La vie en prison est un mystère. À la faveur de trois ateliers d’éducation aux médias, plusieurs détenus de la maison d’arrêt de Tours ont décrit avec leurs mots le détail de leur quotidien. Entre le stress de la découverte et l’attente de la libération. Plongée dans un monde inconnu.

Il est 10 heures. La bibliothèque de la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire), dans le quartier Febvotte-Marat, résonne d’une conversation animée. Autour d’une grande table, installée dans la salle de lecture, les détenus, encadrés par deux journalistes représentant l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), participent à une activité d’éducation aux médias. Une initiative du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui délègue à la Ligue de l’enseignement la programmation et la coordination des activités socioculturelles (*). Au programme : le récit à plusieurs voix des temps les plus forts d’une période d’incarcération.
Ils ont retenu huit moments : la découverte du quartier « arrivants » ; la vie en cellule ; les premières « cantines » (c’est ainsi qu’on appelle le système officiel de ravitaillement individuel) ; la promenade ; le recours à l’unité sanitaire ; les repas ; les activités sportives et culturelles et la fin de peine.
« La maison d’arrêt fonctionne comme une micro-société, presque en autonomie, insiste un détenu. Chacun a son rôle pour faire vivre l’établissement. Les jours se suivent et se ressemblent. Une forme de routine s’installe. En attendant la libération. »
Le « choc » de la découverte du quartier des « arrivants ». Le premier jour, le prisonnier est soumis à un certain nombre de formalités – identification, fouille intégrale, réception du paquetage (matelas, draps, couverts, kit d’hygiène), remise du règlement interne. Vient ensuite la cellule des « arrivants » : la découverte du cadre de vie et des codétenus. Les cellules font 9 m2 et peuvent accueillir au maximum trois détenus. « C’est un choc, dit un des six participants à l’activité. On est en état de stress. S’adapter, ce n’est pas donné à tout le monde… »
La musique « adoucit les m(œ)urs ». En cellule, les détenus écoutent beaucoup de musique. Elle accompagne leur vie. « Ça fait retomber la pression, explique l’un d’entre eux. C’est un échappatoire, un moment de transition qui rythme la journée. » Chaque cellule a son univers. On y écoute du rap, de la pop, de la variété française comme Johnny. Certains reprennent les paroles à tue-tête. « A 18 heures, la journée du détenu s’achève, ajoute un autre. Il y a ma peine de jour avec les surveillants, les activités. Avec le stress. Et il y a ma peine de nuit avec la musique. Elle permet de décompresser. Ça fait des choses, la musique : ça rend joyeux, ça rend nostalgique… »
La télé pour « garder une œil sur la réalité ». Chaque cellule est équipée d’une télévision. Les détenus doivent s’acquitter d’une redevance auprès de l’administration pénitentiaire (comme pour le réfrigérateur). Toutes les chaînes de la TNT sont disponibles ainsi que Canal +, Canal + Sport, Canal + Cinéma, MCM, Planète + et National Geographic. Parmi les programmes favoris : Les 12 Coups de midi, le football et les chaînes musicales. Le choix des programmes se fait au gré des affinités entre les détenus. La télévision est accessible 24 h sur 24. L’utilisation de la télé et le choix des chaînes font parfois l’objet de tensions entre détenus. « On est obligé de faire des compromis. Mon codétenu regarde la télé-réalité et le foot alors que ça ne m’intéresse pas du tout », rapporte un détenu.
La cantine, « l’Amazon du détenu »… Le système de cantine permet aux détenus d’acheter des produits de première nécessité et des denrées alimentaires : pâte, riz, tabac, bouilloire, journaux… Il y a environ 250 articles disponibles. Chaque détenu dispose d’un compte individuel, qui permet de régler les achats. Le compte est alimenté par des fonds propres, par les proches, par une aide de l’État lorsqu’un détenu est indigent ou par un salaire que le détenu reçoit s’il travaille. Le délai de livraison des commandes peut atteindre 15 jours au maximum. « On peut commander des casseroles et des poêles même s’il n’y a pas de plaques électriques dans les cellules… », s’étonne un détenu.
Qu’est-ce qu’on mange à la « gamelle » ? Les repas sont servis deux fois par jour à 11 h 45 et à 17 h 45, à la porte de la cellule. A l’intérieur de la maison d’arrêt, le repas est parfois appelé « la gamelle ». Mais pour certains, ce terme est péjoratif. Les plats sont chauds, plus souvent tièdes. Les menus sont élaborés avec l’aide d’une nutritionniste et sont validés une fois par trimestre par une commission. Elle est composée d’un panel de détenus, qui peuvent faire remonter des demandes particulières et prévoir des menus individuels pour ceux qui ont des régimes particuliers. Certains détenus peuvent demander des doubles rations. Il existe environ une trentaine de régimes différents. Lors du repas du soir, les détenus récupèrent le petit-déjeuner du lendemain. Le dimanche midi, le repas est « amélioré » : hamburger-frites, par exemple. Grâce au système des cantines, les détenus peuvent se préparer eux-mêmes à manger. « Personnellement, je n’aime pas trop la « gamelle », confie l’un d’eux. Ça fait grossir. Alors, je préfère me préparer mes propres repas grâce à une chauffe (système artisanal de réchauffage des plats) et aux produits cantinés. »
La promenade, « l’occasion de prendre l’air ». La promenade se décompose en deux tranches d’une heure, matin et après-midi. Il n’y a pas d’horaire régulier. Elle réunit les prisonniers d’une même aile de la maison d’arrêt. Les détenus ont le choix d’y participer ou pas. Certains n’y participent jamais. Elle a lieu dans une cour murée et grillagée. C’est un endroit triste. Il correspond exactement à l’idée qu’on se fait de la prison. « La promenade, c’est l’occasion de prendre l’air, raconte un détenu, de se rencontrer, de jouer aux cartes, de marcher et d’essayer d’apercevoir les rayons du soleil à travers les grilles. Mais le décor nous rappelle sans cesse que nous sommes en prison. Des fois, on se dit qu’on aurait mieux fait de ne pas aller en promenade. »
Des activités « pour s’évader ». Elles sont proposées par le SPIP, qui en délègue l’organisation à la Ligue de l’enseignement. Là aussi, les détenus peuvent décider d’y participer ou pas. Quelques exemples d’activités : sport (football, musculation, ping-pong), beaux-arts, bibliothèque, jeux de société, etc. Les détenus s’inscrivent mais,, après validation par la Commission pluridisciplinaire unique (CPU), instituée pour renforcer la cohérence entre les différents interlocuteurs de la personne détenue, la cheffe de détention (responsable opérationnelle de la Maison d’arrêt) organise la participation en fonction des capacités d’accueil (*). « C’est une façon pour nous de nous évader de notre cellule », souligne un des détenus, non sans humour.
L’unité sanitaire au bon soin des détenus. La maison d’arrêt dispose d’une infirmerie que l’on appelle « unité sanitaire ». Elle est animée par une équipe médicale (médecins, infirmières), qui est assistée régulièrement par des psychologues, des psychiatres, un dentiste, un service radiologie. Chaque année, les détenus passent au moins une radio pulmonaire. Le détenu signale de lui-même, y compris en cas d’urgence, un besoin de soin particulier. En cas d’examen plus complexe, l’administration pénitentiaire peut autoriser une extraction médicale vers un des hôpitaux de la métropole. Les détenus ayant une maladie chronique sont suivis systématiquement et reçoivent leurs traitements suite à la visite d’une infirmière. Certains détenus ont des obligations de soins comme des séances avec un ou une psychologue.
Visites et téléphone : « un lien avec l’extérieur ». Tous les détenus ont le droit à des visites. Cela peut aller jusqu’à quatre par semaine. Pour les prévenus, c’est au juge en charge de l’affaire du détenu d’accorder les autorisations. Pour les condamnés, elles relèvent de la compétence du chef d’établissement (*). Dans les parloirs, il y a seulement des tabourets en plastique. Chaque visite peut durer jusqu’à 40 minutes. Certains détenus ne demandent ou ne reçoivent aucune visite. L’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP) permet aux détenus « oubliés » de recevoir la visite d’un visiteur ou d’une visiteuse de prison. Les bénévoles de l’association Les Petits frères des pauvres interviennent, eux, auprès des personnes de plus de 50 ans (*). Les échanges se font dans le respect de la vie privée de chacun. « C’est une bouffé d’air. C’est un des rares liens que j’ai avec l’extérieur. Quand je rencontre ma visiteuse, il n’y a plus trop de contraintes. Ça fait du bien », décrit un détenu. Il existe également un service postal qui permet aux détenus d’échanger par courrier avec une personne de l’extérieur. Pour garder le lien, chaque cellule de la maison d’arrêt est équipée de téléphones depuis deux ans. Les appels sont payants et les détenus ne peuvent accéder qu’aux numéros autorisés au préalable par l’administration pénitenciaire. Depuis le premier confinement, les personnes ainsi reconnues peuvent également laisser des messages vocaux aux détenus.
La fin de peine. A la fin de leur peine, les détenus sont remis en liberté, parfois en liberté conditionnelle. Tout au long de leur incarcération, ils peuvent obtenir des remises de peine de l’ordre de trois mois par an maximum pour bonne conduite ou participation à des activités. Le SPIP accompagne les détenus dans leur réinsertion en rouvrant leurs droits aux aides, en les assistant dans leur recherche d’un logement provisoire. Quant au travail, c’est aux détenus de faire les démarches dès leurs sortie de prison, même si le SPIP oeuvre également à l’insertion professionnelle, aide à la prise en charge sanitaire et déploie des stratégies d’évitement pour prévenir la récidive, etc. (*) La fin de peine n’est pas vraiment un sujet de discussion, chaque détenu appréhende différemment sa fin de peine comme l’explique un participant : « Ceux qui ont des peines courtes, comptent les jours avant leur remise en liberté, assure un détenu. Mais ceux qui ont des lourdes peines ne comptent plus… »
(*) Précision apportée à la demande du SPIP.
Le dessous de l’opération EMI à la maison d’arrêt de Tours
Les étudiants et les encadrants de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT) ont piloté trois ateliers d’éducation aux médias (EMI) au sein de la maison d’arrêt de Tours, à destination des détenus. Une initiative menée avec la Ligue de l’enseignement, chargée des animations à l’intérieur de l’établissement, et en liaison avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation d’Indre-et-Loire (SPIP).
Les étudiants (en l’occurrence des étudiantes), issus de la classe de Master 2 de journalisme, ont été recrutés sur la base du volontariat. Ils étaient encadrés par Nicolas Sourisce, chef du département Information-Communication, maître de conférences en 71e section et journaliste (carte de presse n° 91934), et par Michel Dalloni, journaliste en résidence (carte de presse n°56276).
Chaque atelier a mobilisé six détenus au maximum et deux représentants de l’EPJT (un étudiant, un encadrant) durant trois demi-journées consécutives (trois heures mardi après-midi, deux heures mercredi matin, trois heures jeudi après-midi), du 15 au 17 mars, du 5 au 7 avril et du 12 au 14 avril.
Les détenus ont, eux aussi, été recrutés sur la base du volontariat.
L’équipe de l’EPJT n’a pas eu à connaître le motif ou la durée de leur incarcération.
En liaison avec la Ligue de l’enseignement et le SPIP, il avait été décidé de les faire travailler sur le thème de la vie carcérale.
Objectif : faire réaliser à chaque groupe le récit écrit et sonore des grandes étapes de l’incarcération, de l’arrivée en détention à la sortie. Le recours à l’image a été interdit pour raisons de sécurité. Aux détenus de choisir la manière de structurer ces récits, d’identifier les questions à poser, les réponses à obtenir et à scénariser l’ensemble pour formaliser un objet éditorial mêlant texte et son. L’ensemble des textes et récits étant fondus en un seul article multimédias à plusieurs mains, publié sur le site d’information participatif Détours, administré par l’EPJT.
Les étudiants de l’EPJT sont intervenus en tant que « conseillers techniques », forts de leurs premières expériences de terrain et du savoir-faire technique acquis au cours de leur cursus.
Fait exceptionnel, ils ont pu utiliser et faire utiliser des enregistreurs numériques et des ordinateurs (non connecté au WI-FI, toujours pour raison de sécurité) au cœur même de la maison d’arrêt, ce qui est d’ordinaire absolument interdit.
Les séances de travail ont eu lieu dans la bibliothèque de l’établissement et, à deux reprises, dans une salle annexe. Toujours hors la présence des surveillants. La porte était fermée de l’extérieur.
Au début de la première séance de chacune des sessions, le programme a été présenté aux détenus, de même que le thème retenu pour l’exercice, avant que s’engage une conversation plus générale sur le journalisme – ses formes, ses règles, ses pratiques, ses limites, ses concurrents (réseaux sociaux, fake news, etc.) – et les journalistes – leur origine sociale, leur formation, leur responsabilité. Des échanges toujours passionnants, souvent passionnés, parfois vifs mais avec le souci constant de l’écoute réciproque et de la courtoisie.
La deuxième séance a été consacrée à la quête des informations par l’interview, soit entre détenus pour un recueil d’expérience, soit avec un témoin invité (intervenants extérieurs, professeurs, surveillants spécialisés).
La troisième a été dédiée à la mise en forme (texte) et au montage (son).
Les détenus ont très naturellement adopté les codes du journalisme, en ont intégré les techniques élémentaires et ont su utiliser les outils numériques et informatiques à leur disposition.
L’assemblage final des articles et des sons produits par les trois ateliers ainsi que la révision de cet objet éditorial (correction formelle, édition – titre, sous-titre), son illustration (visuelle et sonore) et sa mise en ligne ont été effectués par les étudiants et leurs encadrants dans les locaux de l’EPJT.
L’administration pénitentiaire a eu un droit de regard sur le reportage avant publication. Elle a vérifié qu’aucune information sensible, susceptible d’être utilisée à l’extérieur, n’y figurait. A noter que le SPIP a tenu à apporter des précisions quant à son rôle dans l’organisation des activités et dans la préparation et le suivi de la réinsertion.