualité. Pa Assane Seck a tenu ces propos durant une émission télévisée diffusée le 11 mai 2023 sur YouTube par la web TV sénégalaise 2A TV.

Seck s’est exprimé en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal, et nous avons traduit ses propos en français. Sa déclaration, devenue virale sur les réseaux sociaux, a par exemple été relayée sur TikTok, notamment par un utilisateur ayant comme pseudonyme nulkasniper3963. La courte vidéo de cet internaute (1 minute 14 secondes) avait été aimée plus de 41 000 fois au 25 juillet 2023 et, à la même date, elle avait été partagée près de 12 500 fois. On y entend le chroniqueur ajouter : « Les Américains, qui ont été les premiers à appeler les gens à la vaccination, disent maintenant aux personnes vaccinées de ne plus donner leur sang ».

 

PA ASSANE SECK SUR LA SITUATION DU PAYS : « Nguur du deal ! » diffusée le 11 mai 2023 sur YouTube par la web TV sénégalaise 2A TV.

Pa Assane Seck se fonde sur une vidéo largement diffusée sur WhatsApp

Contacté par Africa Check pour des précisions sur sa source, Seck nous a transmis, via la messagerie WhatsApp, une vidéo d’une durée de 2 minutes 49 secondes. Ce film est accompagné du message suivant : « Voilà, la vérité finira toujours par triompher, les États Unis interdit aux personnes vaccinées contre la Covid 19 , de donner du Sang!!! Incroyable…».

WhatsApp avertit que la vidéo en question a déjà été transférée de nombreuses fois.

La vidéo est précisément un monologue d’Hervé Juvin, un député français qui siège au Parlement européen. Juvin est présenté par des médias français comme « un complotiste qui relaie un discours antivax (contre les vaccins) ». Il était tête de liste du parti politique Rassemblement national dans le Pays de la Loire, dans l’ouest de France, lors des élections régionales françaises de 2021.

Avant d’être reprise sur des réseaux sociaux au Sénégal, la vidéo transmise par Pa Assane Seck avait d’ailleurs été publiée le 17 mars 2023 par Hervé Juvin sur sa page Facebook avec comme titre : « La déclassification des documents sur l’origine de la pandémie ».

Déclaration mal comprise, mal rapportée ou déformée

En réalité, le député français n’a pas affirmé que les États-Unis avaient interdit aux personnes vaccinées contre la Covid-19 de donner leur sang, mais il a évoqué « un projet de loi aux États-Unis qui interdit aux personnes vaccinées de donner leur sang ». Comme le suggère le titre de la vidéo, son intervention porte principalement sur la déclassification de l’ensemble des documents relatifs à l’origine de la Covid-19, déclassification décidée et votée par la chambre des représentants des États-Unis en mars 2023. Une « décision majeure à laquelle les Européens devraient réfléchir », selon Hervé Juvin. Dans l’extrait, le parlementaire français salue le « dévoilement progressif de toutes les questions de santé publique que posent les vaccins contre la Covid-19 », en citant l’exemple du projet de loi aux États-Unis qui « interdit aux personnes vaccinées de donner leur sang ».

Un projet de loi inabouti

En février 2023, aux États-Unis, Greg Kmetz, un partisan du Parti républicain américain, avait proposé un projet de loi visant à interdire aux personnes ayant reçu le vaccin contre la Covid-19, ou souffrant d’une infection de « Covid longue », de donner leur sang.

Le projet de loi numéro 645 ou House Bill 645 a été présenté officiellement le 17 février 2023 à la législature de l’État du Montana, dans l’ouest des États-Unis d’Amérique. Il proposait de punir « toute personne qui donne sciemment du sang total, du plasma, des produits sanguins, des dérivés sanguins, des tissus humains, des organes ou des os contenant des protéines altérant les gènes, des nanoparticules, des protéines à forte teneur en pointes provenant de Covid longue ou d’autres isolats introduits par des vaccins à ARNm ou à ADN, des chimiothérapies à ARNm ou à ADN ou d’autres nouvelles biotechnologies pharmaceutiques à ARNm ou à ADN », indique un article publié le 18 février 2023 par le média américain Newsweek sur ce texte.

Le projet de loi numéro 645 proposait également que les donneurs de sang vaccinés soient passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 dollars américains (un peu plus de 295 000 francs CFA, plus de 450 euros au taux de change du 25 juillet 2023) s’ils sont reconnus coupables de délit.

L’état d’avancement du projet de loi est indiqué sur les sites respectifs de l’Assemblée législative de l’État du Montana et du Montana Free Press Capitol tracker, un outil en ligne visant à rendre la législature de l’État du Montana plus accessible au public en compilant des informations sur les propositions de loi et le processus législatif.

Les deux structures ont indiqué que la House Bill 645 est « probablement morte », parce qu’elle n’a pas su engranger suffisamment de votes favorables.

Donnant plus de détails, un article de vérification (en anglais) publié le 4 mai 2023 par le média américain USA Today explique que le projet de loi a « effectivement avorté ». Le journal a vérifié et démenti l’affirmation selon laquelle les personnes ayant reçu le vaccin à ARN messager contre la Covid-19 n’étaient plus autorisées à donner leur sang.

USA Today a confirmé à Africa Check que le projet de loi n’avait pas connu de suite favorable, en soulignant qu’à l’heure actuelle, aux États-Unis, les personnes vaccinées sont libres de donner leur sang. Des explications corroborées par Pr Michael Wagner, professeur de journalisme et de communication de masse à l’Université du Wisconsin-Madison : « Présentement, les personnes ayant reçu le vaccin contre la Covid-19 peuvent bel et bien donner leur sang aux États-Unis ».

Le don de sang par des personnes vaccinées contre la Covid-19 est médicalement approuvé

Digital Health Lab est une plateforme regroupant des experts qui apportent des réponses à des questions liées à la santé. Elle a indiqué à Africa Check que dans le cas des États-Unis, la rumeur selon laquelle le sang des personnes vaccinées contre la Covid-19 est infectée s’est répandue dans ce pays parce que la Croix-Rouge américaine avait déclaré qu’elle n’avait plus besoin de dons de plasma provenant de personnes porteuses d’anticorps Covid-19. Décision qui s’explique par le fait qu’elle disposait d’une quantité suffisante de ce plasma, et non par le fait qu’il était dangereux de quelque manière que ce soit.

Digital Health Lab a par ailleurs noté que, scientifiquement, il n’existe aucun moyen de tester le sang d’une personne pour savoir si elle a reçu le vaccin contre la Covid-19 ou non. « On peut rechercher des anticorps dans le sang, mais il n’est pas facile de savoir si ces anticorps proviennent d’un vaccin ou d’une infection. Il n’existe pas non plus de moyen d’analyser le sang d’une personne et de savoir si elle a été vaccinée contre la Covid-19 », a assuré la plateforme d’experts. Une information corroborée par Cerballiance, un réseau français de laboratoires de biologie de ville.

Pourtant, en février 2023, le réseau social Twitter avait vu circuler l’affirmation selon laquelle le sang des personnes vaccinées contre la Covid-19 avec un vaccin à ARN messager était trop dangereux pour la transfusion. Une affirmation à laquelle s’est intéressée la chaîne de télévision francophone TV5 Monde, qui l’a vérifiée dans une vidéo mise en ligne le 2 mars 2023 sur sa chaîne YouTube.

Selon ce média francophone, tout était parti d’un message publié le 23 février 2023 sur Twitter par Steve Kirschqui se présente comme un entrepreneur américain expert en technologie. Kirsch est réputé pour son soutien à la recherche médicale, mais aussi comme un activiste antivaccins. Il s’était fondé sur les résultats d’une étude publiée le 17 janvier 2023 dans un journal de pathologie, microbiologie et immunologie (en anglais, en accès libre dans la base de revues scientifiques Wiley ou Wiley Online Library).

Cette étude a été menée au Danemark par plusieurs scientifiques. Ils ont travaillé sur des échantillons prélevés sur des patients « atteints d’une infection chronique par le virus de l’hépatite C » et suivis par un hôpital universitaire de Copenhague, la capitale danoise. Ces malades avaient été vaccinés contre la Covid-19. Les scientifiques ont pu retrouver « dans 10 des 108 échantillons de patients » de leur étude « des séquences complètes ou des traces » du vaccin à ARN messager « dans le sang jusqu’à 28 jours après la vaccination contre la Covid-19 », selon les résultats de leurs travaux.

Après la publication des résultats partiels, des experts avaient souligné que l’échantillon test n’était pas nécessairement représentatif et qu’il n’était pas statistiquement solide. « C’est un tout petit nombre de personnes, une dizaine de patients uniquement », qui a été concerné par ces traces visibles de vaccins à ARN messager, a notamment relevé Docteure Pascale Richard, médecin biologiste et directrice médicale de l’Établissement français du sang (EFS), dans un entretien publié le 22 février 2023 par Science et Avenir, un magazine français de vulgarisation scientifique.

Henrik Westh, l’un des auteurs de l’étude, travaille au département de microbiologie clinique de l’hôpital universitaire de Copenhague Amager-Hvidovre, au Danemark. Il est aussi enseignant à l’Institut de médecine clinique de l’Université de Copenhague. Westh a précisé à Africa Check que la version de l’étude publiée le 17 janvier 2023 sur le site de la Wiley Online Library était une version complète et qu’il n’y en aurait pas une autre, plus détaillée.

En outre, la vidéo de vérification de TV5 Monde de mars 2023 souligne que le tweet de Steve Kirsch parle de sang contaminé. Quand on parle de sang contaminé, on parle d’un sang infecté par un virus, par exemple, mais pas par l’ARN messager. L’ARN messager présent dans le vaccin contre la Covid-19 n’est pas un agent pathogène, car il ne provoque pas de maladies. C’est une molécule qui s’appuie sur la protéine du virus pour générer des anticorps et, une fois sa mission lancée, cette molécule très fragile disparaît généralement assez vite de l’organisme, renseigne TV5 Monde.

« En général, le sang des donneurs vaccinés est excellemment propre à la transfusion sanguine », a confirmé à Africa Check Docteur Djibril Ndaw, consultant en hématologie clinique et en cancérologie médicale pour le Centre médical spécialisé Elysium (CMSE) de Dakar.

« En effet, a-t-il ajouté, certains produits dérivés du sang, que l’on appelle les immunoglobulines polyvalentes ou spécifiques, sont extraits du sang des donneurs vaccinés ou ayant rencontré dans le passé une maladie infectieuse immunisante (en général, les virus ou les bactéries). Ce type de produits dérivés du sang permet de lutter contre certaines maladies infectieuses potentielles graves ou de prévenir leur survenue dans la cadre d’une exposition involontaire, particulièrement chez les malades à immunité compromise ».

C’est dans cette optique que « le plasma des malades convalescents de la Covid-19 de préférence sévère est utilisé pour traiter d’autres patients souffrant de Covid-19 sévère, en particulier chez les personnes âgées ou immunocompromis », a souligné Docteur Ndaw. Immunocompromis fait référence à un individu dont les défenses immunitaires ont diminué. Certains experts disent « immunodéprimé » ou « immunodéficient ».

Selon Djibril Ndaw, « tous les vaccins validés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sont compatibles avec la donation de sang, avec un certain délai entre le jour de la vaccination et le jour de la donation ».

Dans une note publiée le 17 février 2021 et intitulée Maintien d’un approvisionnement en sang sûr et suffisant et collecte de plasma de convalescent dans le contexte de la pandémie de Covid-19, l’OMS déclare : « Aucune transmission du SARS-CoV-2 (le virus à l’origine de la Covid-19, NDLR) par transfusion de sang et de ses constituants n’a été signalée ; ce mode de transmission est actuellement considéré comme hautement improbable ».

Il n’existe pas non plus de preuve d’un quelconque risque à recevoir du sang de personnes ayant reçu un vaccin contre la Covid-19 approuvé par l’OMS, ou de personnes atteintes de Covid longue, insiste Digital Health Lab.

Conclusion : la déclaration de Pa Assane Seck est incorrecte

Dans une vidéo relayée sur TikTok, le chroniqueur sénégalais Pa Assane Seck a soutenu que les États-Unis avaient interdit aux personnes vaccinées contre la Covid-19 de donner leur sang.

La personne qu’il indique comme sa source est un député français au Parlement européen, Hervé Juvin. Ce parlementaire n’a pas exactement tenu ces propos, il a plutôt évoqué l’existence d’un projet de loi aux États-Unis visant à empêcher les personnes vaccinées de donner leur sang. Un projet de loi qui a d’ailleurs échoué, selon des médias américains.

L’Organisation mondiale de la Santé et des experts consultés par Africa Check ont confirmé que les personnes vaccinées contre la Covid-19 pouvaient donner leur sang.

Par conséquent, la déclaration de Pa Assane Seck est incorrecte.

Valdez ONANINA et Coumba SYLLA

Lire l’article original sur Africa Checkhttps://africacheck.org/fr/fact-checks/articles/senegal-usa-sante-vaccins-covid-19-interdiction-don-de-sang-parlement-loi