Retrouvez l’essentiel de la soirée débat « Médias et migrants ».
Animé par Pierre Haski, président de Reporters sans frontières (RSF), avec Madiambal Diagne, président de l’UPF Internationale, Muaoya Hamoud, journaliste citoyen syrien et photographe du documentaire : « Les réfugiés de Saint-Jouin », Amara Makhoul, rédactrice en chef adjointe à France 24 en charge du projet InfoMigrants, Elyse Ngabire, journaliste burundaise de la Maison des journalistes.
LES ENJEUX
« Les réfugiés de Saint-Jouin », le documentaire réalisé par Ariane Doublet, diffusé en avant-première, raconte l’arrivée d’une famille syrienne, celle de Muaoya Hamoud, dans un petit village du Calvados. Prochainement diffusé sur Arte, le documentaire peint la réalité de l’accueil de réfugiés dans une petite commune. Dans le village, les premières réticences se font entendre dès l’annonce de l’accueil d’une famille syrienne. Tout le monde, du maire aux jeunes en passant par le policier rural, y va de son petit commentaire. La mairie s’engage alors dans la rénovation d’un logement pour accueillir cette famille comme il se doit. Faute d’aide de l’État et après un an d’attente sans recevoir de réfugiés, le maire décide de faire appel à une association. La famille de Muaoya arrive enfin de Syrie où elle était menacée par le régime. À Saint-Jouin, l’accueil est chaleureux et la famille peut enfin s’installer pour se reposer et recommencer à vivre. Peu à peu, les a priori des habitants du village tombent et l’intégration de la famille se fait sans difficulté. Au final, le village n’a pas perdu sa tranquillité et la famille de Muaoya y a trouvé un havre de paix.
CE QU’ILS ONT DIT
Muaoya Hamoud : « Ma famille est toujours à Saint-Jouin. Mon frère à eu son permis de conduire la semaine dernière et il parle mieux français que moi maintenant. Peut-être que les gens dans le film avaient peur de recevoir des Syriens, où il y a la guerre, Daesh … Tout ça fait peur. Finalement, ils se sont vite rendus compte que ma famille était une famille normale qui mange, qui dort et qui vit comme eux. Maintenant, quand je vais voir ma mère, elle est toujours avec des voisines et elle leur apprend la cuisine syrienne. Ma ville est complètement rasée. De 300 000 personnes, elle est passée à 0. Avant la révolution syrienne, j’étais à la faculté de Damas, j’ai fais 3 ans de droit et presque toute ma famille travaillait. Pendant la révolution, je suis devenue journaliste citoyenne en entrant en contact avec des chaînes de télévisions. Ensuite, je suis devenu écrivaine et journaliste, un peu plus professionnelle. J’ai dû commenter et filmer les attaques chimiques pour les Nations Unies. C’est pour ça que j’étais suivie par le régime. Ils ont commencé à bombarder ma maison et c’est devenu très dangereux. J’ai pris l’argent d’un ami et j’ai acheté un billet d’avion pour la France. Je suis arrivé ici avec 11 euros en poche et le billet de train que je voulais acheter était à 12 euros. Ensuite j’ai commencé à travailler pour l’AFP et France 24. J’ai été aidée par la Maison des Journalistes. L’information, c’est le plus important dans une société. Les mots que j’entend le plus souvent pour décrire la situation de la population syrienne c’est : « la crise des réfugiés syriens ». En 2017, il y avait 3000 Syriens en France mais c’est la crise. Je comprends qu’il y ait eu les attentats en France et que pour les Français, la Syrie c’est Daesh. Quand Daesh est venu chez nous, nous étions vus comme des victimes par les Français, mais par contre, quand les Syriens fuient Daesh pour venir ici, là on est des criminels. »
Elyse Ngabire : « Je suis journaliste burundaise et je suis arrivée à Paris en septembre 2015. J’ai échappé à trois tentatives d’assassinats. En mai 2015, il y a eu une tentative de coup d’État, et le lendemain, il y a eu plus de dix médias indépendants qui ont été détruits. Ils ont ensuite cherché à menacer des journalistes. Lorsque le président a prononcé son serment, j’ai publié un article où je critiquais les promesses non tenues. Après la publication, il y a des personnes du service de renseignements qui m’ont suivie. Là, j’ai décidé de rester chez moi, mais la deuxième fois, les mêmes agents sont revenus chez moi et comme j’avais laissé ma voiture chez mes parents, ils ont cru que je n’étais pas là. La troisième fois, c’était un vendredi, j’étais avec mes enfants et c’est ma femme de ménage qui m’a dit que la maison était entourée par neuf policiers. C’est à ce moment là que j’ai décidé de partir. Je suis ensuite arrivée à Paris le 20 septembre 2015 et des journalistes qui avaient fui le Burundi m’ont dit de me tourner vers la Maison des journalistes. Grâce à Reporters sans frontières qui était au courant de ma première incarcération en 2010, j’ai été acceptée à la Maison des journalistes. J’ai eu de la chance car j’ai déposé mon dossier et j’ai obtenu le statut de réfugiée une semaine plus tard. Malheureusement, La Maison accueillent des journalistes exilés, réfugiés mais pas leur famille. C’est le baromètre des conflits dans le monde. Depuis que je suis là, j’ai vu beaucoup d’Afghans, de Syriens, de Burundais, de Rwandais… Ma plus grande frustration, c’est qu’en France on parle de la crise syrienne mais on ne parle jamais de la crise burundaise. Il n’y a que RFI qui diffuse de temps en temps des informations de mon pays. Au moment où il y a des arrestations, des tortures… Et que l’on sait que le budget du Burundi est financé à plus de 50% par l’Union Européenne, c’est grave. »
Amara Makhoul : « InfoMigrants, c’est le constat que ce qui manquait à ces migrants, ces réfugiés et ces demandeurs d’asile, c’est une information fiable et de qualité. La plupart des informations qui leur arrivaient sur la migration étaient des informations erronées qu’ils tenaient des passeurs ou des réseaux sociaux. Le but d’InfoMigrants n’est pas de parler de la crise migratoire, mais de donner des informations aux migrants pour leurs traversées. Et aujourd’hui, ce sont eux qui nous informent sur les circonstances sur place car ils ont déjà fait ce parcours. Ils nous expliquent ce à quoi ils ont échoué ou réussi. L’idée c’est de montrer l’image la plus complète de ce qu’il se passe pendant la traversée vers l’Europe et sur la vie ici en Europe. Aujourd’hui, le site est disponible en quatre langues : français, anglais, arabe, dhari et bientôt d’autres. Dans l’information que nous donnons, nous donnons l’objectivité pour qu’ensuite la personne puisse faire son propre choix sur la traversée. On fait aussi bien des portraits d’un jeune homme qui a obtenu le statut de réfugié et qui tient désormais son propre restaurant que celui d’un réfugié décédé devant le centre de la Chapelle, faute d’aide. »
Madiambal Diagne : « La question des migrants est traitée par les médias sous le prisme du fait divers ou de la compassion. La question est : quel traitement fait-on de la question de la migration ? C’est pour cela que le documentaire que l’on vient de voir est très intéressant car il montre que l’audace, le culot de politiques qui ont souhaité faire venir des réfugiés dans leurs villages. Cette audace a permis de faire tomber des barrières et des préjugés. Pour les migrants économiques, le traitement médiatique n’est pas le même. Ce sont des sujets qui divisent mais il n’en demeure pas moins que cette question est très importante. »
À RETENIR
Le cas de la crise des réfugiés montre bien que le manque d’information entraîne souvent des préjugés et des a priori. La nécessité pour les médias d’informer au-delà du prisme du fait divers est donc capitale. Les mots ont également beaucoup d’importance. « Réfugiés », « exilés » ou « migrants », chaque terme a un sens différent et pourtant, ils sont souvent utilisés comme synonymes. Lorsque l’on aborde des questions humaines comme celle-ci, la notion de journaliste devient parvient floue. En reportage, un journaliste est-il toujours journaliste lorsqu’il pose carnet, stylo, micro ou caméra pour venir en aide ? La question se pose.
Valériane Gouban