Sur le continent africain, il est parfois difficile pour les journalistes de publier des informations sensibles. Les pressions s’exercent au moindre « faux-pas », parfois même de la part de ceux qu’on ne soupçonne pas.
« Quand le roi est arrivé au pouvoir, il y a eu une ouverture pour la liberté de la presse », se rappelle Hicham Mansour, membre-fondateur de l’Association marocaine de journalisme d’investigation (AMJI). Un espoir de courte durée. Le journaliste a depuis dû s’exiler en France justement pour sont action à l’AMJI. Des histoires comme celle-ci, il en existe bon nombre en Afrique. Certains s’exilent ou sont condamnés à l’autocensure, d’autres remplissent les prisons. Dans ces conditions, il est compliqué de mener des enquêtes dans de nombreux pays africains. D’autant plus quand la diplomatie s’en mêle.
Hicham Mansouri se bat pour la liberté d’expression dans son pays. Depuis 2015, la sienne est plus que limité. Accusé à de multiples reprises, il a finalement été condamné pour adultère, un crime au Maroc. « Quand les services secrets ne trouvent pas de preuves compromettantes dans notre travail, ils cherchent dans notre vie privée, explique-t-il. Mais quand ils ne trouvent rien, ils créent des preuves, c’est ce qui m’est arrivé. » Le journaliste s’est finalement exilé en France après avoir été agressé, mis à nu et pris en photo.
« Au Maroc, les bons journalistes sont en exil ou en prison »
Si Hicham Mansouri déplore le manque de liberté de la presse dans son pays, il explique que la situation diffère selon la langue d’écriture. « On est plus libre quand on écrit en français ou en anglais qu’en arabe, car on s’adresse à une population déjà bien consciente des réalités du pays », raconte le journaliste exilé. Tout n’est pas rose pour les journalistes étrangers pour autant. Le journaliste espagnol Ignacio Cembrero l’a lui-même constaté. Pendant de nombreuses années, il était pratiquement le seul à rendre compte des réalités au Maroc. Il est aujourd’hui interdit de séjour dans le Royaume. « Je continue malgré tout à sortir des infos grâce à mes contacts, indique-t-il. On communique via les réseaux sociaux, mais il y a 25 ans cela aurait été impossible. »
A l’image d’Ignacio Cembrero, beaucoup de journalistes se retrouvent à l’extérieur du pays pour s’affranchir des pressions, de gré ou de force. « C’est pour cela que Jeune Afrique est localisé en Europe », commente Antoine Glaser, journaliste français exerçant sur le continent africain depuis une trentaine d’années. Ne plus accorder de visa : un moyen pour le pouvoir marocain de censurer les journalistes étrangers qui s’immiscent un petit peu trop dans les affaires du pays. Hicham Mansouri le déplore : « Au Maroc, les bons journalistes sont en exil ou en prison. »
L’autocensure très répandue
Face aux risques encourus, les journalistes peuvent également s’autocensurer. « Un bon journaliste est un journaliste vivant », entend-t-on dans la bouche d’une journaliste de République démocratique du Congo, au cours d’un débat lors des Assises de Journalisme de Tunis. Un postulat qui fait sens pour Antoine Glaser. Selon lui, tout le monde est parfaitement au courant de ce qu’il se passe sur place, du fait de la longue tradition d’oralité dans le continent. C’est le fait d’écrire ces informations qui pose problème. Ce à quoi très peu s’aventurent, parfaitement conscients du danger. Là encore : deux poids, deux mesures entre publications locales et étrangères.
A plusieurs reprises, le journaliste français a sorti des informations impossibles à publier pour ses confrères locaux. « Les articles étaient à retravailler car ils ne savent pas écrire sur des informations sensibles, se remémore Antoine Glaser. Tout simplement parce qu’ils n’ont jamais pu le faire. » Une censure qui octroie aux publications étrangères un rôle primordial. « Pendant longtemps La Lettre du Continent a bénéficié en quelque sorte du manque d’indépendance local », avoue le journaliste, parfaitement conscient de la situation.
La diplomatie avant tout
Après avoir été seul à révéler des informations sensibles au Maroc, le journaliste espagnol Ignacio Cembrero observe aujourd’hui un léger changement. En France ou en Algérie, on commence un petit peu à écrire sur le Maroc. Pour lui, les autres journalistes « ne voulaient ou ne pouvaient pas » faire ce travail. Aucune possibilité d’écrire sur les sujets sensibles marocains pour des journalistes français ? « La France a des intérêts à faire valoir au Maroc, les gouvernements y prônent la stabilité et donc défendent le pouvoir marocain, dénonce-t-il. Ils font pressions sur les rédactions pour qu’elles limitent leurs publications sur le sujet. »
La diplomatie s’exercerait donc au prix de la liberté de la presse. Le journaliste espagnol en a directement fait les frais dans son pays. En 2014, il a été accusé par le Premier Ministre marocain d’apologie au terrorisme. Il travaillait alors pour El Paìs. Le Maroc l’a renvoyé de son territoire mais ne s’est pas arrêté là. « Le gouvernement marocain a mis la pression au gouvernement espagnol pour que ce dernier agisse sur ma rédaction, déplore-t-il. On ne m’a alors pas laissé le choix, je ne pouvais plus m’occuper du Maroc. » Il a alors décidé de partir du plus gros quotidien espagnol afin de pouvoir continuer son travail.
Au Maroc, quelques publications se risquent parfois à publier des informations autres que la communication officielle. Mais la ligne se durcit. Comme Hicham Mansouri, les journalistes locaux sont plutôt pessimistes quant à leur liberté future. Leurs confrères étrangers représentent alors une des rares alternatives. La situation se complique davantage quand, au nom de relations diplomatiques, les Etats étrangers censurent leurs compatriotes, selon Igniacio Cembrero.
Romain Bizeul